Mémoires du Baron de Bonnefoux, Capitaine de vaisseau, 1782-1855. Baron de Pierre-Marie-Joseph Bonnefoux

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Mémoires du Baron de Bonnefoux, Capitaine de vaisseau, 1782-1855 - Baron de Pierre-Marie-Joseph Bonnefoux

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figure furent en vingt endroits égratignés jusqu'au vif; mais la belle taille qu'il tenait captive ne lui échappa point, et pendant ce temps un jardinier m'avait retiré du bassin et m'avait remis à mon père, qui, averti dans le salon d'où il n'était pas sorti après la collation, était accouru, et arriva pour me recevoir.

      Trois fois j'avais reparu sur l'eau, et trois fois j'étais retombé au fond; la vie n'était plus en moi qu'à sa dernière période; aussi tous les soins du monde ne purent-ils la rappeler qu'après un quart d'heure de la mort la plus apparente. Tous avaient renoncé à me sauver; ma mère, seule, ne s'était pas découragée. Elle me serrait de ses bras caressants; elle me réchauffait de son corps, et sa bouche, collée sur la mienne, m'envoyait sa bienfaisante haleine, afin de rendre leur jeu à mes poumons affaissés. C'est dans cette position que je la vis lorsque mes yeux se rouvrirent. Mes mains se croisèrent autour de son cou, comme pour la remercier; elle fut attérrée de bonheur! Je n'avais pas quatre ans; mais cette scène pathétique est encore devant mes yeux, comme si elle était d'hier.

      Promenant ensuite mes regards autour de moi, je vis, avec une sorte de terreur, quarante spectateurs immobiles; mais, tel est le caractère frivole de l'enfance qu'apercevant un grand feu devant la porte du salon et la jardinière y faisant chauffer pour moi une ample chemise rousse, en la tenant fermée au collet par ses mains, et la faisant tourner et gonfler vivement autour de la flamme, je partis d'un grand éclat de rire à ce spectacle inconnu…

      Jusqu'alors il était resté quelque doute à ma mère sur mon salut; mais ce rire inattendu la rassura complètement.

      Dès lors, n'ayant plus besoin de l'effort surnaturel de courage avec lequel elle avait surmonté de si pénibles émotions, elle céda à l'épuisement de ses forces, et elle s'évanouit. Son retour à la connaissance fut bien doux, car j'étais tout à fait remis, et elle put, à son aise, se livrer aux transports de sa joie.

      La Corse avait été réunie à la France en 1769; quelques années après le mariage de mon père, le régiment de Vermandois avait été tenu d'y fournir un certain nombre d'hommes de garnison. C'était un pays quasi barbare, d'une population ingouvernable, couvert de forêts où abondaient des sangliers redoutables. Lorsque mon père était forcé de quitter Béziers, il n'était jamais plus heureux que lorsque c'était pour aller dans cette île, où son activité, son courage, son goût pour la chasse qui ne s'était pas affaibli, trouvaient des aliments réitérés. Il se plaisait à gravir les rochers, à explorer les bois, à réduire les insurgés, autant qu'à affronter les terribles sangliers, à la poursuite desquels il courut souvent des dangers plus menaçants que dans ses autres excursions où, cependant, il avait, une fois, été atteint d'un coup de fusil à la jambe gauche.

      Toutefois Bastia et Ajaccio lui procuraient de temps en temps d'agréables moments de repos ou de distraction. Ce fut à Ajaccio qu'il vit briller Mme Lætitia Bonaparte, alors dans la fleur de l'âge, et qui faisait l'ornement de la société qu'on trouvait réunie chez le gouverneur de l'île, M. le comte de Marbeuf. Elle était mère de huit enfants, et lorsque mon père leur adressait de ces paroles aimables qui sortaient si gracieusement de sa bouche, il était loin de prévoir les hautes destinées de cette famille. Mme Lætitia, encore vivante, n'a perdu qu'un de ses enfants: Napoléon, son second fils.

      Mon père avait, en outre, quelques congés pour revenir à Béziers. C'étaient alors des moments charmants. Ma mère quittait la réclusion où, pendant l'absence de son mari, elle se condamnait sévèrement, afin de s'occuper, sans partage, des détails de sa maison; nous n'entendions plus parler que de fêtes ou de parties, et, une fois entre autres, nous exécutâmes celle d'aller à Marmande, voir mon respectable aïeul et les diverses personnes de la famille dont il était le chef.

      Nous traversâmes le Languedoc sur le bateau de poste du canal du Midi; il s'y trouvait, à l'aller comme au retour, des officiers, des dames, des enfants, qui me parurent d'une grande amabilité; j'en ai conservé les souvenirs les plus agréables.

      Arrivés à Marmande, non seulement nous visitâmes la famille qui, alors, s'y trouvant presque au grand complet, nous présenta une réunion de jeunes et brillants officiers, de charmantes filles, leurs sœurs ou leurs cousines, mais encore nous visitâmes tous les lieux des environs où se trouvait quelque Bonnefoux; nous allâmes même jusqu'en Périgord; et, dans nos tournées, nous eûmes l'occasion de voir un de nos parents, M. de Campagnol. Il était officier supérieur d'artillerie, et, depuis, il devint le colonel d'un régiment dans lequel servait Napoléon29.

      Ma mère fut accueillie comme devait l'être une dame de son mérite. Quant à moi, je gagnai complètement les bonnes grâces de mon aïeul, et celles du chevalier de Bonnefoux, qui servait dans la marine. Mon aïeul avait, sur la cheminée de sa chambre, un petit soldat en ivoire auquel il tenait beaucoup et dont il arriva que j'eus grande envie. Il me le donna avant notre départ; mais il fit la remarque qu'il avait été vaincu par ma persévérance et par l'adresse avec laquelle j'avais fait changer ses dispositions, qui n'étaient nullement de me faire ce cadeau, dont j'étais si fier.

      Ce que mon aïeul avait la bonté d'appeler de la persévérance était souvent de l'entêtement, défaut très grand, que, dans mon enfance, j'ai, quelquefois, poussé jusqu'à l'excès, qui a fait verser bien des larmes à ma mère, mais que mon père traitait avec beaucoup de discernement, quoiqu'il y mît une juste sévérité. Notre retour à Béziers fut marqué par la célébration d'une fête locale, qui porte le caractère, ainsi qu'on le remarque assez souvent dans le Midi, soit des rites du paganisme, soit de quelque fait historique important. Quoi qu'il en soit, cette fête a beaucoup d'éclat. Le jour qu'on lui assigne est celui de l'Ascension, c'est-à-dire l'époque la plus riante de l'année, dans un climat qui, lui-même, est d'une grande beauté; mais on ne la célèbre pas tous les ans; il faut de la joie dans les esprits, qui se rattache à quelque événement remarquable, et elle entraîne à de fortes dépenses; ainsi, depuis lors, on ne l'a guère plus revue qu'à la paix de 1802 et à celle de 181430; on l'appelle «Fête du Chameau» ou plus agréablement «Fête des Treilles».

      Il paraît que lorsque les Maures pénétrèrent en France, d'où ils furent chassés à jamais par la valeur de Charles-Martel, ils éprouvèrent à Béziers une résistance à laquelle ils ne s'attendaient pas. Un guerrier de cette ville, nommé Pépézuk31, les attaqua dans la rue Française où ils étaient déjà entrés, en fit un grand carnage et les repoussa hors la ville. On voit encore, au lieu même de cette rue où Pépézuk arrêta les ennemis, la statue de ce guerrier, en marbre, scellée dans une encoignure, mais dégradée, mutilée par le temps, et réduite à une masse informe. C'est l'anniversaire de cet exploit que l'on célèbre encore en ce pays.

      Un chameau gigantesque, en bois recouvert d'étoffes32, sort de la mairie, logeant dans ses flancs des hommes qui profitent des stations pour lui faire jeter des gorgées de dragées et de bonbons; il précède une charrette traînée par cent mules harnachées avec luxe, et la charrette porte cinquante couples de jeunes gens, de jeunes filles, ornés de vêtements blancs, de bouquets, de rubans roses, et que la ville marie ce jour-là et dote en partie. Ce sont les principaux acteurs de la fête; ils tiennent chacun, dans chaque main, un cerceau garni de pampres, de feuilles et de rubans33; l'autre bout du cerceau est pris par le vis-à-vis, qui est toujours d'un sexe différent, et quand ils arrivent sur les places ou sur les promenades, nos mariés, animés par une excellente musique, et en chantant l'air délicieux des Treilles, exécutent des danses charmantes, et font, sous leurs cerceaux, mille figures, mille passes ravissantes.

      Les autorités, les notables assistent au cortège en grande cérémonie; chaque habitant fait une vaste provision de bonbons, et quand le signal est donné, on se sert de ces bonbons comme de projectiles, et

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<p>29</p>

Isaac-Jacques Delard de Campagnol naquit, le 19 janvier 1732, au château de la Coste, paroisse de Saint-Léger, juridiction de Penne en Agenais, généralité de Bordeaux, aujourd'hui commune de Saint-Léger, canton de Penne (Lot-et-Garonne). Collaborateur et ami de Gribeauval, ce fut un des officiers d'artillerie les plus distingués du XVIIIe siècle, et son nom mérite d'être cité à côté de ceux de d'Aboville et de Sénarmont. Il servit pendant cinquante-quatre ans, fit neuf campagnes, prit part à sept sièges et à dix batailles. Lieutenant-colonel en 1781, sous-directeur d'artillerie à la Fère, il devint colonel le 1er avril 1791 et commandait à Grenoble, en 1791 et 1792, le quatrième régiment d'artillerie, auquel appartenait Napoléon. Général de brigade, le 1er prairial an III, il commanda, par intérim, l'artillerie de l'armée des Alpes et prit ensuite sa retraite. Le général de Campagnol mourut au château de la Coste, le 28 juin 1809.

<p>30</p>

M. Henri Julia, Histoire de Béziers ou Recherches sur la province du Languedoc, Paris, 1845, qui appelle notre fête, Fête des Caritachs (Charités), dit au contraire, p. 360, «qu'elle a cessé à la Révolution française, qui ne se montra pas bienveillante pour le quadrupède d'Orient. On le fit brûler; puis on le porta sur la liste des émigrés pour s'emparer de son fief». Que ce dernier trait assez piquant soit exact, on peut l'admettre; mais ce n'est pas une raison pour que la Fête du Chameau n'ait pas été de nouveau célébrée en 1802 et en 1814.

<p>31</p>

M. Henri Julia, op. cit., p. 359, parle de la statue de Montpésuc, «ce héros qui sauva la ville en la défendant contre les Anglais». Ces divergences dans les traditions populaires ne doivent pas, d'ailleurs, nous étonner.

<p>32</p>

M. Julia p. 354, parle d'un chameau de bois revêtu d'une toile peinte sur laquelle on voyait les armoiries de la ville et les deux inscriptions latine et romaine: Ex antiquitate renascor. Sen fosso (nous sommes nombreux)». D'après la tradition locale, ce chameau représentait celui de saint Aphrodite, martyrisé à Béziers..

<p>33</p>

Lorsque, le 26 juin 1777, le comte de Provence, plus tard Louis XVIII arriva à Béziers, il fut reçu dans le palais épiscopal par l'évêque, Mgr de Nicolaï. «Le prince marcha avec sa suite et monta jusqu'au perron sous la voûte gracieuse des cerceaux de la danse des Treilles», nous dit M. E. Sabatier, Histoire de la ville et des évêques de Béziers, Béziers et Paris, 1854, p. 402.