Mémoires du Baron de Bonnefoux, Capitaine de vaisseau, 1782-1855. Baron de Pierre-Marie-Joseph Bonnefoux

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Mémoires du Baron de Bonnefoux, Capitaine de vaisseau, 1782-1855 - Baron de Pierre-Marie-Joseph Bonnefoux

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présence d'esprit, j'étends soudainement les bras et j'écarte les jambes. Cette précaution me sauve; je crie à mon frère de rentrer, et je le suis en rampant. Qu'il s'en fallut de peu que je ne tombasse d'au-dessus d'un cinquième dans une cour, et dans quelle cour! celle de la maison de ma tante d'Hémeric où ma mère était en ce moment près d'une croisée qui donnait sur cette cour. Pour le coup, je fus corrigé des toits, aussi bien que de la République; mais qu'il eût mieux valu que je n'eusse pas attendu la leçon et que je me retirasse, en même temps, de mes autres excursions belliqueuses!

      Le voyage de Marmande interrompit heureusement cette fâcheuse disposition d'esprit; mon père m'avait conduit au Châtard, propriété située à six lieues de Marmande, près d'Allemans, sur le Drot40, appartenant à M. Gobert du Châtard qui était marié à une sœur de mon père et qui vivait là, retiré du service, avec ses cinq filles et son fils, réquisitionnaire lors des premières années de la République, mais congédié par faiblesse de santé. Mon oncle était l'homme du monde le plus jovial, le plus ami des enfants qu'on pût rencontrer; sa femme avait absolument les mêmes traits que mon père, c'était la vertu, la piété, la politesse dans tout leur charme; mes cousines respiraient la complaisance et la bonté, et leur frère était un fort aimable jeune homme. De quelle folâtre liberté j'ai joui dans ce riant séjour! mon oncle me menait à ses champs; avec lui je cultivais ses jardins, je taillais ses arbres, je surveillais ses travailleurs; avec son fils, je montais à cheval, je courais les foires, les assemblées, les sociétés des villages voisins; auprès de mes cousines, nous passions des veillées délicieuses; mon oncle, dans la chambre de qui je couchais, me racontait, soir et matin, les histoires les plus divertissantes; ah! c'était mieux encore que mon séjour chez les MM. Mayaud, près de Tours, où pourtant je m'étais si complètement bien trouvé. Comme ces beaux sites plurent à mon cœur enchanté! que de belles parties j'y fis sans interruption, combien j'en ressentis de plaisir, après avoir été si douloureusement froissé! et quels regrets j'éprouvai quand mon père, ayant terminé ses affaires, vint me chercher et m'arracher à ces excellents parents dont les yeux, à mon départ, furent, eux aussi, baignés de larmes. De cette nombreuse famille, une seule de mes cousines, nommée Céleste, et bien céleste assurément par ses vertus et sa piété, vit encore retirée à Marmande41, et son frère a laissé une très aimable et très jolie fille, qui vient de se marier dans cette même ville.

      Si jamais mon père réfléchit avec un sentiment d'amertume sur les folies de sa jeunesse, si jamais il déplora les fatales conséquences de la passion qu'il avait eue pour le jeu, ce fut sans doute lorsque, quittant Marmande, il vit que ses mille écus suffiraient à peine à payer quelques dettes contractées pendant sa captivité, et qu'ensuite, sans aucun espoir de travail ou de retour de fortune, il avait à subvenir aux besoins d'une famille assez nombreuse, en bas âge, et, principalement, aux nécessités imposées par la maladie de ma pauvre mère, qui ne faisait qu'empirer. Ma tante d'Hémeric, trop vive, trop enjouée, pour se plier aux exigences d'un ménage, avait souvent refusé de se marier pendant sa jeunesse; ce n'était qu'après l'âge de trente-six ans qu'elle s'y était décidée, et elle n'avait pas d'enfants. Son mari, qui a laissé une fortune considérable à un fils d'un premier lit, admirait et plaignait ma mère; ainsi ma tante, cédant en toute liberté aux impulsions de son cœur généreux, put, en mille circonstances, nous aider. Que ne lui devons-nous pas pour l'avoir toujours fait avec obligeance et chaleur!

      Toutefois notre éducation se trouvait presqu'entièrement interrompue; il existait, cependant, à Béziers, un ancien officier nommé de La Capelière, ami de mon père, et parent de Mme de Bausset42 (dont nous avons vu le fils préfet des Tuileries sous Napoléon), qui lui avait donné chez elle un asile hospitalier, car il était sans fortune. Cet officier avait servi au Canada; il avait assisté au combat opiniâtre où deux héros, Montcalm et Wolf, généraux des armées ennemies, restèrent sur le champ de bataille. La France perdit, alors, cette vaste colonie. M. de La Capelière la quitta avec chagrin; car, comme il le disait ingénuement, il avait le cœur pris en Canada. Ma tante lui avait rappelé les traits de sa maîtresse; il lui avait offert sa main; mais c'était dans le temps des dispositions antimatrimoniales de l'espiègle fille, qui prenait plaisir à lui faire parler de son Américaine, à lui faire répéter qu'il avait le cœur pris en Canada, mais qui résista toujours. Ce digne officier était resté l'ami de la maison; il s'occupait beaucoup de littérature; il avait une bibliothèque de bon choix; il nous prêta des livres; il nous donna des conseils; il nous fit faire des extraits d'histoire; mais ce n'étaient point des leçons réelles ou régulières; en un mot, c'était beaucoup qu'il voulût se donner tant de soins; mais c'était à peu près sans portée ou sans résultat pour mon frère et pour moi.

      D'ailleurs, mes anciens camarades nous avaient empaumés; l'ardeur belliqueuse des gamins du Midi s'était encore emparée de nos jeunes cœurs, et nous reprîmes, en cachette, nos anciennes habitudes. Or il arriva un jour que, dans une opiniâtre batadisse (bataille d'enfants), livrée près de la porte de la citadelle43, notre parti, ordinairement victorieux, éprouva un rude échec. Je lançais des pierres au premier rang, quand, tout à coup, j'aperçois une douzaine d'assaillants s'avancer vers moi avec une confiance inaccoutumée; je me retourne, je vois que mes compagnons fuient dans toutes les directions, et qu'il ne reste près de moi que mon frère, à son poste, c'est-à-dire me présentant son chapeau plein de pierres, afin de pouvoir continuer le combat. Je renverse ses munitions par terre, je le prends par la main, et je me sauve à mon tour. Nous courions comme des Basques, en nous dirigeant vers la maison; nous y serions même arrivés sains et saufs, si, contre l'usage, la porte extérieure n'eût été fermée. Nous frappâmes; mais, hélas! ma sœur nous ouvrit tout juste à l'instant où deux grands lurons venaient de nous renverser, et épuisaient sur moi, car mon frère était trop petit pour les occuper longtemps, leur rage et leur colère à bons coups de pieds, abondamment accompagnés de bourrades à coups de poings. Les voisins nous dégagèrent, ma sœur nous rétablit de son mieux; elle promit même de n'en rien dire à mon père; mais ce fut à condition que nous renoncerions à nos sorties guerrières; ce résultat était assez pénétrant pour que nous n'eussions de peine ni à promettre ni à tenir; ainsi, de compte fait, les batadisses furent mises à l'oubli et reléguées avec la République et les courses sur les toits. Nous en fûmes complètement dédommagés par des connaissances, que la bonne société qui commençait à respirer depuis la mort de Robespierre, nous mit à même de faire; ces connaissances étaient des jeunes gens, enfants d'amis ou de parents de la maison, chez qui nous trouvâmes de tout autres goûts, que nous adoptâmes avec vivacité.

      Il est vrai que l'étude n'entrait pour rien dans ces goûts; car le malheur des temps voulait que les collèges, que les écoles, fussent indignement organisés, et qu'il y eût une sorte d'anathème contre les personnes qui recherchaient les occasions de s'instruire; mais, au moins, il y avait de la politesse, de bonnes manières chez mes nouveaux amis; et, quant aux plaisirs, c'étaient les jeux de billard, de mail, de boules, de paume, dans lesquels j'acquis, parmi eux, une assez grande supériorité pour être recherché par tous.

      Il est digne d'être remarqué qu'à aucune période de la vie les enfants n'ont plus besoin de leurs parents qu'en bas âge; et que, pourtant, plus on est près de cet âge, moins on comprend ce besoin, moins, en quelque sorte, on est sensible à une perte toujours si importante. J'ai peine encore à m'expliquer comment, ayant sous les yeux tant de souffrances et de peines, tant de dévouement et de malheurs, il pût encore me rester, dans l'âme, quelque place à d'autres émotions, dans l'esprit, quelques pensées d'amusement. L'enfance est ainsi faite; tout glisse sur elle, l'impression même des chagrins. Notre tendre mère, d'ailleurs, mettait tant de soins à cacher son véritable état, nous engageait tous si vivement à nous distraire! C'est seulement de cette façon que je me rends quelque compte des dissipations dont je conservais l'habitude. Après trois ans de luttes, il n'en arriva pas moins ce cruel moment qui devait l'enlever à ses souffrances, comme à notre amour, et qui allait nous frapper

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<p>40</p>

Aujourd'hui, commune du département de Lot-et-Garonne, canton de Lauzun, arrondissement de Marmande.

<p>41</p>

En 1835.

<p>42</p>

Louis-François-Joseph, baron de Bausset, né à Béziers le 15 janvier 1770 préfet du Palais en 1805, surintendant du Théâtre français en 1812.

<p>43</p>

L'abbé Expilly dans son Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules et de la France, tome I, 1772, au mot Besiers ou Béziers, s'exprime de la façon suivante: «La citadelle était située dans l'endroit le plus élevé de la ville, assez proche de la porte, qui conserve encore le nom de porte de la Citadelle. Cette forteresse fut démolie en 1673, et il n'a plus été question de la rétablir; aussi ce serait une dépense plus qu'inutile. Auprès de cette porte que nous venons de nommer, est une grande place ou belvédère, qui a la forme d'une terrasse et qui sert de promenade publique: de cet endroit les vues sont également très agréables.»