Madame Corentine. Bazin René

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Madame Corentine - Bazin René

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plus d'un mètre. La jeune fille fit un pas en avant, mouilla sa bottine jusqu'à la cheville, pour remettre le billet au marin, puis se rejeta en arrière.

      – Merci… dit-elle. Puisque vous le voyez, vous, je voudrais savoir… A-t-il beaucoup vieilli?

      Elle le regardait maintenant avec des yeux pleins de larmes.

      Il comprit vaguement, et leva son béret.

      – Un peu, mademoiselle, le chagrin, vous savez…

      – Tout blanc, peut-être?

      – Oh! pas encore! un peu gris, là, aux tempes. Un bien bon homme, M. Guillaume.

      – Et sa mère?

      – Blanche comme une neige, celle-là.

      – A-t-elle encore les deux domestiques?

      – Oui, mademoiselle; Gote et Fantic, toujours les mêmes.

      – Alors, presque rien n'a changé, là-bas? J'avais peur…

      Elle se tut un peu, et ajouta:

      – Ma grand'mère n'a pas fait couper les grands lilas, le long de la rue?

      L'homme se gratta la tête, tâchant de se souvenir, puis il dit, avec une espèce de joie:

      – Non, mademoiselle, non. Je me rappelle maintenant que je suis passé là, en mai. Ils étaient fleuris.

      Simone aurait voulu demander autre chose. Les questions se pressaient dans son esprit. Mais tout cela l'avait trop émue. Elle se détourna, et s'éloigna, suffoquée de sanglots, tâchant de se maîtriser, tandis que l'homme la suivait du regard, et remettait son béret en disant:

      – Pauvre petit cœur! Ça doit être la fille de M. Guillaume.

      Simone marcha doucement, la tête basse, jusqu'à la moitié de la plage. Arrivée là, elle s'était déjà ressaisie. Elle ne pleurait plus. Même, elle éprouvait un contentement et comme un orgueil de ce qu'elle avait fait. Cela dépassait les initiatives ordinaires d'une enfant. Elle le sentait, et, ce qui lui était plus doux encore, c'était de songer à la joie qu'il aurait, lui, son père, en recevant cette ligne écrite par elle, cette ligne qui disait: «Je pense à vous. Je ne vous connais plus guère. Il y a si longtemps que je vous ai quitté! Mais je vous aime. Vous tenez une place très grande dans mes rêves de toute jeune fille. Je voudrais vous revoir. Je voudrais…» Oh! ils en disaient long, les quatre mots au crayon! Et le père comprendrait tout, n'est-ce pas, tout ce qu'elle avait voulu y mettre…

      Elle éprouva un peu de gêne pourtant, quand elle vit, sous l'ombrelle à raies noires, sa mère, blonde et fine, qui lui souriait comme d'habitude.

      – Eh bien, mignonne?

      – Eh bien, maman?

      – Plus d'une heure toute seule! A quoi rêvais-tu?

      – Vous savez bien que je ne rêve pas.

      – Et ce bateau, qu'est-ce que c'est?

      – L'Edith. Très joli, n'est-ce pas?

      Elle avait rougi en parlant. Madame L'Héréec l'avait remarqué.

      – Un anglais? demanda-t-elle.

      – Non, maman.

      Et, détournée à demi vers la baie, pour avoir plus de courage, décidée, d'ailleurs, à tout dire, Simone reprit, très vite:

      – Il va partir. Tenez, vous voyez, là-bas, près de Sainte-Brelade, un canot avec trois hommes, deux rameurs, un qui gouverne. C'est le propriétaire qui rejoint le bord. La brise est bonne, paraît-il. Quand ils auront doublé la pointe, ils iront grand largue aux Sept-Iles.

      – Ah!

      – C'est le marin qui me l'a dit. Et demain, au petit jour, ils seront à Lannion.

      – Lannion?

      – Mais oui, maman, Lannion, répondit Simone en se retournant.

      La petite madame L'Héréec ne riait plus. Surprise, inquiète, elle cherchait à lire sur le visage de Simone, qui paraissait très calme, et qui la regardait. Elle n'eut pas besoin d'un long interrogatoire.

      – Je t'ai vue causer, en effet. Tu connaissais l'homme?

      – Non.

      – Et il t'a raconté?..

      – Rien, dit Simone. C'est moi qui lui demandais de remettre un billet à mon père.

      Madame L'Héréec eut un mouvement de recul.

      – Un billet à ton père? Mais, c'est une…

      Elle n'acheva pas. Son instinct de femme malheureuse l'avertit à temps. Elle savait le danger des violences qui poussent l'enfant vers l'autre époux. Que pourrait-elle dire d'ailleurs? Avait-elle le droit strict d'empêcher Simone d'écrire à son père? Elle se contint. Mais ses mains tremblaient en fermant l'ombrelle. Elle se leva, frappa de petits coups sur les plis de sa robe, pour faire tomber le sable et pour se donner le temps de réfléchir, puis elle dit, avec une résignation affectée, en traçant un cercle, du bout du manche d'ébène, parmi les herbes:

      – Je n'aurais pas cru cela de toi, Simone. Tu avais donc quelque chose à lui apprendre?

      – Non, maman.

      – Alors, qu'as-tu écrit, mon enfant?

      – Mon nom.

      – Rien que ton nom?

      – Avec la date.

      Un imperceptible sourire brida les yeux de madame L'Héréec.

      – Et tu crois qu'on sera heureux, là-bas?

      Elle releva la tête, et s'aperçut qu'elle avait encore dépassé la mesure. Simone s'était détournée. Le regard fixe et dur, les lèvres serrées, elle suivait la manœuvre du sloop qui levait l'ancre. Elle aussi se retenait de parler. Mais elle pensait, dans un frisson de révolte: «Pas heureux! Mon père pourrait ne pas être heureux de savoir que je l'aime? Vous vous trompez! Vous le calomniez! Vous n'avez pas le droit de me dire cela!»

      La pauvre enfant comprit peut-être que sa mère regrettait déjà la question. Après un silence, elle dit avec effort, la voix toute mouillée:

      – Comme il va vite, n'est-ce pas, ce petit sloop?

      – Oui, très vite.

      Toutes deux debout, l'une près de l'autre, elles regardèrent un peu de temps l'ouverture lumineuse de la baie, par où glissait la haute fléchure de l'Edith, au-dessus de la coque presque invisible. Puis elles traversèrent la dune, pour rejoindre la route de Saint-Aubin. Elles marchaient côte à côte, mais séparées d'âmes. Chacune devinait de la pensée de l'autre juste ce qu'il en fallait pour se trouver gênée. Elles ne se laissaient pas aller tout bonnement aux premières idées venues, comme d'habitude. Ce qu'elles se disaient était apprêté. La ligne d'écriture se dressait entre elles comme une barrière. Elles essayaient

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