Madame Corentine. Bazin René
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Seulement il y a des jours où cela ne suffit pas.
– Ma Simone, répéta madame L'Héréec, viens m'embrasser, j'en ai besoin, ce soir… là, tout près…
Simone se redressa, d'un mouvement souple, posa le livre sur la table, et vint s'asseoir tout près de madame L'Héréec, sur une chaise basse. Et la mère attira cette belle tête brune, l'enveloppa de ses bras, l'appuya contre sa poitrine que soulevait une émotion longtemps contenue, se pencha toute blonde au-dessus, et la baisa, la caressa, s'interrompant pour dire:
– Dis, ma Simone, tu m'aimes bien?
– Oh! oui, maman!
– Beaucoup?
– De tout mon cœur.
– Tu ne veux pas me quitter?
– Mais non!
– Répète-le-moi. Dis-moi que tu te trouves bien ici, dans notre maison, avec ta mère.
– Sans doute, maman, je suis très heureuse. D'où vous viennent des idées pareilles?
Elle aurait voulu se dégager, mais sa mère la retenait, s'attendrissant sur elle-même et pleurant de grosses larmes.
– Non, reste! Si tu savais! si tu savais! Ma Simone, tu m'as fait de la peine tantôt… Tu n'aurais pas dû écrire en cachette.
– En cachette! Je vous l'ai dit tout de suite!
– Sans me prévenir, si tu veux… C'est cela qui m'a fait de la peine.
Simone, sentant l'étreinte se relâcher, passa la main sur ses cheveux que les caresses de sa mère avaient mis en désordre, et, redressée, tournée vers madame L'Héréec:
– Voyons, maman, si j'avais demandé la permission d'écrire, surtout d'écrire mon nom, vous me l'auriez donnée? Il est bien naturel que je songe quelquefois à mon père.
– Mais certainement, naturel…
– Alors, je ne comprends pas.
Pouvait-elle comprendre le tourment de jalousie qui agitait le cœur de sa mère? Et la mère pouvait-elle expliquer pourquoi cet acte innocent, en effet, un mot de souvenir adressé au père à demi inconnu, la blessait, elle, et l'inquiétait comme une atteinte portée à ses droits, une menace, un commencement d'abandon? C'était cela justement qui la faisait trembler, à chaque heure, depuis la séparation: la crainte de voir la pensée du mari s'insinuer, grandir dans l'âme de la petite, prévaloir peut-être, et briser pour la dernière fois une existence désespérément liée à la possession de l'enfant. Elle avait peur de ce plaidoyer pour l'absent, tout d'amour et de pitié, qui se bâtit au fond de ces êtres sans soupçon, qui met à profit mille circonstances insaisissables, interprète le silence comme un regret, s'exalte dans la contradiction, et qu'on ne peut pas combattre, parce qu'il faudrait le réfuter. Madame L'Héréec laissa tomber ses mains blanches sur ses genoux, comme découragée.
– Oh! ma Simone! que je suis malheureuse, ce soir!
L'accent de cette voix, pénétrée d'une souffrance vraie, émut tout de suite Simone. Elle tendit ses deux mains vers celles de madame L'Héréec, elle lui répondit d'un de ces regards que les enfants seuls peuvent lever sur une mère ou sur une madone.
– Sais-tu bien, continua madame L'Héréec, que sans toi je n'aurais pas eu le courage de supporter la vie? Tu ne te rappelles pas, toi. Tu étais trop petite. Ç'a été si dur les débuts de notre existence à Jersey! Je pleurais, le soir, quand tu étais endormie. Je pensais que je devais être tout pour toi, que tu me rendrais un jour en tendresse tout ce que je faisais, et cela me redonnait de la force pour supporter les refus, les démarches inutiles, les désillusions, quand je croyais avoir trouvé une idée heureuse et que je la sentais impossible… jusqu'au jour où j'ai eu l'inspiration de monter la maison de la Lande fleurie. Oh! chère! chère! depuis lors, j'ai travaillé comme une ouvrière, – et je n'en suis pas encore déshabituée, tu le sais bien, – pour te faire plus belle, t'acheter de jolies choses, te donner une chambre de jeune fille, te rendre tout ce que tu aurais eu, et plus encore!
Simone souriait. Madame L'Héréec la sentait bien à elle, et cependant, en ce moment même, la tentation lui revint, irrésistible, affolante, de savoir jusqu'à quel point l'enfant était aussi à «l'autre».
– Nous avons eu raison de nous suffire et d'être heureuses l'une par l'autre, dit-elle en touchant le canevas distraitement, du bout de sa plume, oui, nous avons eu raison, car personne ne se souciait plus de nous…
Elle attendit une seconde, et, n'ayant pas de réponse:
– Personne. Nous aurions pu tomber dans la misère, mourir même… qui s'en serait préoccupé?
Elle écouta de nouveau, en tenant sa plume levée. Et Simone répondit:
– Mais, d'abord, maman, mon grand-père Guen.
– Oui, pauvre père, il nous écrit assez régulièrement… Il nous donne des nouvelles de Perros… Je suis persuadée qu'il referait, au besoin, le voyage qu'il a fait une fois pour nous voir, il y a cinq ans… Mais je ne pouvais pas lui demander davantage, surtout de nous prendre à sa charge… Crois-moi, va, on s'est absolument désintéressé de nous. Tout ce qu'on désire, c'est de ne plus entendre parler de moi, ni de toi.
Encore ces attaques, encore cet «on» qui désignait une seule et même personne, et qui revenait sans cesse dans les conversations de madame L'Héréec! Simone le redoutait, ce pronom méchant. Elle souffrait d'être invoquée comme juge, sans cesse, contre son père.
– Comment pouvez-vous supposer cela? dit-elle douloureusement.
– Mais je ne le suppose pas: je l'ai éprouvé. Ce sont des faits. En as-tu de contraires?
Sa voix était devenue provocante, comme elle devait l'être dans les discussions d'autrefois, comme si, derrière Simone, il y avait eu le mari.
– Mon Dieu! maman, dit Simone, vous n'avez eu besoin de personne, grâce à votre activité, grâce à votre adresse. Il n'est pas étonnant que personne ne soit venu à votre aide. Mais des preuves d'intérêt, j'en ai eu.
– Toi? Lesquelles? Je serais curieuse…
– L'accueil que je recevais, quand j'allais passer les vacances à Lannion.
– Et il y a de cela combien d'années?
– Cinq ans, dit plus bas Simone.
– Bientôt six, ma chère. C'est-à-dire que ton père, après avoir usé de son droit au début, – il le faisait sonner assez haut, son droit de t'avoir au mois de septembre! – s'est lassé de toi. Ton dernier séjour à Lannion date de ta neuvième année. Tu as quinze ans. Je ne trouve pas, pour ma part, que l'intérêt soit vif.
– Il y a peut-être des raisons que je ne sais pas.
– Des raisons? Des raisons de ne plus recevoir sa fille? Laisse donc! Ce qu'il y a, c'est, chez toi, un parti pris de tout excuser.
Madame