Le Fils de Coralie: Comédie en quatre actes en prose. Delpit Albert
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Cela m'est égal. Elle et moi, nous faisons tout ce qu'elle veut.
Tu m'ennuies, à la fin.
Ça m'est encore égal.
Est-elle ma fille, oui ou non?
Mon bon ami, tu as abdiqué tes droits pour étudier l'archéologie. Tant pis pour toi! C'est ta sœur et moi qui avons élevé Édith, nous sommes les plus forts.
Une jolie idée que j'ai eue là! Césarine l'a bercée avec des romans de chevalerie et les ouvrages de M. d'Arlincourt; toi, tu la gâtes…
Laissez dire papa, mon ami. Allons nous promener.
Là! Quelle éducation, mon Dieu!
Me permettez-vous de faire un tour de jardin avec M. Bonchamp et vous, mademoiselle?
Comme il vous plaira, monsieur. (A sa tante.) Tu ne viens pas? Père et M. Bonchamp vont se déchirer.
Non, j'ai à causer avec M. de Montjoie.
Je vais vous mettre d'accord. Père, tu prendras mon bras gauche. Vous, mon ami, mon bras droit.
Enfant gâtée! (Au perron.) Attendez-moi donc!..
SCÈNE IV
Vous auriez mieux aimé suivre ma nièce?
Quelle idée!
Mon Dieu, que cet homme est séduisant! Ah! si je vous avais rencontré dans mon jeune temps… j'aurais été en danger.
Mais non, mais non.
Je vous assure!
Mais non, mais non.
Oh! je me connais, allez!
Pourquoi voulez-vous donc absolument me poser en don Juan?
Vos aventures sont célèbres! Vous êtes un homme romanesque. Votre père vous avait laissé cent mille livres de rentes et vous les avez mangées.
C'est l'histoire éternelle.
Si bien qu'aujourd'hui…
Ma foi, je ne regrette rien. J'ai eu de belles années, tant que j'ai eu des héritages à recueillir. J'ai dévoré deux tantes chanoinesses, consommé six cousins podagres, anéanti trois oncles asthmatiques. Ils ont tous été très gentils. Chacun d'eux a disparu au moment psychologique. Mon dernier oncle, en me léguant sa fortune, a stipulé que je changerais mon nom pour le sien. J'avais fait tant de folies sous le nom de Louis de Bruniquet, que je n'ai pas été fâché de m'appeler à l'avenir Louis de Montjoie.
Et que vous reste-t-il de ces folies?
Le souvenir. C'est quelque chose! J'ai remarqué que les aventures d'amour vous plaisaient beaucoup.
A mon âge… et quand on n'a pas aimé…
On croque les pommes d'autrui.
En imagination. Cela console de ne pas avoir croqué les siennes quand on avait des dents. Que voulez-vous? Je suis une vieille fille. J'ai rêvé d'amour comme une autre: d'amour platonique, bien entendu.
Platonique?
Sachez que c'est celui que les femmes demandent toujours.
Et ne pardonnent jamais.
Aussi, n'ayant pas de roman dans ma vie, je lis ceux qu'on écrit, et j'écoute ceux qu'on raconte. Connaissez-vous la belle Ipsiboë?
Qu'est-ce que c'est que cette dame?
Une dame très bien: l'héroïne d'un roman de M. d'Arlincourt. Elle est amoureuse d'Almaric. Almaric, c'est vous.
Comment, Almaric c'est moi?
C'est-à-dire que vous lui ressemblez. Aussi laissez faire et crier. Vous épouserez ma nièce. Elle sera très heureuse avec vous. Vous êtes si romanesque! Vous admettrez bien que je connaisse Édith, puisque je l'ai élevée dans mes idées.
Cependant, ma chère demoiselle, voilà trois mois que je lui fais une cour assidue.
Les anciens preux attendaient leurs belles pendant des années.
Malheureusement, nous sommes au XIXe siècle.
Une époque de prosaïsme! On se voit, on s'aime, on se marie! Autrefois on allait en Palestine.
Il n'y a plus de Palestine.
On va à Fontainebleau!
J'ai peur que Mlle Édith ne m'aime pas.
Vous n'avez personne à craindre. Ce n'est pas Claude Morisseau, avec ses théories extraordinaires… J'ai vu Édith sourire en l'écoutant: et une jeune fille ne s'éprend que de celui qui la fait rêver. Ce n'est pas M. Delcroix, ni…
Vous ne parlez pas du seul qui soit à redouter: du capitaine Daniel.
Vous êtes fou, mon bon ami. D'abord, c'est un artilleur. Ensuite, c'est un garçon froid, hautain, cassant, et qui n'a rien de romanesque. Je suis sûre qu'il n'a jamais eu qu'une petite existence bourgeoise, très plate et très ordinaire. Il a fait un traité scientifique sur… Comment appelez-vous ça?
Sur l'Hérédité physique et morale d'après la doctrine de Darwin.
Et vous croyez que ma nièce aimera un monsieur qui a fait sur l'hérédité physique et morale?.. Enfin, Édith ne le connaît que depuis deux mois, et voilà huit jours qu'il n'a point paru à la maison.
Vous êtes ma providence. J'aime votre nièce pour elle, non pour sa fortune. Si elle ne veut pas de moi…
Elle