Pauline, ou la liberté de l'amour. Dumur Louis
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– Oui, Monsieur.
– J'en suis heureux, car je ne vous cacherai pas, Pauline, que je vous aime; et si ce sentiment trouve quelque écho dans votre cœur, mon vœu le plus cher serait de vous épouser.
A cette déclaration attendue, Pauline ne se troubla pas trop. De la meilleure foi du monde, elle mit sa main dans celle de Facial et lui avoua que, de tous les hommes qu'elle avait vus jusqu'ici, lui seul avait su lui plaire.
– Vous m'aimez donc! s'écria celui-ci avec une douce joie.
Et le «oui» fatal, aussi sincère qu'il pouvait l'être alors, sortit sans inquiétude des lèvres de la jeune fille.
Le lendemain, Facial la demanda officiellement en mariage à la vieille tante et fut agréé.
Deux mois après, ils étaient unis.
«Extraordinaire illusion, pensait Pauline, que celle de la vierge qui se figure qu'elle aime, lorsqu'elle ne sait pas ce que c'est que l'amour! De gaieté de cœur, elle se lie pour la vie avec un homme pour lequel elle n'éprouve pas d'aversion, sans se demander ce qui arrivera, une fois liée, si elle en rencontre un autre qu'elle aime. A-t-on le droit d'exiger d'elle qu'elle connaisse son avenir et qu'elle discerne du premier coup celui qui doit être son véritable époux? Hélas! comme tant d'autres, j'ai cru faire un mariage d'amour! Je me serais révoltée contre qui aurait osé me dire que je n'aimais pas mon fiancé. Mais était-ce de l'amour, le sentiment que j'avais pour lui? Ce sentiment n'a fait depuis que décroître: et mon expérience actuelle de la vie me force à reconnaître que, même à cette époque, ce n'était pas de l'amour. Et c'en eût été, de l'amour, était-ce une raison pour me lier pareillement? L'âme demeure-t-elle tellement pétrifiée, qu'elle ne puisse se transformer, découvrir en elle d'autres besoins, être agitée de désirs nouveaux? Nous sommes si instables que c'est se moquer de la destinée que de se contraindre à la stabilité. Où en arrivons-nous alors? A l'indifférence, si nous ne sommes pas doués d'une trop vive impressionnabilité; à la rébellion, au crime, au martyre, si nous ne pouvons effacer en nous notre qualité d'êtres sensibles.»
Les premiers mois du mariage passèrent sans peine. Pauline s'amusait de son changement de position plus encore qu'elle ne s'intéressait à la personne de son mari. Le choix d'un appartement, l'ameublement, le train de maison, la toilette dissipèrent son attention sur une foule de sujets extérieurs et récréatifs. Grâce aux revenus de sa dot et à l'argent que gagnait Facial, elle n'était point tenue à des économies irritantes; et, comme ses goûts n'étaient pas dispendieux, elle pouvait aisément subvenir à ses fantaisies. Puis, ce furent les relations mondaines, les dîners, les réceptions, les visites, ce premier hiver d'un jeune ménage à Paris, si chargé et si captivant. Elle n'eut guère le temps de réfléchir, encore moins celui de rêver.
L'heure vint cependant où, blasée sur ces joies éphémères, elle désira participer à une vie plus intime et plus profonde. Elle reprit possession d'elle-même, discerna ses vrais besoins, reconnut en elle une source imprévue de tendresse et presque de passion. Sans qu'elle s'en doutât, son éducation de femme s'était achevée par le mariage: elle était mûre pour aimer, pour se dévouer et pour souffrir.
Sa première pensée fut son mari. Honnête et simple, aurait-elle pu déjà douter que le seul homme qui eût reçu jusqu'ici ses baisers ne fût capable de lui assurer les ivresses dont son cœur était avide? Elle remarqua, cependant, que ce qui l'animait était moins une attraction spéciale de lui à elle, que cet instinct vague et puissant qui pousse la femme aimante à aimer, même sans objet précis qui s'impose irrésistiblement à son amour. Quoique Facial ne lui déplût point, elle ne l'eût point distingué de son propre mouvement. Mais il était son mari: et cette situation en faisait nécessairement aux yeux de Pauline l'être privilégié auquel devaient aller ses caresses, tant qu'il n'existait pas de raison violente pour les détourner sur un autre.
A le connaître de plus près et à vouloir vivre de sa vie, bien des désillusions l'attendaient. Elle s'aperçut vite que leurs deux âmes n'habitaient pas la même région. Celle de Pauline, subtile, idéaliste, eut à souffrir au contact de l'âme empesée, matérielle de Facial. Nul doute que Facial ne fût un homme foncièrement honorable, saturé de bonnes intentions: mais ces qualités ne suffisaient point à constituer le bonheur à deux. Celles, par contre, qui eussent pu captiver Pauline, lui manquaient. Il ignorait les sentimentalités exquises de l'amour, et aux heures rares où il consentait à oublier la terre, son vol court et maladroit l'y faisait continuellement retomber. Peu d'imagination, un sens étroit et rassis des choses, un respect inné pour ce qui est admis, aucune culture personnelle de l'esprit, le désir de paraître et la crainte de se distinguer, autant de dispositions négatives et désagréables qui composaient la vertu de cet homme estimable et contribuaient, plus que de graves manquements, à lui aliéner petit à petit l'affection que sa femme était d'abord bien décidée à lui porter.
Ah! si elle l'eût aimé! On ne discute pas celui qu'on aime, on le subit. Mais elle ne l'aimait pas. Il avait donc à la conquérir: conquête facile, puisqu'à ce moment elle n'aimait personne. Encore y fallait-il une dévotion de sentiments et un appareil de séductions dont Facial était vraiment incapable!
Pauline était trop bien élevée pour que son ressentiment croissant se manifestât, sinon par de fréquentes lassitudes ou de cruels mots d'esprit ordinairement peu entendus. Mais la tête de la jeune femme travaillait. A cette défaillance du sort, qui, en pâture à ses désirs, lui offrait un mari qu'elle ne pouvait aimer, n'avait-elle à opposer que l'amertume d'une incomprise ou la résignation d'une sainte?
Une catastrophe menaçait.
Pauline en était là de ses souvenirs, lorsqu'on annonça Mme Chandivier.
– Bonjour, Julienne. Vous me surprenez dans de tristes rêveries.
– Vraiment, chère amie? Que vous arrive-t-il?
– Peu de chose: je songe à ma vie.
– Et vous voilà toute mélancolique! Moi, lorsque je me raconte mon histoire – cela se trouve d'abord rarement, et puis je ne m'en souviens pas bien – j'y vois plus sujet à rire qu'à pleurer. C'est gai, la vie: ou du moins, c'est amusant. Je sais qu'il y a beaucoup de misère dans le monde; mais quand par la naissance, la fortune, l'éducation, on appartient aux classes privilégiées, que l'on n'a eu ni chagrins sérieux, ni contrariétés humiliantes, et que l'on jouit d'une bonne santé, il faut avoir l'esprit vraiment mal tourné pour ne pas être charmé de l'aventure. Auriez-vous l'esprit mal tourné, Pauline?
– Peut-être; j'envie parfois les femmes du peuple, qui, moins favorisées, exigent moins de l'existence.
– Et quelles sont vos exigences?
– Une seule: le bonheur.
– Nous tournons dans un cercle vicieux.
– Je m'en aperçois.
– Ah ça! dit Julienne avec enjouement, que vous faut-il de plus? Un mari? Vous l'avez. Un enfant? Vous l'avez. De l'argent? Vous en avez. Des distractions? des goûts? des relations? Vous avez tout cela. Il ne tient qu'à vous d'en profiter pour votre plus grand plaisir. Peut-être, ajouta-t-elle malicieusement, n'êtes-vous pas très heureuse en ménage? Mais non, vous m'avez toujours assurée du contraire.
– C'est vrai, répliqua Pauline qui ne voulait