Champavert. Borel Pétrus

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Champavert - Borel Pétrus

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propos, mon cher l’Argentière, habile en subterfuges et en échappatoires, comment te tirerais-tu de cette perplexité? Je dois partir absolument demain matin, et j’ai pour demain soir un rendez-vous très-alléchant.

      – Le cas est simple, mon ami, je partirais sans aller au rendez-vous, ou j’irais au rendez-vous et je ne partirais pas.

      – Mauvaise robinerie.

      – Si tu veux du plus grave: à priori, renseigne-moi mieux que cela sur la matière. Quel est ce rendez-vous? est-il du genre masculin ou féminin? est-ce pour affaires commerciales ou paillardes?

      – Du féminin et tournant au paillard.

      – Tonnerre du père Duchêne! si tu ne tiens à l’unité de lieu aristotélique, le problême est facile à résoudre. J’emmenerais avec moi la princesse, et, demain soir, je serais au rendez-vous à Auxerre.

      – Et si la bégueule faisait la Lucrèce?

      – Ventrebleu! Je ferais le petit Jupiter et de bon ou de maugré je forcerais la belle Europe à me suivre.

      – Et le lendemain qu’en ferais-tu?

      – Je n’en ferais rien: je la laisserais à Auxerre pleine de mon souvenir!

      – Et, à son tour, que ferait cette malheureuse?

      – Malheureuse!.. bienheureuse au contraire que je lui aie créé une industrie!.. Elle n’aurait qu’à prendre le coche et venir ici chercher des nourrissons.

      – L’Argentière, tu fais le roué!.. Non, mon ami, non, ce n’est point une fille digne d’un traitement aussi hussard, c’est une jeune enfant infortunée!

      – Allons, de la sensiblerie; c’est cela, vite une scène de mouchoir.

      – C’est un prestige qui éblouit, une hamadryade, un lutin dont le charme entraîne …

      – Au précipice.

      – Je le suivrai … qui l’a vue l’aime, qui la verra l’aimera.

      – Peste soit de l’amoureux transi!

      – Tu aurais beau te forger un cœur de fer, il serait bientôt bossué.

      – Dans quel cimetière, vieil ours, as-tu déterré cette chair fraîche? Mais comment diable as-tu pu gagner les faveurs de cette curiosité?

      – Quant à ses faveurs, je ne me suis jamais vanté de cela, je mentirais: et quant à la trouvaille, elle est sans mérite.

      Depuis long-temps cette pauvre Apolline habite la même maison que moi; je l’ai connue toute petite; elle me faisait la révérence avec tant de gracieuseté, quand elle me rencontrait; sa mise était toujours riche et soignée. Que sa vue me mit souvent du sombre dans l’âme! Je maudissais mon célibat et mon isolement; j’enviais toute la joie d’un père, possesseur d’une aussi belle créature; alors la paternité, comme dans ma jeunesse, ne se présentait plus à mon esprit sous un aspect comique. Son père, en ce temps-là, sous le consulat, occupait un assez haut emploi qui versait l’abondance dans cette petite famille; mais, s’étant, je ne sais comment, trouvé compromis dans quelque machination, quelque prétendue conjuration, un beau matin, la police du consul vint l’éveiller, et, sans autre jugement, depuis cette fois il est claquemuré comme prisonnier d’État. Sa majesté l’Empereur est rancunière. L’opulence de la maison tomba avec le père. Apolline grandissait chaque année en misère et en beauté; arrivée à l’âge où la coquetterie et le besoin de parure se fait sentir vivement, elle n’avait plus pour s’attifer que quelques lambeaux de toilette, dorures effacées, lambris en ruines; mais il lui restait quelque chose de royal, une erre impérieuse. Hélas! que c’était triste de voir une si belle personne, honteuse et fuyant le jour, enveloppée dans un cachemire troué et des savates aux pieds, descendre acheter de grossiers légumes au marché voisin! Mon cœur en a souvent saigné! Quoi de plus poignant et de plus amer?

      Si tu veux rire, l’Argentière, ris au moins de moi, car ce serait féroce que de rire d’elle!

      – Je ris, Bertholin, d’entendre sortir de ta bouche des paroles si contraires à ta coutume; toi, célibataire dogmatique, par principe haineux des femmes, somme toute, bon homme rassis! C’est mal choisir l’heure d’être amoureux: poursuis ton rôle de père Cassandre, pour celui d’Arlequin il est trop tard.

      – Aurais-tu l’intention de me blesser?

      – De plus en plus ridicule; décidément, tu es amoureux!

      – Eh bien, oui! je suis amoureux! et ne rougirai pas d’un amour sage, d’un amour engendré de la pitié, et je bénis le ciel…

      – Ou tu ne bénis rien!..

      – … Qui m’a conservé libre jusqu’à ce jour, afin que je puisse être tutélaire à cette orpheline.

      – Tu as souscrit au Châteaubriand, est-ce pas?

      – Afin que je devienne l’ange gardien de cette vierge abandonnée, que le besoin pourrait tuer ou corrompre. Elle est aujourd’hui tout-à-fait isolée: sa pauvre mère, affaiblie par tant d’années de privations et minée plus encore par les souffrances de sa fille, est morte il y a trois mois. Quand les cris d’Apolline m’apprirent qu’elle venait d’expirer, ému, je montai la consoler et lui offrir mes services en cette horrible circonstance. Je me chargeai des démarches funèbres, et la fis enterrer par la mairie. Pour la première fois, je parlais à Apolline: dire le coup qui me frappa, quand j’entrai dans cette chambre dénuée, en désordre, quand cette fille me baisant les mains, la voix pleine de larmes, me remercia, j’étais hors de moi, je ne sais pas, je ne me rappelle rien, je pleurais!.. Elle, égarée, à génoux contre un lit de sangles, était accoudée sur le corps de sa mère, qu’elle appelait.

      Cette heure a usé dix ans de ma vie!..

      Et c’est de tant de pitié, qu’est sorti tant d’amour.

      Quelques jours après, je fus la visiter: tout le temps que je causai avec elle, je lui remarquai un air embarrassé; elle se tenait toujours assise et ses deux bras toujours étaient posés sur son giron: quand elle se leva pour me reconduire, je vis que sa robe, par-devant, était déchirée et trouée et que sous ses petites mains elle avait tâché de dissimuler sa misère.

      Après quelques temps d’assiduité, séduit par son esprit doux et triste, épris de sa beauté rare, éperdu comme un jeune homme, je lui fis l’aveu de ma passion. Elle me répondit qu’elle avait une trop haute estime de moi pour présumer que je voulusse exploiter son dénuement; qu’elle croyait sincèrement à la noblesse et à la pureté de mes sentiments; mais, qu’ayant résolu de quitter le monde, où elle avait tant souffert, elle venait d’écrire à la supérieure du couvent de Saint-Thomas afin d’y être admise en noviciat. J’eus beaucoup de peine à la détourner de ce projet: je lui fis sentir qu’assurément elle se tuerait en embrassant une vie austère après toutes les douleurs qui l’avaient affaiblie. Enfin, elle se rendit.

      Je ne m’abuse point assez sur moi-même, pour croire que cette douce Apolline ait un amour vif pour moi: elle me chérit comme son père; je suis pour elle un tuteur généreux, un ami compatissant. Elle est d’autant plus attachée à moi, que jusque-là elle n’avait rencontré que des êtres égoïstes et féroces. Elle est bonne, sensible, bienveillante, sans folie, que pourrais-je demander de plus?

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