Madame Corentine. Bazin René

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Madame Corentine - Bazin René страница 8

Madame Corentine - Bazin René

Скачать книгу

mais de caresses pour guérir.

      Elle retournait dans son appartement, heureuse d'avoir fait plaisir et de se sentir tant aimée. En passant à côté du métier, elle jeta un coup d'œil sur le dessin du canevas. A peine si le mouvement fut marqué: une inflexion légère de la taille, les grands cils qui s'abaissent et se relèvent. Mais elle avait vu que le trait à l'encre de Chine en était au même point. Madame L'Héréec avait deviné la pensée de sa fille.

      – J'avais les yeux si fatigués hier soir, dit-elle, que je n'ai pu continuer.

      Une demi-heure plus tard, elles descendaient au magasin, que la servante venait d'ouvrir et de balayer. Il faisait un soleil radieux. Et il était bien joli, sous cette pluie de rayons, l'étalage de la Lande fleurie. La lumière se brisait, en éclats de toutes les couleurs, sur mille objets aux surfaces polies, cailloux du Rhin, broches, bracelets, épinglettes, émaux, éventails en ivoire ou en plumes. Elle mettait une aigrette au bord rose des gros coquillages de l'Inde, sur les ongles des pattes de lagopèdes montées en porte-plumes et en coupe-papier, glissait en lueurs fauves le long des cannes de choux vernies, des cabbage sticks entassés dans un coin, cerclait d'une auréole les assiettes du Japon et les coupes de cristal, d'où s'élevaient, en pyramides crêpelées, tous les tabacs de la libre Angleterre, Virginian, Old Judge, army and navy mixture, Richmond gem, Orient, qui répandaient dans l'atmosphère un parfum de bazar levantin.

      Simone aimait ces choses brillantes et bien rangées. Elle aimait les clairs jours d'été. Elle s'avança, ouvrant les yeux tout grands, comme si elle fût entrée dans une salle de bal, devinant que sa jeunesse et cette lumière étaient faites l'une pour l'autre.

      Madame Corentine, qui la suivait, parut, au contraire, gênée par ce miroitement universel. Elle s'assit derrière un bureau qui occupait le milieu de la pièce, et se courba sur un livre de comptes, tandis que sa fille, debout, penchée au-dessus d'une vitrine, rangeait une collection de bijoux en granit de Jersey et de sous de l'île émaillés. Les doigts de Simone, à petits coups légers, redressaient l'alignement compromis par les acheteurs de l'avant-veille, donnaient une inclinaison plus heureuse à un croissant de pierre bleue ou rose, essuyaient un grain de poussière. Elle avait l'habitude et le goût de ce joli ménage. Son esprit ne s'y dépensait guère. Il lui en restait assez pour songer, et son cœur faisait du chemin autant que sa main en faisait peu, son cœur si jeune, grisé pour un rayon de jour. Elle pensait à son père qui, en ce moment peut-être, lisait la ligne tracée par elle sur la page blanche. Comment l'avait-il reçue? Un petit frisson l'agitait à cette idée. Elle se représentait bien la maison, le jardin, le salon où se tenait sans doute M. L'Héréec, avec sa mère, la sévère madame Jeanne, le coup de sonnette du marin, la porte ouverte par la vieille Gote; mais tout se brouillait ensuite, et elle cherchait, sans pouvoir la trouver, la figure de son père. Cinq années sans le voir avaient presque effacé l'image, altéré les contours, l'expression des yeux, le souvenir du son de la voix. Elle ne pouvait pas. C'était déjà comme si la mort avait passé, avec ses voiles qui s'ajoutent les uns aux autres, d'année en année. Pas même un portrait qui pût l'aider à ressaisir l'impression ancienne et si chère. Dans la nouvelle maison, tout ce qui rappelait le père était banni, excepté une photographie déjà jaune, datant des premières semaines après le mariage, et qu'elle avait aperçue une fois, un jour que sa mère feuilletait des liasses de lettres pliées en quatre.

      Elle se ralentit un peu dans son travail, leva la tête, et regarda sa mère.

      Madame Corentine avait appuyé son menton sur une de ses mains, et, les yeux vagues fixés sur la rue, elle réfléchissait. Elle avait l'air triste.

      Comme tout avait changé, depuis la veille, pour une ligne d'écriture!

      Simone se remit à ranger les bijoux de granit et les sous de Jersey. De temps en temps, elle levait les yeux vers le bureau d'où ne venait aucun bruit de plume rayant le papier, aucune ombre rapide d'un bras levé brisant les lueurs du parquet. Elle retrouvait toujours la même silhouette fine et songeuse.

      Il devait y avoir autre chose que le souci de la veille, pour que madame Corentine fût à ce point absorbée dans ses réflexions. Après le déjeuner, elle annonça l'intention d'aller rendre visite à miss Ellen Crawford, vieille demoiselle pauvre, qui se disait toujours institutrice, bien que, depuis longtemps, on ne lui eût connu aucune élève, et pouvait sans déchoir, à l'abri de ce pavillon, rendre mille petits offices rétribués qui lui eussent fait sans cela un état inférieur: Miss Ellen gardait les cottages, les louait, gageait les cuisinières, et prenait en pension, dans son petit jardin de Springfield Road, les géraniums et les fuchsias laissés par les baigneurs ou par les familles en voyage.

      Simone, restée seule, se demanda ce que sa mère pouvait bien avoir à confier à miss Ellen Crawford. Il lui fallut attendre, pour le savoir, plus d'une grande heure, vendre une demi-douzaine de cabbage sticks, de broches en vieil argent et de vues de Jersey. Enfin sa mère revint, et, comme personne ne se trouvait arrêté à la devanture du magasin:

      – Simone, dit-elle, je viens de convenir avec miss Ellen qu'elle gardera la maison pendant une absence que je compte faire.

      – Avec moi?

      – Oui. Marie-Anne désire beaucoup que je sois marraine de son enfant; j'ai réfléchi, et j'accepte.

      – Oh! maman!

      La jeune fille traversa l'appartement; elle arriva, toute sa joie étonnée dans les yeux, jusqu'à madame Corentine, qui se tenait au delà de la porte, et enlevait son chapeau.

      – Alors, Perros? dit-elle.

      – Certainement.

      – Et le grand-père Guen?

      – Et même Lannion, si tu veux.

      Simone voulut passer le bras autour du cou de sa mère.

      – Merci, dit-elle, vous me faites si grand plaisir!..

      Elle s'arrêta, sentant que sa mère la repoussait doucement.

      – Laisse-moi, petite, laisse-moi. Nous ne partons pas tout de suite, d'ailleurs. Dans quatre jours: miss Ellen est occupée jusque-là.

      L'enfant s'écarta. Elle vit que sa mère pleurait. Sa joie, brusquement refoulée, lui fit comme une blessure à l'âme. De nouveau, elles souffraient de tant s'aimer sans pouvoir se mettre à l'unisson.

      Mais, un moment après, comme elles rentraient toutes deux dans le magasin, madame Corentine pria Simone d'aller chercher une liasse de papiers dans une des chambres du second. Simone partit. Elle monta l'escalier en courant. Et à mesure qu'elle montait, la joie recommençait à grandir en elle. Il fallait passer par un couloir vitré d'où l'on découvrait, par-dessus les toits voisins, le bout des jetées de Saint-Hélier et une large bande de mer. Simone s'arrêta. Elle regarda, tout attendrie, la limite bleue si loin, si loin. Et, comme personne n'était là pour l'épier, elle envoya un baiser vers la terre invisible de France.

      Au retour, elle entra, sans raison, dans sa chambre de jeune fille, qu'elle trouva plus jolie que de coutume.

      Des mots traversaient son esprit, bondissant l'un après l'autre, se rattrapant, se confondant, pêle-mêle, sans repos, comme des papillons de printemps: Perros, Trestrao, Marie-Anne, Lannion, Guen, Sullian, le père.

      Et elle souriait à tous.

      III

      A peine le voyage de Lannion fut-il décidé, que madame Corentine regretta la parole donnée.

      Elle

Скачать книгу