Mémoires du Baron de Bonnefoux, Capitaine de vaisseau, 1782-1855. Baron de Pierre-Marie-Joseph Bonnefoux

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Mémoires du Baron de Bonnefoux, Capitaine de vaisseau, 1782-1855 - Baron de Pierre-Marie-Joseph Bonnefoux

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l'action paraissait inévitable. L'idée d'un combat prochain dissipa le reste de mon mal de mer, et tout le monde s'attendait à se battre, lorsque le capitaine prit une résolution audacieuse, celle de mettre le convoi à l'abri d'Oléron. Le temps s'était obscurci; le détroit de Maumusson47, qui est rempli d'écueils, se distinguait à peine des terres voisines; il fallait beaucoup de prudence et de sang-froid pour réussir à le traverser; toutefois le signal en fut fait; le reste du convoi imita notre manœuvre; il nous suivit dans la route périlleuse que nous lui traçâmes, et nous arrivâmes sains et saufs. Dans peu d'heures, j'avais vu de belles, de grandes choses. Si quelques coups de canon avaient animé la scène, ma satisfaction aurait été à son comble.

      La République, non plus que l'Empire, ne sut garantir nos côtes, ni même l'intérieur de plusieurs de nos ports, des blocus ou des croisières anglaises; espérons qu'une telle humiliation est passée pour la France. L'île d'Aix, située entre les îles d'Oléron et de Ré, était donc bloquée; aussi nous fallut-il un temps infini pour atteindre le pertuis Breton, et guettant mille fois un instant de négligence des croiseurs, attendre un moment favorable pour atteindre la hauteur de l'île d'Yeu. À peine y étions-nous que les Anglais reparurent en force, et nous ne trouvâmes d'asile que dans le petit port de Saint-Gilles48.

      Plus de trois mois s'étaient écoulés; nous étions en décembre 1798, et je voyais mon examen à vau-l'eau; je m'en ouvris au capitaine qui, d'abord, m'avait traité avec assez d'indifférence, mais qui, satisfait de ma contenance le jour de Maumusson, me témoignait depuis lors quelques égards. Il répondit qu'il ne pouvait m'autoriser à débarquer, mais que si je quittais le bâtiment sous ma responsabilité, il fermerait les yeux autant qu'il le pourrait et qu'il n'en rendrait pas compte. Je n'en demandais pas davantage. Sorbet fut enchanté; nous quittâmes la Fouine avec nos effets que nous mîmes au roulage, et nous partîmes pour Nantes à pied, munis d'une sorte de permission en guise de feuille de route, que le capitaine eut la bonté de nous donner à l'instant du départ.

      Nous avions pris les devants de quelques heures sur nos effets, et le malheur voulut qu'un orage, que nous essuyâmes, grossit tellement un torrent que la charrette qui les portait n'arriva que huit jours après nous. Sorbet recommença le train de vie de Bordeaux; aussi, quand il fallut partir, sa bourse était à sec; la mienne put à peine subvenir aux frais d'auberge ou de transport des effets, et il ne me restait plus que 34 francs pour le voyage de Brest: Ce fut donc une nécessité de remettre notre bagage au roulage et de nous acheminer à pied. Le premier jour, nous couchâmes à Pont-Château; nous fîmes par conséquent douze ou treize lieues de poste; le lendemain, Sorbet, dès les premiers pas, se dit fatigué; peu après il parla d'un mal aux pieds, finalement d'un cheval, qu'en bon camarade je louai pour lui; et nous continuâmes quelque temps ainsi, lui monté pendant les trois quarts du temps, et moi l'autre quart. Encore trouvait-il ce quart horriblement long.

      La Bretagne, que nous traversâmes au milieu des décombres, des dévastations, des maisons ruinées et des villages incendiés, n'était pas sans quelque danger pour nous, serviteurs de la République.

      Près d'Auray, par exemple, nous vîmes, sur la route, le cadavre d'un soldat qui venait d'être tué; cependant nous cheminâmes sans autre accident que de nous trouver près de Locronan49, n'ayant plus un sou, et surpris par une pluie violente, pendant laquelle nous nous réfugiâmes sous un arbre où le froid nous saisit et nous engourdit. Des paysans nous y trouvèrent et nous portèrent charitablement dans leur chaumière. C'est là qu'ayant repris nos sens auprès d'un bon feu, nous racontâmes notre histoire, et nous nous réclamâmes de l'adjudant général de Brest. Ces braves gens se laissèrent toucher par notre jeunesse, notre dénuement, notre physionomie; l'un deux, après un jour de repos, nous conduisit à Brest, où M. de Bonnefoux le défraya généreusement, mais nous demanda un compte sévère de nos vingt louis, et surtout de ce qu'il appelait notre désertion. Ce ton auquel je n'étais pas accoutumé, et qui, pourtant, était fondé, me fit une vive impression; je tremblais comme la feuille, lorsque des dépêches lui furent remises; après les avoir lues, il vint à nous d'un air ouvert: «Mes amis, dit-il, la Fouine est prise par les Anglais; nul n'a plus rien à vous demander, et votre faute est cause d'un si grand bien pour vous, qui seriez actuellement prisonniers, que je n'ai pas le courage de vous la reprocher; votre examinateur sera ici dans cinq semaines, et demain vous aurez vos maîtres. Je vais vous embarquer sur la corvette la Citoyenne, qui sert de stationnaire, et dont le capitaine vous permettra de suivre, à terre, le cours d'arithmétique exigé pour être aspirant, (actuellement élève) de 2e classe. Vous avez peu de temps devant vous; cependant je suis persuadé que vous en aurez assez; ainsi, de la bonne volonté, et tout sera oublié.»

      Tant de bonté, tant de raison, changèrent entièrement mes idées, et je résolus de porter, à l'étude, des facultés que, jusque-là, j'avais toutes dévolues au plaisir, à la dissipation; je tins parole, et je travaillai sans relâche. Une semaine avant le jour annoncé pour l'examen, j'étais très bien en mesure; mais ne voilà-t-il pas l'examinateur malade, et qui fait savoir qu'il n'arrivera plus qu'en avril? M. de Bonnefoux m'annonça cette nouvelle avec plaisir, pensant que ce délai me serait utile; cependant j'en fus fort attristé, et j'y pensais avec souci, lorsque le lendemain matin, l'idée me vint de me présenter d'emblée, en avril, pour la 1re classe. J'en fis part à mon cousin, qui me demanda si je savais qu'il fallait répondre, en outre de l'arithmétique, sur la géométrie, les deux trigonométries, la statique et la navigation. «Oui, lui dis-je, mais je me sens de force et j'y arriverai.» J'y réussis; c'est-à-dire que trois mois et demi après mon apparition à Brest et n'ayant pas encore dix-sept ans, j'avais passé un examen très bon, que j'étais décoré des insignes d'aspirant de 1re classe, grade correspondant à celui de sous-lieutenant et qu'en cette qualité j'étais embarqué sur le vaisseau le Jean-Bart, faisant partie d'une armée navale de 25 vaisseaux, prête à appareiller sous les ordres de l'amiral Bruix.

      Ce succès fut un événement au port de Brest. Mon examen avait duré quatre heures; pas une seule fois je n'avais hésité; l'examinateur et les membres de la Commission d'examen m'embrassèrent de satisfaction; l'amiral Bruix m'invita à dîner et me donna une longue-vue. M. de Bonnefoux me fit cadeau d'un sabre superbe, qui était pour moi un véritable sabre d'honneur. Une cousine que nous avions à Brest, Mlle d'Arnaud, aujourd'hui Mme Le Güalès, m'envoya un très bel instrument nautique, appelé cercle de Borda, qui avait appartenu à un de ses frères, officier de marine émigré. Mes nouveaux camarades m'accueillirent avec cordialité. Mon père, ma sœur, m'écrivirent qu'ils étaient dans l'ivresse; et je vis bien clairement qu'il n'y avait jamais eu, pour moi, de plus grand bonheur au monde. Hélas! pourquoi n'avais-je plus de mère pour recevoir d'elle des félicitations qui auraient été si douces à mon cœur?

      Quant au malheureux Sorbet, il ne put même pas être reçu à la 2e classe, et M. de Bonnefoux le condamna, pour lui donner le temps de la réflexion, à faire la même campagne que moi, dans son grade de novice, mais sur un autre bâtiment. Quelle cruelle différence de destinée entre deux jeunes gens du même âge et partis du même point! quelle source de regrets amers pour lui, et comme mon insouciant camarade en fut, par la suite, sévèrement puni!

      CHAPITRE II

      Sommaire: – L'amiral Bruix quitte Brest avec 25 vaisseaux. – Les 17 vaisseaux anglais de Cadix. – Le détroit de Gibraltar. – Relâche à Toulon. – L'escadre porte des troupes et des munitions à l'armée du général Moreau, à Savone. – L'amiral Bruix touche à Carthagène et à Cadix et fait adjoindre à sa flotte des vaisseaux espagnols. – Il rentre à Brest. – L'équipage du Jean-Bart, les officiers et les matelots. – L'aspirant de marine Augier. – En rade de Brest, sur les barres de perroquet. – Le commandant du Jean-Bart. – Il veut m'envoyer passer trois jours et trois nuits dans la hune de misaine. – Je refuse. – Altercation sur le pont. – Quinze jours après, je suis nommé aspirant

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<p>47</p>

Maumusson (Pertuis de), partie méridionale de la passe qui sépare l'île d'Oléron de la côte de la Charente-Inférieure.

<p>48</p>

Saint-Gilles-sur-Vie, chef-lieu de canton du département de la Vendée, arrondissement des Sables-d'Olonne, à 25 kilomètres nord-nord-ouest de ce dernier port.

<p>49</p>

Commune du département du Finistère, arrondissement et canton de Châteaulin.