Mémoires du Baron de Bonnefoux, Capitaine de vaisseau, 1782-1855. Baron de Pierre-Marie-Joseph Bonnefoux

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Mémoires du Baron de Bonnefoux, Capitaine de vaisseau, 1782-1855 - Baron de Pierre-Marie-Joseph Bonnefoux

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sans émotion, les grâces, la bonne mine du chevalier de Beauregard, âgé pourtant d'un peu plus de quarante ans, et qui devint ma mère.

      Il était dit, cependant, que l'exaltation de ce brillant officier se manifesterait encore dans cette circonstance, où il faut tant de prudence et d'égards. M. Valadon, en père éclairé, avait pris des informations qui lui avaient fait connaître les fautes encore récentes du joueur, et il fit des objections bien naturelles, mais qui blessèrent vivement le chevalier de Beauregard. Quelques ménagements, un peu de temporisation, auraient tout aplani; loin de là, le prétendant abusa de l'ascendant qu'il avait sur un jeune cœur; il menaça de se tuer si l'objet de ses vœux ne consentait pas à un enlèvement, et il assigna une heure pour cet enlèvement, garantissant, au reste, que tout serait prêt pour un mariage en règle, à la première poste où on s'arrêterait. Mlle Valadon résistait; mais malheureusement le chevalier d'H… l'un des camarades de mon père, était dans une position à peu près pareille; les deux jeunes personnes furent initiées au secret l'une de l'autre; on proposa de partir tous les quatre; et ces demoiselles, qui n'auraient pas accepté autrement, consentirent à un départ simultané.

      Les torts furent grands de tous les côtés; mais, au moins, les paroles furent observées, les promesses tenues, les arrangements accomplis, et l'on s'était à peine aperçu du départ des fugitives qu'elles rentrèrent chez leurs pères, conduites par leurs maris, et implorant un pardon peu mérité. M. Valadon avait le cœur trop gros pour que la scène se passât sans orage; il parla longtemps avec amertume, et il termina, par les mots suivants, des apostrophes que des larmes et des sanglots avaient fréquemment interrompues: «Vous, Monsieur, pourquoi me demander ce qu'il n'est plus en mon pouvoir de refuser?

      «Et vous, ma fille, vous avez, malgré moi, malgré vos devoirs, voulu vous lancer dans une sphère qui n'est ni la vôtre, ni la mienne; puissé-je me tromper; mais vous mourrez malheureuse!..» Hélas, il ne dit que trop vrai!

      Ce mariage, dont les formes imprudentes sont judicieusement abolies par les stipulations de notre Code civil actuel, hâta peut-être la mort de mon grand-père, qui eut lieu peu de temps après; et l'on peut croire qu'alors il était encore sous l'influence des impressions fâcheuses qu'il en avait éprouvées, car il ne laissa à ma mère que la portion nommée légitime, résolution qu'il n'aurait pas prise, sans cela, on peut le présumer; quoique les usages du Languedoc fussent et soient toujours défavorables aux cadets.

      Quatre enfants naquirent presque successivement de ce mariage, qui prospéra d'abord, comme on devait l'attendre de l'esprit d'ordre consommé de ma mère, de sa tendresse pour son mari, et du changement heureux qui s'opéra dans les habitudes de mon père. Il fut un excellent mari; et sa femme l'en récompensa par son dévouement, dévouement si passionné qu'il finit par lui coûter la vie à elle-même, comme tu le verras plus tard.

      Ta tante Eugénie fut le premier de ces enfants; dès qu'elle fut d'âge à pouvoir profiter des leçons d'un pensionnat, on la plaça dans celui qui était alors connu très avantageusement dans toute la France sous le nom de couvent de Lévignac, près Toulouse. Quand elle en sortit, c'était une demoiselle d'une grande instruction, de manières très distinguées, d'une belle taille, et douée d'une figure où des yeux noirs veloutés faisaient une impression profonde, entourés qu'ils étaient d'une peau éblouissante de blancheur, de sourcils d'ébène, et de la chevelure la plus touffue. Le marquis de Lort, ancien chef d'escadre, lui fit une cour assidue; mais le joli, le loyal, l'agréable chevalier de Polhes, aujourd'hui baron de Maureilhan, revenait à vingt-cinq ans d'une émigration où il avait été entraîné à l'âge de quinze, et quoique dans une position bien inférieure à celle du marquis de Lort, sous le rapport de la fortune, sa demande de la main de ma sœur fut acceptée par elle, et tous les jours elle s'en applaudit.

      Joséphine fut le second enfant de mon père. Celle-ci avait, sans mélange, tous les traits distinctifs des Bonnefoux; c'est-à-dire un teint ravissant, le nez aquilin, des yeux bleus d'une extrême douceur, quoique très vifs, et des cheveux d'un blond cendré charmant. Elle était remarquablement belle; mais sa beauté ne put la sauver du trépas; et à peine commençait-elle à frapper tous les regards qu'elle fut atteinte d'une maladie violente, et qu'elle y succomba.

      Je naquis ensuite en 1782; j'avais tout au plus dix-huit mois, que la petite vérole fondit sur moi avec toute sa malignité. Les médecins me laissèrent pour mort; la garde-malade me jeta le linceul sur la tête; mais ma mère me découvrit vivement, et m'embrassa, m'étreignant avec tant de tendresse que j'en fus ranimé! Il ne m'est resté de cette affreuse maladie que quelques marques sur la figure; par compensation, peut-être, je n'ai pas eu, depuis lors, de maladie vraiment sérieuse. Quant à ma taille, elle est exactement devenue celle de mon père, cinq pieds cinq pouces.

      Adélaïde, qui fut ma troisième sœur, mourut extrêmement jeune. Enfin, après une interruption assez longue, naquit ton oncle Laurent28; et, quatre ans après, c'est-à-dire en 1792, un sixième enfant, qui reçut le nom d'Aglaé, mais qui, comme Adélaïde, nous fut enlevée en bas âge.

      CHAPITRE II

      Sommaire: Mes premières années, le jardin de Valraz et son bassin. – Détachements du régiment de Vermandois en Corse, le chevalier de Beauregard à Ajaccio, ses relations avec la famille Bonaparte. – Voyage à Marmande. – M. de Campagnol, colonel de Napoléon. – Retour à Béziers. – La Fête du Chameau ou des Treilles. – L'École militaire de Pont-le-Voy. – Changement de son régime intérieur. – Renvoi des fils d'officiers. – À l'âge de onze ans et demi, je quitte Pont-le-Voy, vers la fin de 1793, pour me rendre à Béziers. – Rencontre du capitaine Desmarets. —Cincinnatus Bonnefoux. – Bordeaux et la guillotine. – Arrivée à Béziers.

      Ma mère m'avait donné le jour; elle m'avait nourri de son lait; elle m'avait rendu la vie quand j'avais été abandonné, lors de ma petite vérole; j'eus ensuite le nez cassé dans une chute, et elle me prodigua les soins les plus touchants; une nouvelle chute que je fis, la bouche portant sur un verre cassé et ma bonne par-dessus moi faillit me rendre ce qu'on appelle bec-de-lièvre (Ne dirait-on pas qu'il y avait une conjuration générale contre ma pauvre figure?) et il fallut à cette digne mère un mois d'assiduités et de veilles pour m'empêcher de détruire l'effet des appareils que les chirurgiens avaient mis sur mes lèvres; cependant ce ne fut pas tout, sa tendresse eut à supporter une nouvelle épreuve, car elle avait encore une fois à me disputer à la mort et à remporter la victoire sur cette redoutable ennemie.

      Nulle part plus que dans ma ville natale on n'aime les parties de campagne: une salade en est ordinairement le prétexte; mais chacun apporte son plat, et la collation y est fort agréable, fort abondante, surtout lorsque la réunion se compose de personnes possédant de l'aisance, gaies, aimables, et vivant sous un des plus riants climats de l'univers. De charmants jardins avoisinent la ville de Béziers; celui de Valraz avait alors la vogue. On venait d'y goûter. Les dames, les cavaliers, se promenaient sur la terrasse; les bonnes dansaient des rondes au dessous, et les enfants folâtraient alentour. Tout à coup je me sens poussé. Je recule de quelques pas; je rencontre un tertre d'un pied d'élévation; je tombe à la renverse, et il me reste encore, de cette scène, l'ineffaçable souvenir de la magnifique voûte azurée du ciel du Languedoc, que je n'avais jamais remarquée jusque-là, et qui se déroula tout entière à mes yeux; mais un froid glacial vint suspendre mon admiration, j'étais dans un bassin de six pieds de profondeur!.. mes camarades, seuls, m'avaient vu tomber; stupéfaits, ils n'osaient proférer une parole, et les bonnes dansaient toujours, lorsqu'un cri perçant se fit entendre. Quel pouvait-il être, si ce n'est celui d'une mère dont l'œil vigilant ne découvre plus son fils, et qui, à l'embarras des autres enfants, devine l'affreuse vérité? S'élancer vers le bassin en faisant retentir l'air de ces mots déchirants: «Mon fils est noyé!» fut pour ma mère l'acte d'un instant; mais un officier du régiment de Médoc, qui était au bas de la terrasse, lui barra le passage, la saisit

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Laurent de Bonnefoux portait, dans sa famille, le nom de Gustave, qui ne figurait nullement sur son acte de baptême. On avait voulu le distinguer ainsi de M. de Bonnefoux de Saint-Laurent, dont nous avons déjà eu l'occasion de parler. Nous ignorons, au contraire, pourquoi l'auteur de ces Mémoires, Pierre-Marie-Joseph de Bonnefoux, fut toujours appelé Léon par les siens.