Pauline, ou la liberté de l'amour. Dumur Louis
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J'ai bien des choses à vous raconter. Vous savez que je n'ai pas de secrets pour vous, et que je me plais à vous tenir au courant des moindres événements. Imaginez-vous que je suis réconciliée avec Arthur.
– Arthur? fit Pauline sans comprendre.
– Oui, Sénéchal, le sénateur. Vous ne saviez pas qu'il s'appelle Arthur?
– J'ignorais même que vous fussiez brouillés.
– A mort, depuis deux mois. Je ne le voyais plus. Hier, enfin, il me revient, contrit, repentant, implorant son pardon pour la scène ridicule qui avait été cause de notre querelle. Je le lui accorde délibérément. Là-dessus, il tire de sa poche un écrin, l'ouvre, m'exhibe un charmant bracelet de turquoises et me l'offre pour sceller la paix. Je me drape alors de toute la dignité que je puis rassembler, je le considère calmement et je lui dis en propres termes: «Pour qui me prenez-vous, Monsieur? Je n'ai pas l'habitude de recevoir des présents de mes amis, surtout dans de pareilles circonstances. Mon mari gagne assez d'argent pour me donner des turquoises quand j'en ai envie. Si j'ai eu quelques bontés pour vous et si je suis disposée à oublier le passé, ce n'est pas pour d'autres intérêts que celui de votre personne. Je ne veux pas qu'il y ait dans nos rapports l'ombre d'une vénalité.» Ce petit discours a fait le meilleur effet. Il m'a appelée une Danaé armée d'un parapluie. Je ne sais pas ce que cela veut dire, mais ce doit être un compliment. Néanmoins, comme les turquoises étaient jolies, j'ai fini par les accepter. «Allons! a dit Arthur, vous fermez votre parapluie: il fait de nouveau beau temps.» Comment trouvez-vous mon histoire?
– J'en suis heureuse pour vous. Mais quel était le sujet de la querelle?
– Arthur était jaloux de Réderic. De quoi venait-il se mêler? Réderic est un charmant garçon. Ne suis-je pas libre de le recevoir chez moi comme je veux et autant que je veux?
– Et M. Chandivier?
– Mon mari?.. Mon mari n'entend pas que je sois chez lui comme au couvent. Nous recevons beaucoup. Parmi les hommes qui fréquentent notre maison, il y en a naturellement qui me plaisent plus que les autres. Ceux-là reviennent plus souvent. Mon mari a d'autant moins à s'en offusquer, qu'il les trouve lui-même très agréables. Le reste ne le regarde pas.
– J'adore votre sérénité.
– Mais, ma chère, le mariage n'est pas un enfer. C'est un état-civil. Pourquoi voulez-vous que nous autres femmes aliénions notre liberté sous prétexte que nous échangeons notre nom contre celui d'un homme? Cet acte nous vaut, au contraire, l'indépendance. En règle avec la société, nous avons le droit désormais d'écouter les propos flatteurs murmurés à nos oreilles par de séduisants amis, nous montrons nos épaules et nos gorges dans les bals, nous conversons avec aisance sur les sujets qui piquent notre curiosité et qui nous étaient auparavant défendus, nous lisons les livres jadis mis sous clé, tous les rêves que créait subrepticement notre imagination deviennent la réalité, nous sommes maîtresses de nous donner à qui nous aime et d'aimer qui nous semble aimable. Qu'y a-t-il là de si triste, et comment peut-on souffrir du mariage? Il y a des maris tyrans, jaloux, insupportables, j'en conviens; et les femmes qui en sont affligées me paraissent fort malheureuses. Mais le cas est relativement rare: ce n'est, au moins, ni le vôtre, ni le mien. Et puis, une femme de quelque intelligence sait toujours se tirer d'affaire.
– Rien n'est facile, en effet, comme de tromper son mari, si jaloux qu'on le suppose.
– Tromper! tromper! C'est un mot bien gros et surtout bien démodé. Qui trompe-t-on? Personne. Il ne s'agit point, sans doute, de mener ostensiblement une vie déréglée: nous avons trop le sens des proportions et de ce qui sied à notre rang et à notre monde! Mais en voilant discrètement les mystères de notre cœur, nous n'avons en aucune façon l'intention de tromper. Le sentiment qui nous retient est plutôt une pudeur qu'une hypocrisie. Vous imaginez-vous le charivari que cela ferait, si chacun criait ses petites affaires sur les toits! Ma chère, nous restons silencieuses tout simplement, sans y mettre de mauvais desseins, parce que l'amour s'effarouche du bruit et ne s'épanouit qu'à l'ombre. L'amour conjugal lui-même agit-il autrement? Non, n'est-ce pas: nous ne faisons guère part au public des relations plus ou moins intimes que nous avons avec nos époux. Le public ne voit le mari que dans ses fonctions de cavalier, au bal ou au théâtre, de maître de maison et de père de nos enfants; le reste lui échappe et doit lui échapper. N'est-ce point aussi par un esprit de délicate charité que nous cachons aux hommes à qui nous nous donnons, époux ou amants, que nous nous sommes données à d'autres? Chacun d'eux, s'il est intelligent, doit se douter qu'il n'est pas seul: mais à quoi bon le lui faire savoir? Ce serait d'une extrême incivilité.
– Cela est très naturel, fit Pauline, surtout quand vous le dites. Pour vous, accentua-t-elle, cela n'offre vraiment aucune difficulté. Je comprends qu'avec de pareilles idées vous vous sentiez libre. Vous me faites l'effet d'être très heureuse.
– Très heureuse, je vous le jure.
– Vous avez résolu là un grave problème.
– Et, comme vous le voyez, la solution est à la disposition de tout le monde.
– C'est-à-dire de ceux pour qui liberté n'implique rien de plus que la simple possibilité de satisfaire leurs caprices.
– Que vous faut-il d'autre?
– La liberté morale.
– Qu'est-ce que cela veut dire?
– C'est juste, répondit Pauline; j'oubliais que vous êtes heureuse: vous ne pouvez pas savoir ce que c'est.
– Ne cherchez-vous pas un peu midi à quatorze heures, ma chère?
– Que voulez-vous! Chacun n'habite pas sous le même méridien.
– Je crois que ce qui vous trouble est l'apparente hypocrisie qu'il y a à ce que nous gardions le secret de nos amours. Vous voudriez l'amour au grand soleil. Ne voyant dans l'amour qu'un bien, vous vous demandez pourquoi on le cache comme le mal. Vous avez raison, et dans le pays d'Utopie on doit aimer comme vous le désirez. Mais vous ne tenez pas compte de ces affreuses passions humaines qui s'appellent la jalousie, l'amour-propre, la médisance, la domination, l'intolérance. Concevez-vous les précautions à prendre pour n'offenser personne, ne pas provoquer une mêlée générale et faire régner un peu de paix sur cette pauvre terre, où il y a d'ailleurs tant d'occasions de se battre?
– Oui, dit Pauline, et cela revient justement à ce que je disais, c'est qu'il faut manquer de sens moral pour ne pas s'apercevoir que cette liberté de l'amour dont vous vous prévalez n'est, en réalité, que la pire des tyrannies.
– Voyez, pourtant, ce qui m'arrive, reprit Julienne, qui n'était pas d'humeur à soutenir longtemps une discussion de principes et préférait s'en référer aux incidents de la vie quotidienne. Vous savez que je ne m'inquiète guère de ce que fait mon mari hors de ma maison. Je ne suis ni jalouse, ni curieuse. Il doit avoir, comme tous les hommes, ses aventures. Je ne l'en blâme point. Je ne demande de lui que les égards et le respect auxquels une femme a droit. M. Chandivier a, du reste, toujours observé vis-à-vis de moi une réserve dont je le loue. Ce n'est pas que je n'aie parfois surpris quelques indices de ses infidélités probables. Mais, jusqu'à présent, je ne lui connaissais pas de maîtresse. Or, hier, en même temps que je me réconciliais avec Arthur, j'apprenais, par le plus grand des hasards, que mon mari avait une liaison. Voici comment: enchanté, éperdu, l'âme