Mémoires du Baron de Bonnefoux, Capitaine de vaisseau, 1782-1855. Baron de Pierre-Marie-Joseph Bonnefoux

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Mémoires du Baron de Bonnefoux, Capitaine de vaisseau, 1782-1855 - Baron de Pierre-Marie-Joseph Bonnefoux

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mot de guillotine, de cet horrible instrument que l'énergumène Desmarest m'avait fait toucher, au souvenir de son exécrable discours, au rapprochement de la scène de Bordeaux et de celle où j'étais encore acteur à ce moment, et qui m'apprenait les périls de ma famille, je devins à mon tour comme égaré, et il fallut bien du temps pour nous remettre tous d'aussi vives émotions.

      Cependant j'étais rentré à la maison pendant l'heure du dîner; mon frère, âgé de cinq ans, effrayé de l'uniforme bleu que je portais, s'était caché sous la table; ma sœur Eugénie, avec sa tendresse accoutumée, m'accablait de caresses et cherchait à ramener le calme; mais de quelle robe grossière, quoique propre et bien faite, je voyais cette sœur couverte! quelle figure souffrante et malheureuse elle me montrait! enfin sur cette même table où, jusqu'à mon départ, avait régné l'abondance, la recherche même de temps en temps, quel dîner s'y trouvait? des lentilles, des œufs et du pain noir! Oui, du pain noir, du pain de fèves et de maïs; car le Gouvernement d'alors, repoussé, isolé de l'univers entier par ses doctrines anti-sociales, n'avait su, ni pu, par des opérations commerciales, remédier aux mauvaises récoltes qui, pour comble de maux, vinrent affliger le sol français et y faire régner la famine et ses fléaux.

      Quant à ma sœur Aglaé, elle était dans son lit, et atteinte de la maladie qui la conduisit au tombeau. Oh! l'affreux spectacle que celui de la misère, de la souffrance, du malheur, du besoin, du désespoir, et combien mon cœur fut serré, lorsque, m'attendant à toutes les joies de la maison paternelle, je ne voyais que craintes, privations et douleurs!

      CHAPITRE III

      Sommaire: La famille de Bonnefoux pendant la Révolution. – Les États du Languedoc. – Le chevalier de Beauregard reprend son nom patronymique. – La question de l'émigration. – Révolte du régiment de Vermandois à Perpignan. – Belle conduite de mon père. – Sa mise à la retraite comme chef de bataillon. – Revers financiers. – Arrestation de mon père. – Je vais le voir dans sa prison et lui baise la main. – Lutte avec le geôlier Maléchaux, ancien soldat de Vermandois. – Mise en liberté de mon père. – Séjour au Châtard, près de Marmande. – M. de La Capelière et le Canada. – Les Batadisses de Béziers. – Mort de ma mère. – M. de Lunaret. – M. Casimir de Bonnefoux, mon cousin germain, est nommé adjudant général (aujourd'hui major général) du port de Brest.

      Dès le commencement de la Révolution, le régiment de Vermandois avait quitté la Corse; mais il n'avait pas cessé de tenir garnison dans le Midi de la France, principalement à Montpellier et à Perpignan. Dans la première de ces villes furent, à cette époque, convoqués les États généraux, assemblée appelée à délibérer sur les innovations politiques que l'on projetait de faire adopter alors en France. Mon père reconnaissait qu'il y avait beaucoup d'abus à corriger, qu'il était temps de donner satisfaction à cet égard, mais qu'il fallait y procéder avec autant de fermeté que de sagesse. Ce fut dans cet esprit que, se prévalant de l'ancienneté de noblesse de sa famille, il demanda et obtint de faire partie, comme baron, des États généraux du Languedoc38. Il prit, à cette occasion, son nom patronymique, et il cessa de se faire appeler le chevalier de Beauregard.

      La plupart des hommes portés à la tête des affaires publiques manquèrent d'énergie; beaucoup avaient des arrière-pensées; ils furent débordés, entraînés ou renversés, et le torrent n'en acquit que de nouvelles forces. La question de l'émigration, que plusieurs nobles résolurent par incitation, par crainte, ou comme objet de mode, fut cependant une des plus importantes, dans les régiments surtout, où les sous-officiers cabalaient vivement pour se débarrasser des chefs qu'ils voulaient remplacer. Le jugement sain de mon père se prononça contre; il dit, entre autres choses, qu'il ne comprenait pas qu'on pût, en un moment si critique, abandonner le roi, qui était le premier chef de l'armée. Trois officiers seulement de Vermandois restèrent en France; cependant ce n'était pas ce que voulaient les sous-officiers; à leur instigation, une sédition éclata à Perpignan pour contraindre ces officiers à passer en Espagne. Un des trois fut lanterné, c'est-à-dire pendu à la corde d'un réverbère, supplice alors très commun; un autre sauta par-dessus les remparts, et se cassa la cuisse, en cherchant à se sauver des fureurs de la soldatesque; quant à mon père, il alla droit au milieu de la mêlée, avec ses pistolets chargés, et il imposa tellement aux mutins par ses actes ou ses paroles, qu'il fut reconduit en triomphe chez lui; tant l'esprit des masses est changeant, tant le courage et la présence d'esprit font impression sur les hommes!

      Il avait montré sa résolution, lorsqu'il s'agissait de remplir ce qu'il appelait un devoir; il prouva bientôt son désintéressement, quand sa conscience lui prescrivit une ligne opposée de conduite. En effet les factions s'étaient ouvertement attaquées à Louis XVI; et ce monarque infortuné fut condamné à mort bien que sa personne eût été précédemment reconnue inviolable. Révoltante absurdité, familière pourtant à l'histoire de cette période fatale! Mon père n'était point riche; il avait une femme, quatre enfants en bas âge que nul, plus que lui, ne tenait à doter d'une éducation soignée; sa place, ses appointements perdus allaient faire un vide affreux; mais il crut que la fin tragique du roi ne lui permettait plus de continuer à servir, et il demanda sa pension de retraite, qui, en qualité de chef de bataillon, fut réglée à treize cents et quelques francs.

      Il n'avait plus les moyens de laisser ma sœur à Lévignac; elle en fut retirée, quoiqu'il ne manquât que peu de temps pour compléter son éducation. L'intérieur de la maison était susceptible de quelques réductions; elles furent faites par ma mère, qu'aucune femme au monde n'a jamais surpassée pour l'ordre, l'économie, la tenue d'un ménage. Cependant, à peine ces réformes domestiques furent-elles opérées qu'une loi vint réduire à rien les ressources qui nous étaient restées. Ce fut celle de l'émission d'un papier-monnaie, créé, sous le nom plus connu d'assignats, pour remplacer le numéraire que chacun, cédant à la terreur dont il était dominé, avait ou fait passer à l'Étranger, ou enfoui dans les entrailles de la terre. Les assignats ne purent inspirer aucune confiance; ils tombèrent à vil cours, et la pension totale de mon père suffisait à peine à la dépense de la famille pour un seul jour. À cette loi vint se joindre la banqueroute prononcée par le Gouvernement sur les fonds publics qui furent réduits au tiers de leur valeur; car déjà le Trésor ne pouvait plus en payer l'intégralité, et, pourtant, il avait profité de la confiscation des biens des émigrés et de ceux du clergé, qui montaient à plus de 2 milliards. Pour nous, il en résulta l'abaissement d'une rente de 800 francs, que les soins de ma mère avaient formée par ses économies, à 200 et quelques francs, payables alors en assignats, c'est-à-dire à peu près à rien du tout.

      Chaque loi était pour nous un nouveau désastre. Telle fut, entr'autres, celle qui autorisait le remboursement en papier-monnaie de sommes reçues en prêt et en numéraire. Ma mère avait hérité d'une trentaine de mille francs de son père, qui avaient été placés à intérêts, car les militaires ne peuvent guère s'occuper de faire autrement valoir leur argent… Eh bien! ces 30.000 francs furent impitoyablement remboursés en assignats, et il fallut en donner reçu. Telle fut encore la loi sur les héritages. On n'avait même pas, alors, le bon sens de reconnaître que gêner la volonté testamentaire des vivants, c'était les forcer à donner leur bien avant leur mort, à dénaturer leurs propriétés, à placer leur fortune à fonds perdus, ou enfin à négliger et mal administrer leurs affaires; on décréta donc que tous les parents au même degré hériteraient au même titre. C'était sage, pour des enfants vis-à-vis des pères et mères, avec les restrictions pourtant que notre Code y a depuis apportées; mais, dans les autres cas, c'était impolitique, nuisible, injuste. Eh bien! cette loi39 était à peine rendue que le chanoine Valadon, oncle de ma mère, et qui en voulait faire son héritière, mourut, et que nous fûmes frustrés de la portion la plus considérable de son héritage.

      Tu dois comprendre combien était triste notre position, après ces échecs et quelques autres moins

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<p>38</p>

L'auteur veut parler ici de la dernière réunion des États du Languedoc, qu'il appelle États généraux en raison des trois Ordres, celui du Clergé, celui de la Noblesse et celui du Tiers-État. Parlant des États provinciaux, M. Esmein s'exprime ainsi, à propos de l'Ordre de la Noblesse, dans son Cours élémentaire d'histoire du Droit français, p. 601: «Tantôt c'étaient tous les gentilshommes ayant fief dans la province qui avaient droit de séance; tantôt c'étaient seulement un certain nombre de seigneurs qui avaient acquis, par la coutume, un droit personnel de convocation; parfois le roi désignait pour chaque session, à côté de ceux-là, un certain nombre de députés pris dans le corps de la noblesse.» C'est sans doute parmi ces derniers que figura M. de Bonnefoux.

<p>39</p>

Loi du 17 nivôse, an II (6 janvier 1794), art. 16: «Les dispositions générales du présent décret ne font point obstacle pour l'avenir à la faculté de disposer du dixième de son bien, si l'on a des héritiers en ligne directe, ou du sixième, si l'on n'a que des héritiers collatéraux, au profit d'autres que des personnes appelées par la loi au partage des successions.» Ainsi le testateur jouissait d'une quotité disponible du dixième ou du sixième; mais il ne pouvait la laisser à un de ses héritiers présomptifs.