Pauline, ou la liberté de l'amour. Dumur Louis
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– Pensez-vous que celui-ci ne suffise pas à défrayer mes devoirs de mère?
– Oh! vous êtes admirable. Mais l'enfant devient grand; il vous échappera bientôt. Ne regretterez-vous pas de ne pas en avoir d'autres qui puissent occuper vos soins?
– Décidément, c'est à votre tour de me tenir en suspicion! Mon amour maternel comporte heureusement autre chose que le simple emploi de mon temps; et lorsque le lycée et plus tard la vie m'enlèveront mon fils, je ne l'en aimerai pas moins et n'en serai pas moins toujours prête à me sacrifier pour lui.
– Ce sont de nobles paroles assurément, et tant que vous serez dans ces sentiments je ne saurai que vous louer. L'amour d'une femme pour son mari et ses enfants est la meilleure garantie du mariage.
Pauline ne put s'empêcher de rire.
– Ne riez pas! dit Facial. Qu'est-ce que l'amour hors du mariage? Une passion déréglée dont les conséquences sont terribles pour la société, navrantes pour les individus…
– Oh! pas de discours! interrompit Pauline. Qu'est-ce aussi que le mariage sans l'amour?
– Pardon! répliqua Facial en s'excitant, le mariage est une institution si solide, qu'il subsiste par lui-même, même sans l'amour. Je soutiens d'ailleurs, comme corollaire à ce que je disais à l'instant et dont vous aviez le mauvais esprit de rire, que le mariage est encore la meilleure garantie de l'amour.
– Ce mot est à double sens, prenez garde.
– Qu'insinuez-vous?
– Le mariage n'est-il pas souvent un couvert d'honnêteté à l'abri duquel hommes et femmes se livrent tranquillement aux amours les plus libres?
– C'est que l'institution est abominablement faussée.
– Sans doute, mais il faut compter avec l'hypocrisie des mœurs. Voyez ce que devient alors le mariage: un simple trompe-l'œil.
– L'apparence de l'honnêteté est au moins sauvegardée. C'est déjà quelque chose; et ne fût-ce qu'à ce titre…
– Où en arrivez-vous? Vous conserveriez encore le mariage, s'il vous était prouvé qu'il ne sert qu'à favoriser les liaisons irrégulières?
– Oui. Mais ce n'est là qu'une dernière conséquence de principes fermement arrêtés chez moi. En réalité, le mariage maintient les mœurs.
– Regardez autour de vous. Voyez-vous beaucoup d'époux dont on ne puisse dire: ils ont édifié le mariage légitime comme un mur entre le public et leur vie privée, et, derrière ce mur, il se passe des choses qui ne sont plus légitimes du tout?
– Il y a nous d'abord, dit Facial.
– Il y a nous, acquiesça Pauline, mais non sans un instant d'hésitation. Ensuite?
Facial chercha, puis hasarda:
– Les Chandivier.
Pauline se pinça les lèvres.
– Êtes-vous bien sûr de la loyauté de M. Chandivier? demanda-t-elle.
– Chandivier! assura Facial, c'est un parfait honnête homme!
– Ne protège-t-il pas avec une bienveillance… comment dirai-je?.. exagérée cette jeune comédienne… comment l'appelez-vous?.. Rébecca?
– Vous savez cela!
– Il ne le cache pas trop.
Facial prit son parti de cette déconvenue.
– Oui, dit-il, c'est vrai. Ou plutôt, ce doit être vrai: car je ne voudrais pas porter d'accusation qui risquât d'être calomnieuse contre un homme comme Chandivier, que je respecte infiniment. Mais a-t-il bien en sa femme l'épouse qu'il mérite?
– Julienne? Elle est charmante.
– Charmante, d'accord, mais peut-être pas irréprochable.
– Que lui reprochez-vous? Quelques coquetteries!
– L'euphémisme est joli. Voyons, vous qui la connaissez bien: elle a une intrigue avec Sénéchal, le sénateur?
– Sénéchal? Dites que Sénéchal est très empressé auprès d'elle.
– C'est ce que je pensais. Et Réderic? Quelles sont exactement les relations de Réderic avec Mme Chandivier?
– Que voulez-vous que je vous dise? Je crois qu'entre les deux son cœur balance.
– En somme, est-ce Réderic ou Sénéchal?
– Ma foi, tantôt l'un, tantôt l'autre.
Facial et sa femme se regardèrent, comprenant tout à coup ce que la conversation avait de ridicule.
– Comme ce que je disais est pourtant vrai! s'écria Pauline, retrouvant alors le fil des idées. Comme le mariage n'est qu'un trompe-l'œil! Il en impose tellement, que nous-mêmes, dans un entretien intime, nous nous laissons abuser par la situation légale de deux personnes dont nous connaissons pertinemment les mœurs: vous défendez Monsieur pied à pied, je défends Madame avec non moins de discrétion, et nous savons fort bien l'un et l'autre que Monsieur a une maîtresse et que Madame a deux amants.
– Chut! chut! ménagez vos expressions.
– Encore! Sentez-vous l'effet du mur, même quand nous perçons à travers?
– Je vous en prie, Pauline, observez un peu plus les conventions. Il y a une manière d'exprimer les choses, des réticences que nous devons employer lorsque nous parlons de gens honorablement connus et qui de plus sont nos amis. Leur réputation est absolument intacte.
– Oh! je le sais: le public ne se doute de rien, les précautions sont prises. Et quand même ce serait le secret de Polichinelle – et peut-être l'est-ce – tant qu'il n'y a pas de scandale, les époux adultères ont droit à tous les respects d'un monde qui n'exige que les formes et devant qui l'on peut à plaisir jouer des gobelets, pourvu qu'on fasse passer muscade.
– Vous êtes sévère!
– Tout à l'heure, c'est vous qui l'étiez.
– Que disais-je? Que l'amour dans le mariage était le seul vraiment utile et vraiment sain. Je le maintiens. De toute ma conscience d'honnête homme, je flétris ceux qui contreviennent à cette loi fondamentale. Mais je ne puis, sous le prétexte que l'adultère se glisse malheureusement jusque dans les unions en apparence les plus correctes, prêter la main aux fauteurs de désordre, qui veulent saper par la base les institutions et bouleverser la société. Si le mariage est parfois mal compris, s'ensuit-il qu'il soit un mal? Et si ceux qui le comprennent mal comprennent cependant qu'ils doivent en respecter les usages, n'avons-nous pas à les estimer au moins pour leur savoir-vivre et leur bonne tenue?
– Estimons, je le veux bien: quoique, pour ma part, l'estime n'aille qu'à la franchise.
– Ma chère Pauline, vous êtes trop indisciplinée d'esprit. Dans ce monde tout ne va pas à