Madame Corentine. Bazin René

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Madame Corentine - Bazin René

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Perros:

      – Enlève, petite!

      Marie-Anne souleva le panier, le douanier porta la main à son képi, et Guen se mit à marcher rapidement vers le bourg. Arrivé à l'endroit où la jetée se coude pour rejoindre le quai, il se détourna pour voir l'étranger qui lui avait ainsi fait perdre ses mots, leva les épaules, et dit, d'une voie radoucie, tandis qu'une sorte de contentement plissait ses joues raidies par le vent et par le sel:

      – Eh! eh! Marie-Anne! jolie pêche, n'est-ce pas?

      – Oui, père!

      – Et je n'ai été que jusqu'à la Noire de Thomé, sais-tu? Je n'avais qu'à moitié le cœur à mes lignes. Toujours je croyais qu'il nous était arrivé quelqu'un. Personne n'est venu?

      – Non, personne, répondit la jeune femme en changeant de main le panier.

      – Et pas de lettres?

      – Non plus.

      – Ça sera pour demain. Dommage que ton Sullian ne soit pas là, lui qui aime tant la soupe de vieilles! Enfin tu les porteras aux Tudy, qui sont pauvres.

      – Oui, père.

      Ils longèrent le quai, où quelques notables, moins actifs que le vieux Guen, revenus de toute navigation, même de la petite, bonnes gens à colliers de barbe rude, assis sur les bornes d'amarre et les pieds sur les câbles, échangèrent avec le capitaine le grognement bref des anciennes connaissances du même port. Ils baissaient la tête, balbutiaient un bonjour, et laissaient passer avec la belle indifférence d'un navire qui en croise un autre.

      Guen, au milieu du port, inclina à droite, entra dans le petit cul-de-sac qui formait une place minuscule au-devant de sa maison, passa sous l'auvent couvert d'ardoises épaisses, d'un bleu gris, qui tremblaient, les jours de tempête, comme un clavier de castagnettes, et ouvrit la porte.

      Pas de lettres! Cela le tourmentait un peu. Pourquoi Corentine n'avait-elle pas écrit, ni Sullian?

      Selon son habitude, quand il rentrait de la pêche, il s'assit à califourchon sur une chaise, et alluma sa pipe, tourné vers le maigre feu qui faisait bouillir la marmite.

      – Je sors, père, dit Marie-Anne; je vais chez les Tudy.

      Quand elle eut refermé la porte, la longue salle enfumée redevint aux trois quarts obscure. Une seule fenêtre l'éclairait, petite et grillagée, à droite de l'entrée. Il faisait nuit de bonne heure dans cette pièce basse, qui servait de cuisine et de magasin de pêche au capitaine. Une table, des chaises, des filets, des lignes roulées sur des lièges, une paire d'avirons pendus au mur, une voile neuve dans un angle, c'était tout l'ameublement. Par prévision, depuis quatre jours, on avait dressé dans le fond un lit de bois pour le capitaine: si les Jersiaises allaient arriver! La chambre du capitaine, là-haut, était prête à les recevoir. Mais non, rien, pas de nouvelles!

      Pourquoi se tourmenter, cependant? Corentine était comme cela, capricieuse, irrégulière. N'allait-elle pas se décider tout à coup et sans prévenir? Il la connaissait bien, sa Corentine! Si elle allait revenir au pays, là, chez lui! A cette pensée, qu'il avait eue pourtant bien des fois, Guen sentit son cœur se troubler.

      C'est qu'il l'aimait bien, Corentine! Il l'avait aimée, même, d'un amour de prédilection, quand elle était jeune fille, et qu'on le louait si souvent à cause d'elle. Au retour de chaque voyage, il la trouvait embellie. Il comptait avec orgueil qu'il pourrait lui donner une dot assez ronde, pour une fille de simple capitaine, vingt mille francs, et qu'elle serait recherchée par quelque breveté, commandant un beau navire à vapeur, un de ceux qu'il aurait voulu être, lui.

      Hélas! ç'avait été son grand chagrin bientôt, sa fille aînée. Il ne lui en avait pas gardé rancune. Il l'avait excusée tant qu'il avait pu, disant: «Attendez, laissez venir le temps», et, plus tard, quand, répudiée, chassée de Lannion, réfugiée à Perros pendant le procès qui se déroulait, elle était en butte aux médisances de tant de mauvais cœurs jaloux, ne cessant de répéter: «On n'a pas su la prendre, on a été trop dur avec Corentine, oui, trop dur!»

      Ses raisons n'étaient jamais bien abondantes ni compliquées. Il n'avait point voulu entendre ce qu'on lui contait des dépenses, de la coquetterie et des impertinences de sa fille. Et il était demeuré frappé dans sa joie de vieux brave homme, dans la paix de sa conscience droite, comme par un malheur injuste, quand madame Corentine, séparée, trouvant la vie impossible à Perros aussi bien qu'à Lannion, s'était enfuie à Jersey.

      Depuis ce moment-là, il s'était mis à pêcher avec passion. Il passait des jours, quelquefois une partie de la nuit, dans son canot à une voile, toujours seul et par tous les temps. Les retraités de son âge, qui le voyaient tant naviguer et se lasser, lui, un riche, qui avait bien le moyen d'acheter son poisson, disaient: «C'est Corentine qui lui manque. Il a un chagrin, cet homme-là.» Et ils n'avaient pas tort.

      Mais la maison du port l'induisait aussi en tentation. Rien ne volait, rien ne flottait sur la baie qu'il ne le vît, pas un coup de vent, pas un yacht, l'aile tendue, gouvernant vers la jetée, pas un vol de ces petites bécassines qui vont, comme des balles d'écume fouettées du vent, d'une grève à l'autre. Des fois, quand il souffrait d'un rhumatisme, il regardait par la fenêtre de sa chambre, pendant des heures, la ligne d'horizon, nette, légèrement courbée, et il naviguait en pensée. Il s'en allait bien loin dans les grands espaces, dans l'infini où il avait commandé ce petit point obéissant, mobile, intrépide, qui s'appelait l'Armide ou le Légué.

      Des ports lointains où il s'était arrêté, des escales pour une avarie, pour un supplément de charge à prendre, lui revenaient en mémoire, et les navires qu'on croisait, et les jolis profits du commerce que lui permettait l'armateur, et les nuits sous les vergues tendues qui criaient, d'un gémissement doux, à chaque houle, et le susurrement continu de la brise dans les mâts de sapin, si beaux chanteurs qu'on les eût dit accordés ensemble pour se répondre et siffler en parties! Il y avait si longtemps que la mer lui avait pris le cœur! Il se rappelait les fiançailles, quand, futur mousse aux pieds nus, il courait dans les vases du Guer, pêchant des crabes et des anguilles jusque sous la carène des goëlettes amarrées au quai; il se rappelait le capricieux et fort amour dont elle l'avait aimé, elle aussi, quarante-cinq ans durant, ses caresses, ses colères, l'indicible malaise qu'il éprouvait loin d'elle, les nuits toujours parlantes, l'œil mobile des lames qui fuirent. Oh! il était bien de la race aventureuse dont il est dit, dès les siècles anciens, qu'elle aimait à se lancer sur la mer pour y découvrir des îles, de l'espèce des oiseaux qui ne trouvent pas seulement leur nourriture au large, mais qui aiment à y planer pour le plaisir et pour le libre essor de leurs ailes.

      Cependant, toute cette douceur qui lui venait du voisinage de la rade était empoisonnée par la pensée de la séparation d'avec sa fille aînée. Même en regardant la mer, même en se souvenant de ses belles années, il se rappelait les mauvaises. Il y avait des calomnies, des mots qu'il ne pouvait plus chasser. Par exemple, cette phrase de madame L'Héréec la mère, de madame Jeanne, comme on la nommait, disant au tribunal: «Je savais, dès le début, que mon fils se repentirait de cette mésalliance, et je l'en avais prévenu.»

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