Le Fils de Coralie: Comédie en quatre actes en prose. Delpit Albert
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Vous avez bien tort, ma chère demoiselle. Certes, j'ai médiocrement vécu, et vous avez le droit de vous méfier. Remarquez pourtant que le passé devrait vous être un sûr garant de l'avenir. Quand on a beaucoup pratiqué les amours faciles, on n'a plus qu'un rêve: être un bon mari très fidèle et très bourgeois. Vous voyez en moi un don Juan? Eh bien! toutes les femmes que j'ai rencontrées ne font pas la monnaie d'une seule Elvire. Oh! mon Dieu, non! En commençant par Mme Rita, danseuse à l'Opéra, et en finissant par Coralie, ma grande passion.
Qu'est-ce que c'était que madame ou mademoiselle Coralie?
C'est assez difficile à dire.
Une cocotte?
Une cocotte… et je l'ai aimée follement. Jugez de ma naïveté! Elle m'a fait souffrir, comme de raison, et m'a mangé un peu de mon cœur et beaucoup de mon argent. En la quittant, j'étais ruiné; l'héritage de mon oncle est venu à point. Après un long voyage, je me suis retiré à Montauban, où je caresse l'espérance d'un bonheur si calme.
Ce qui ne vous empêche pas…
D'être romanesque! Elle y tient.
Confiez-moi le soin de vos affaires. Elles iront bien.
Hum! le capitaine Daniel plaît beaucoup à M. Godefroy.
Aussi, vous aimez ma nièce, et vous égratignez quelquefois son père.
Il m'agace.
Voilà trente ans qu'il m'agace, moi! et je le supporte!
Il se croit un grand collectionneur, et il encombre son musée de bêtises.
Cela vaut mieux que d'en faire.
Oh! il cumule!.. Il se croit au-dessus des préjugés…
Parce qu'il en a peur.
Et des questions d'argent…
Parce qu'il est riche. Rassurez-vous. L'important est de savoir au juste ce que pense Édith. Envoyez-la-moi. Je vais l'interroger.
Merci. Vous me direz toute la vérité? J'ai du courage. Si elle ne m'aime pas…
Allez la chercher dans le jardin.
Tout de suite. (Il se dirige vers le perron. – S'arrêtant.) Je n'aurai pas été bien loin: la voici.
SCÈNE V
Au secours, monsieur de Montjoie, au secours!
Bon Dieu! qu'y a-t-il?
Vous n'avez pas l'air bien effrayée.
Mon père et M. Bonchamp vont se dévorer. J'ai compté sur vous pour séparer ces deux ennemis qui s'adorent.
C'est beaucoup d'honneur que vous me faites. Mais si j'échoue?
Oh! vous réussirez. Ma tante prétend que vous êtes un homme… irrésistible.
Elle me raille. (Saluant.) Mademoiselle. (A Césarine.) Je tremble comme un collégien. Je reviendrai ce soir pour connaître mon sort.
Nous comptons sur vous pour dîner.
SCÈNE VI
Et maintenant, à nous deux, ma belle… Viens t'asseoir là, sur mes genoux. Comment trouves-tu M. de Montjoie?
Je ne le trouve pas.
Tu l'as vu souvent, cependant!
Oui, mais je ne l'ai jamais regardé.
Cette petite a des réponses qui me confondent. Mais il est très bien; et puis si romanesque! Je t'ai fait lire Ipsiboë. Tu ne trouves pas qu'il ressemble à Almaric?
Ma chère tante, tu es la meilleure femme du monde, mais ton idéal n'est pas le mien. Je me suis promis de n'épouser jamais qu'un homme que j'aimerais… et je ne l'aime pas.
Ah! le pauvre homme! Et moi qui le protège!
Tu ne le protégeras plus, voilà tout.
Comme tu vas! comme tu vas! Tu changeras peut-être d'idée.
Cela m'étonnerait.
Voyons, prends-moi pour confidente. Pour ne pas aimer M. de Montjoie, il faut que tu en aimes un autre.
Oui.
Le capitaine Daniel!
Oui.
Et je ne le savais pas!
Tu ne me l'as jamais demandé.
Pouvais-je me douter d'une telle aberration! Un homme froid, hautain, qui n'a rien de romanesque? Ah! ce n'est pas celui-là qui a eu la moindre aventure!
Tant mieux, si je suis la première de sa vie.
Et puis, c'est un artilleur. Que feras-tu d'un pareil homme?
J'en ferai mon bonheur.
Compare-le seulement à son rival!
Oh! je ne compare pas Daniel… je le sépare.
Toi que j'avais si bien élevée! Je vois que je m'étais méprise sur ton caractère. Je ne te connaissais pas.
C'est bien possible, je ne me connaissais pas moi-même.
Un homme que tu as vu pour la première fois il y a deux mois!
Alors,