Champavert. Borel Pétrus

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Champavert - Borel Pétrus страница 12

Champavert - Borel Pétrus

Скачать книгу

un soir, s’étant glissé chez elle, l’avait forcée avec violence. Quant au crime qu’on lui imputait, elle avouait qu’il pouvait être, mais qu’il ne lui en restait nul souvenir positif; et que n’ayant pris aucun aliment depuis plusieurs jours, quand les douleurs de l’enfantement lui étaient survenues, elle devait avoir été assurément dans un état complet de démence.

      Sur cinq médecins appelés à constater quel avait pu être son état moral lors de son accouchement, un seul avait affirmé l’aliénation, et quatre l’avaient niée.

      Au moment où l’accusateur public, M. de l’Argentière, se leva et entonna sa déclamation, Apolline, frappée comme à un accent connu, tourna ses regards sur lui, jeta un cri perçant, et se renversa sans connaissance.

      Jamais réquisitoire ne fut plus violent et plus inhumain: il n’est rien que M. de l’Argentière ne mit en jeu pour accabler l’accusée. Il poussa sa rage extravagante jusqu’à la comparer à Saturne, qui dévorait ses enfans, et se résuma en demandant sa tête. – Ne vous laissez point séduire, criait-il, par les beaux dehors de cette mère dénaturée, le laurier-rose contient un venin subtil, la beauté n’est souvent que le voile de la perfidie; ne vous laissez point faiblir, messieurs, il faut un exemple absolument, pour arrêter l’infanticide en son cours. Messieurs, soyez inexorables, vous serez justes!

      L’avocat d’Apolline, avec un rare talent, s’acquitta de sa défense; son plaidoyer aurait arraché des larmes à des tigres, le tribunal resta froid; et l’accusateur commença sa sauvage réplique.

      Quand la pauvre Apolline eut recueilli ses esprits, elle se leva brusquement, et montrant du poing l’accusateur, M. de l’Argentière: – C’est lui! criait-elle, c’est lui! je reconnais sa voix, c’est lui! cet homme-là qui parle! c’est lui que j’ai vu aux rayons de la lune, blême et rouge, l’œil caverneux… Puis, fondant en larmes, elle jetait des hurlemens.

      – Cette enfant est égarée, dit froidement M. de l’Argentière, dont la morne physionomie n’avait pas laissé paraître la plus légère émotion.

      – Emmenez l’accusée; et nous, messieurs, passons dans la salle de délibération, ordonna le président.

      Au bout d’un quart d’heure, la cour rentra en séance: le jury ayant répondu affirmativement à toutes les questions posées, le président fit lecture de la sentence, qui condamnait Apolline à la peine capitale.

      Elle écouta son arrêt avec dignité, et dit seulement, se tournant du côté de l’accusateur public: – Ceux qui envoient au bourreau sont ceux-là mêmes qui devraient y être envoyés!

      Son défenseur, égaré, pleurant et se heurtant le front, se jeta dans ses bras, et l’embrassa, au grand scandale de la cour, qui demanda si elle voulait se pourvoir en cassation. – Oui, répondit Apolline, mais au tribunal de Dieu.

      Le matin du jour, on lui envoya un prêtre pour se préparer; il ne sortit plus d’auprès d’elle. Apolline lui ayant naïvement raconté son histoire, le pauvre homme, convaincu de son innocence, pleurait désespéré; celui qui était venu la consoler était plus faible qu’elle et plus inconsolable. – Pauvre martyr! l’appelait-il, en lui baisant les pieds comme on baise une châsse sainte. Il n’osait lui parler de son Dieu juste et bon; sa providence était trop compromise par cette vie fatale.

      A quatre heures, le geôlier monta l’avertir. Sa toilette achevée, elle descendit, soutenant son confesseur.

      Aussitôt la charrette se mit en marche. Il semblait que toute la population de Paris s’était encaquée du palais à la Grève. De haut en bas, les maisons étaient chargées de spectateurs avides: jamais supplice n’avait attiré plus de monde. – La voilà! – la voilà! répétait-on de rang en rang.

      Qu’elle était belle du haut de son tombereau, cette infortunée Apolline! quelle dignité! quelle résignation! Son teint était plus blanc que le peignoir qui l’enveloppait, et sa chevelure plus noire que le prêtre qui pleurait à ses côtés. Elle promenait sur la foule son regard langoureux; les commères lui montraient le poing, et les jeunes hommes attendris lui envoyaient des baisers. Enfin, la charrette déboucha sur la Grève. En montant à l’échelle, Apolline aperçut, à une croisée, M. de l’Argentière qui la fixait froidement; elle en jeta un long cri d’horreur, et tomba faible entre les bras d’un valet de guillotine. Il se fit alors un brouhaha général et une fluctuation dans la foule. Il pleuvait: – A bas les parapluies, on ne voit pas! criait-on de toutes parts; – à bas les parapluies! répétaient des voix de femmes; – soyez galans, messieurs, on ne voit pas!

      Toute la tourbe, le cou tendu, était sur la pointe du pied.

      Quand le coutelas tomba, il se fit une sourde rumeur; et un Anglais, penché sur une fenêtre qu’il avait louée 500 fr., fort satisfait, cria un long very well en applaudissant des mains.

       JAQUEZ BARRAOU LE CHARPENTIER

      –

      LA HAVANE

      Car amour est fort comme la mort,

      Et jalousie est dure comme enfer.

La Bible.

      Je suis noire, mais je suis belle comme les tabernacles de

      Cédar, comme les peaux de Salomon.

La Bible.

      Eh! pourquoi cette jalousie?..

P. L. Jacob, Bibliophile.

       I

      PESADUMBRE Y CONJURACION

      C’était le jour de Dieu: assez l’indiquaient le calme des campagnes, l’air jovial et le linge blanc des esclaves qui passaient au loin sans râler sous d’énormes fardeaux, hommes infortunés! auxquels il ne manque plus qu’un grelot de mulet. Le soleil dardait à l’heure de la sieste; cependant le charpentier Jaquez Barraou, noir membru et gigantesque, vint s’asseoir à la porte de sa case engoncée, pour ainsi dire, dans une crique, où se trouvaient amarrées deux pinasses et une balancelle en radoubs. Le sol était jonché çà et là de bois en grume, de billots et de madriers.

      Jaquez Barraou avait encore sa chemise rayée et ses vêtements de travail; pourtant, lui, si religieux, n’avait point travaillé, car c’eût été péché mortel. Il était pieds nus. Dans toute sa personne régnait un nonchaloir qui contrastait avec son maintien énergique. Sous sa laine crépue et noire roulaient deux gros yeux blancs: souvent, il les promenait sur la mer et sur le terroir environnant; souvent, il les soulevait aux cieux, puis les reportait fixement sur la Havane, sourcillant et lançant avec mépris des bouffées d’une fumée bleue qu’il aspirait d’un long cigare.

      Il eût été difficile de s’expliquer les mouvemens et les brusques soupirs de cet homme; son regard, chagrin et menaçant, qu’il arrêtait tantôt sur la vaste mer des Antilles, dont il semblait mesurer l’étendue, et que tantôt il jetait sur la ville, aurait pu faire penser qu’il était abîmé dans des rêves nostalgiques; que son cœur était meurtri par le mal du pays, cet amour violent de la patrie absente que rien ne saurait abattre, qui fait encore trouver des larmes aux vieillards canadiens courbés sous le joug infamant de l’Anglais, rien qu’au seul nom de leur ancienne patrie, et qui leur fait parfois repousser avec dégoût les jeunes enfans de leur race, qui fatiguent leurs oreilles de la rude langue des vainqueurs. Il paraissait toiser la distance de son Afrique à cette rive américaine, et maudire les Européens barbares qui l’y avaient transplanté après l’avoir échangé contre

Скачать книгу