Le Peuple de la mer. Elder Marc

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Le Peuple de la mer - Elder Marc

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haussa vigoureusement les épaules, cilla vers Urbain en lâchant:

      – Tout le monde n’a pas de la chance!

      On ricana. Le dos d’Urbain Coët ne broncha pas, son bras travaillait d’un mouvement égal, et pourtant le sang lui battait dans les artères. Urbain avait senti l’allusion comme une insulte, car il connaissait la médisance.

      C’était une très héroïque histoire malhonnêtement faussée, et qui remontait au mois d’octobre 1878. Le trois-mâts norvégien Tyrus, en fuite sous la tempête et cherchant les abris de l’île, touchait la roche des Barjolles, dans le chenal de la Grise, entre le Pilier et l’Herbaudière. Le navire sombra, la mâture vint en bas. Jean-Marie Coët, le père, lançait le canot de sauvetage qu’il patronnait et embarquait avec ses hommes. Trois fois ils quittèrent le port, luttèrent pendant deux heures, jusqu’à l’épuisement, couverts d’eau et culbutés par les lames. Sur la jetée, les femmes, cramponnées au garde-fou, hurlaient comme des chiennes en injuriant le syndic. Coët apaisait la population entre chaque sortie tandis que ses canotiers s’étanchaient d’alcool. Au quatrième essai, risquant l’écrasement, ils abordèrent le Tyrus et décollèrent neuf corps agrippés à l’épave de toute la force crispée des agonisants.

      Jean-Marie Coët avait eu la médaille et un diplôme. Mais on prétendait que la nuit suivante, pendant l’accalmie, grâce aux renseignements du capitaine qu’il avait fait parler en le veillant, Coët, seul dans son canot, gagna le Tyrus et emporta la caisse du bord. Une seconde bourrasque avait dispersé le navire.

      Depuis, le vieux Coët était mort bizarrement, la tête rôtie dans le foyer où on l’avait poussé, semblait-il. Son fils savait qu’il cachait de l’or, par là, sous terre, et le voilà qui s’offrait une barque, moins d’un an après avoir enterré le bonhomme! De quoi les imaginations s’échauffaient tandis que les commentaires allaient bon train.

      Le mot de la Gaude évoquait ces racontars méchamment, et Urbain Coët, devinant le sourire venimeux des hommes, derrière lui, se cramponnait à son pinceau pour ne pas leur lancer son poing dans la figure.

      Au bord de la fenêtre, la Gaude s’étirait, la croupe bombée, les seins hauts, cherchant de ses bras basanés les cerises empourprées de soleil. Elle en cueillit un bouquet et les happa d’un coup en arrachant les queues de sa bouche. L’œil inquiet de Mathieu veillait le cerisier et François accourut avec le coaltar pour détourner l’attention de la jeune femme.

      – Voilà tes cinq kilogs, c’est-il pour le compte d’Olichon?

      – Ben sûr! répliqua-t-elle en soufflant des noyaux au nez de Perchais.

      Onze heures sonnèrent à la cloche fêlée du vieux clocher de ville. Les Goustan lâchèrent précipitamment l’outil comme des ouvriers à la journée; François bourra un sac de copeaux pour sa femme; grand-père serra ses lunettes et Théodore déhala sur la vase la yole qui sert à franchir le port.

      Le soleil était haut; l’air brûlait, immobile et sec.

      – On prend l’apéritif? proposa Perchais à la Gaude.

      – Ah! j’ai point l’temps!

      – Que si! on rentrera ensemble et je porterai ta marmite, offrit Double Nerf.

      Cependant Urbain Coët s’entretenait à mi-voix avec le père Goustan:

      – Je pourrai point vous donner vos cent francs ce mois-ci, rapport à l’armement.

      Mais le vieux, bonhomme et amical, le tranquillisait:

      – Ça fait rien, va mon gars, tu connais bien les Goustan, on n’est pas des buveurs de sang! Tu paieras quand tu voudras, quand tu auras de l’argent, faut point te mettre en peine! Apporte une pistole, deux, trois, à ta guise! je te compte les intérêts comme aux autres, honnêtement, à six; t’as tout le temps pour toi!..

      C’est la manière de Mathieu Goustan. Le jour où il met une barque en chantier, il ouvre un compte au nom du client et les intérêts commencent à courir. Il sait qu’un pêcheur traîne sa note des années. Il en tient ainsi une vingtaine qui seront indéfiniment ses débiteurs et paieront deux fois leur barque. Mais parce qu’il ne les inquiète jamais, prend l’argent quand il vient, tous le vénèrent, chantent sa louange et le plus endetté de l’Herbaudière ne manque pas d’ajouter en parlant du vieux charpentier: Mathieu qu’est si bon pour les pauvres gens!

      Urbain le remercia comme il devait, puis s’installa pour casser la croûte – une tranche de fromage sur un quignon de pain – près de l’établi d’où son regard enserrait la barque d’ensemble.

      Les hommes embarquèrent dans la yole; Perchais assit la Gaude sur ses genoux, et en dix coups de godille, Théodore accosta le quai, en face.

      Le port est un étier long de deux kilomètres, ouvert sur la mer à l’est de l’île et fermé, au delà du chantier Goustan, par une écluse qui sert à irriguer les salines.

      Sur la rive gauche est groupé Noirmoutier, petit amas de maisons blanches coiffées de tuiles que dominent le cube granitique du château massif, fendu de meurtrières, sommé de toits pointus, et le clocher roman, lourd, parmi les touffes vibrantes des grands ormeaux.

      De l’autre côté, à droite, c’est le marais plat, quadrillé, fuyant jusqu’aux plages de l’ouest que bat la mer du large. Des silhouettes de moulins, comme de hauts bonshommes qui se font signe les bras au ciel, repèrent la plaine; des meules de sel frais éclatent d’une blancheur de neige dans la lumière.

      Les cultures sont rases, cachées aux plis du terrain, car la brise étrille rudement les plus hautes; et des arbres apparaissent, couchés sous le vent ainsi que des fumées. Ici et là, on découvre un âne confondu avec les champs roussis.

      Le long du quai deux dundees ventrus chargeaient des pommes de terre. A bord les chiens dormaient et les femmes épluchaient des légumes sous une voile. Partout des matelots arrosaient les ponts brûlants qui buvaient et ternissaient. On entendait les seaux tomber à la mer et l’eau ruisseler le long des coques.

      Pendant que Théodore amarrait la yole, les hommes filèrent droit chez Cônard qui tient un débit sur la place d’Armes, à côté de Malchaussé, le charpentier, dont la chèvre demeure à longueur d’année sur la rue, en compagnie du bois en bille.

      Dans la salle basse aux solives criblées de chiures de mouches sous lesquelles jaunissaient les almanach Cointreau et «La loi tendant à réprimer l’ivresse publique», un gars à Piron, en vareuse de l’Etat, avec le béret au nom glorieux de Marseillaise, fêtait son congé aux frais de Beaulieu, patron des Douanes. Ils s’alignèrent à leur suite, au bord de la table massive, et Double Nerf commanda le Picon qu’ils regardèrent servir avec recueillement.

      Et seulement après la trinquée d’usage et la première lampée, les rites étant accomplis, ils parlèrent.

      – C’est égal! avoua Perchais, c’est une belle barque!

      – Hein! vous avez vu ça! appuya Beaulieu.

      Du coup Double Nerf lâcha la Gaude dont s’empara le gars Piron.

      – Oui, dit-il, et que je l’voudrais sur les roches, la quille en l’air, le sloop à Coët.

      – Allons, allons, concilia Beaulieu, faut point souhaiter

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