Champavert. Borel Pétrus

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Champavert - Borel Pétrus

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j’étais trompée!..

      – La belle, dit alors l’énigme à pleine voix, la morale de ceci est qu’il ne faut pas recevoir ses amants sans flambeau.

      A cet accent inconnu, Apolline tomba de sa hauteur sur le plancher.

      Quand, revenue de son anéantissement, elle eut recueilli ses esprits et ses forces, elle se traîna sans bruit jusqu’à la croisée, un rayon de la lune glissant dans la chambre éclairait la tête de l’homme qui dormait profondément dans un fauteuil. Apolline, tremblante, le considéra: il était vêtu de noir, portait baissée une tête blême, où pleuvaient des cheveux roux; ses yeux étaient caverneux, son nez long et en fer de lance, ses joues étaient accoutrées de favoris rouges, taillés carrément comme des sous-pieds.

      – Quel est cet homme? se disait cette malheureuse enfant. Oh! l’infâme Bertholin, c’est lui qui m’a fait cette abomination!.. à qui croire? ah! c’est affreux que de tromper ainsi!..

      Sur la poitrine de l’inconnu elle sentit un portefeuille; tout au monde elle aurait donné pour pouvoir le soustraire, espérant par-là découvrir son suborneur; mais c’était impossible, son habit était croisé et boutonné jusqu’en haut.

      En cette fatale angoisse elle maudissait Bertholin et Dieu.

      Enfin, accablée par le chagrin, le sommeil, elle s’accroupit de nouveau et s’assoupit sur le plancher trempé de ses larmes.

      Quand elle s’éveilla, il faisait grand jour, le fauteuil était vide, elle était seule, face à face avec sa honte.

       III

      MATER DOLOROSA

      Le portier monta dans la journée chez Apolline pour lui remettre un sac d’argent: c’était la somme que Bertholin devait lui faire parvenir incognito après son départ; car il redoutait qu’avant son retour, cette malheureuse, sans ressource, ne succombât sous le besoin.

      – De quelle part? demanda Apolline.

      – Je ne sais, mademoiselle, un inconnu vient de me l’apporter pour vous, sans dire plus.

      – Remportez cet argent!

      – Je ne puis, on m’a bien dit: pour mademoiselle Apolline.

      – Remportez-le, vous dis-je!

      Le bon homme était tout interdit.

      Apolline, fière et noble, le repoussait d’autant plus durement, qu’elle présumait en son cœur que c’était le prix de son déshonneur, que l’homme de la nuit tarifait pour l’humilier encore et l’avilir plus bas.

      Mais le portier, tout en s’excusant, jeta le sac sur la table et se retira précipitamment.

      Tout le jour, Apolline fut aux aguets; elle écouta si elle n’entendrait point, au-dessous, dans l’appartement de Bertholin, quelque bruit, marcher, remuer des meubles, ouvrir les portes ou les fenêtres, mais vainement. Ainsi, elle épia plusieurs jours de suite, sans plus de succès. Enfin elle se hasarda, un soir, de descendre heurter; pas de réponse: Bertholin avait emmené ses domestiques avec lui.

      L’imbroglio se compliquait, et la pauvre Apolline y perdait la tête: – A-t-il déménagé? se disait-elle, mais je l’aurais entendu; aurait-il quitté Paris? et, avant son départ, aurait-il comploté avec un de ses intimes l’affreuse fourberie … Oh non! c’est impossible. Il serait donc bien faux et bien méchant! Oh non! Bertholin est un homme sensible et vrai … Qui m’expliquera tout cela? Elle allait, dans sa perplexité, jusqu’à douter d’elle-même, et se demander si son regard ne l’avait point trompée dans les ténèbres et si ce n’était point Bertholin lui-même qui s’était offert étranger à son imagination frappée. – Pourtant ce n’étaient point ses traits; je ne rêvais pas: pourtant ce n’était pas sa voix, pourtant ce n’étaient pas ses manières élégantes; oh non! ce n’était point lui.

      Une semaine environ après cette mésaventure, Apolline reçut une lettre datée du Mont-Blanc; elle était de Bertholin, et s’exprimait ainsi:

      Pardon, ma belle future, si je suis parti sans vous avoir baisé les mains; j’ai voulu nous épargner des adieux pénibles. Appelé à la préfecture du Mont-Blanc, je suis allé prendre possession de mon royaume. J’espère, avant quinze jours, revoler près de vous consacrer notre union secrètement, et aussitôt repartir pour ce pays qui, je pense, ne vous déplaira point. Vous n’avez pas eu sans doute la maladroite fierté de repousser la faible somme qu’on doit vous avoir remise d’une part invisible; vous êtes mon épouse, et je souffrirais trop de vous savoir des privations.

      Cette lettre ne fit qu’accroître l’embarras d’Appoline: après tant de belles démonstrations, elle n’osait plus accuser Bertholin de noire perfidie; et cependant, à l’heure dite du rendez-vous, bien informé, un autre était venu en son nom la violenter. Mystère inextricable! la raison la plus plausible était que son billet avait pu s’être égaré entre les mains d’un étranger.

      Quelque temps après cette première lettre de Bertholin, elle en reçut une autre, où il lui annonçait que, surchargé de travaux imprévus, il était forcé de retarder son départ.

      A cette époque, Apolline commença à ressentir un malaise général. Dégoûtée de tout aliment, il lui prenait souvent des tranchées et des vomissemens; son inquiétude devint grande. Un médecin lui conseilla l’usage du safran, qui n’eut aucun résultat; alors il la déclara tout net en grossesse. A cette nouvelle, Apolline tomba dans la consternation et le désespoir.

      Nuit et jour, elle pleurait amèrement. Sa position devenait bien cruelle. Bertholin lui avait enfin annoncé son retour; et, d’heure en heure, elle s’attendait à le revoir. Que faire en cette fatale conjoncture? Lui cacher et le duper était chose difficile et malhonnête; lui déclarer tout franchement, c’était tout perdre, et cependant sa délicatesse ne lui laissait que ce parti. Aussi résolut-elle de lui confesser sans déguisement dès son arrivée, et peut-être espérait-elle que sa générosité lui pardonnerait une faute désespérante, commise pour lui et par lui.

      Enfin, Bertholin reparut: dès l’abord, il remarqua un grand changement en elle, une tristesse, un air guindé à son vis-à-vis, une altération et un amaigrissement dans ses beaux traits. Il la comblait de tant de caresses et de tant d’amour, que, malgré sa résolution ferme, Apolline n’osait entamer son aveu: vingt fois le premier mot expira sur ses lèvres tremblantes; elle n’osait jeter un si grand désenchantement à un homme si grandement épris. Bertholin s’inquiétait aussi, et ne savait à quoi attribuer tant de larmes.

      L’heure de frapper le coup sonna: les préparatifs et les démarches légales étaient faits; le mariage était fixé au samedi suivant; c’était à Saint-Sulpice, à minuit, que, devant deux ou trois témoins, ils devaient, en grand négligé, recevoir la bénédiction nuptiale, pour partir le matin même.

      Le jeudi soir, Bertholin invita Apolline à descendre en son appartement, et joyeux, la conduisit, dans le salon: le guéridon et le sopha étaient couverts d’étoffes, de châles, de parures, de bijoux.

      – Voici, ma belle, quelques présens que vous offre votre humble époux, puissent-ils vous être agréables.

      Apolline se prit tout à coup à sangloter, et resta morne à l’entrée.

      – Qu’avez-vous, mon amie? approchez, tout cela est à vous! Aimez-vous cette robe de velours

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