Le Peuple de la mer. Elder Marc

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Le Peuple de la mer - Elder Marc страница 4

Le Peuple de la mer - Elder Marc

Скачать книгу

d’approbation en bouchonnant son collier de poils rêches. Mais Perchais, pour remettre les choses au point, affirma d’assurance:

      – On lui flanquera toujours ben une frottée aux régates!

      – A savoir!.. fit le Nain.

      – A savoir tu dis! Ah! nom de Dieu!

      Echauffés, ils ordonnèrent une seconde tournée. Mais brusquement retentit l’éclat de deux gifles. Le béret au nom de Marseillaise vola et des brins rouges du pompon s’éparpillèrent. La Gaude se défendait contre Piron.

      – En v’là un salaud! ça lui suffit pas d’rigoler comme ça!

      La chaleur s’amassait dans la salle avec la fumée des cigarettes. Des flaques luisantes tachaient la table où circulait le paquet de tabac. Les buveurs s’approchaient coude à coude et se criaient mutuellement dans le visage, tandis que les antiques besoins de suprématie et les haines animales débouquées par l’alcool, montaient du fond de leur sang d’homme.

      Dans le chantier, Urbain avait déjà repris le travail. Par le large panneau ouvert sur le port, il pouvait voir l’eau immobile avec le ciel miré à perte de vue. Sur le quai en face, le jusant avait laissé une ligne de marée au-dessus de la yole des Goustan amarrée à l’escalier. Et le cri d’une poulie, parfois, tombait des airs comme un appel de mouette.

      A midi les hommes quittèrent le cabaret avec des mines de conspirateurs et la face ardente. Le soleil écrasait la terre poussiéreuse et leurs yeux clignèrent. Par bravade, ils décidèrent de retourner au chantier. Mais sur la cale, ils trouvèrent Urbain qui parlait à son frère Léon, un gars de dix-sept ans, joli et frêle, sans l’apparence nerveuse de l’aîné.

      Ils passèrent de biais, cauteleux et raclant le pavage, Perchais en tête avec le Nain, puis Double Nerf chargé du coaltar de la Gaude. Et Urbain dit très haut à son frère:

      – Tu coucheras au chantier cette nuit; demain ce sera mon tour. Des fois que l’feu viendrait à prendre…

      Perchais grogna de l’arrière-gorge et cracha. Les trois Goustan sortaient de chez eux, dans l’ordre hiérarchique: grand-père d’abord et puis les deux fils. Alors la bande s’éloigna par le marais où étincelait la neige des tas de sel. On les vit longtemps faire de grands gestes et s’arrêter par instant pour discuter face à face. La barque sonnait à nouveau sous le clouage et le rabot sifflait contre ses flancs.

      Chaque matin, en quittant son lit, Coët sortait juger le temps, selon la coutume des gens de mer. Il faisait quelques pas sur la dune basse où sèchent la salicorne et le chardon bleu, parmi un jonc court et dru qui pique les mollets.

      Devant lui s’arrondissait la plage sur laquelle le jusant abandonnait des lianes en guirlandes vertes et des méduses d’opale affaissées sur leur chevelure. Des tas de goémons pour l’engrais, deux bouées galeuses, quelques centaines de casiers blanchis allaient à la file, jusqu’à la cale qui monte doucement, vers la remise du bateau de sauvetage. Puis la jetée haute et puissante avançait de cinq cents mètres dans la mer, comme un bras protecteur, devant les barques claires mouillées près à près sur leur corps mort.

      Tout brillait au soleil jeune qui s’enlevait là-bas, de l’autre côté de la baie: le sable, le granit, l’océan, les balises et les tours qui marquent les rochers du large, et la terre, comme une ligne de métal à l’horizon. C’était un paysage de lumière, limpide, frais, sous un ciel blanc, insondable, balayé d’une légère brise d’est qui sentait l’iode et le sel.

      Près de la cabane du gabelou, le brigadier Bernard amorçait des lignes. Les hommes descendaient du village, parcouraient la jetée à grand bruit de galoches, embarquaient dans les canots. Ils parlaient peu. On entendait surtout sonner le bois, battre l’eau, grincer les chaînes et crier les poulies à l’appareillage.

      Les sloops sortaient un à un, dressant haut dans l’air lumineux leurs voiles rousses, bleues ou jaunes, cambrant leur coque grise, largement ceinturée de vert ou d’écarlate.

      Et sitôt la jetée doublée, les voilures déployées au vent arrière, ils couraient vers l’horizon en emportant du soleil.

      Les yeux clignés, Urbain regardait s’éloigner les barques en les nommant dans sa tête. Il songeait au jour prochain où il prendrait rang dans la caravane. Mais un mouvement de défi lui raidissait involontairement l’échine à la vue du Bon Pasteur que patronne le Nain et du Laissez-les dire, dominé à l’arrière du colossal Perchais. Et il les suivait âprement, jusqu’au chenal de la Grise que masque la pointe fauve de la Corbière.

      Quand il rentrait dans sa maison propre, bâtie à côté de celle d’Izacar le mareyeur, qui est riche, et a permis d’élever une croix de huit mètres dans un angle de sa cour, devant chez lui, il trouvait la Marie-Jeanne au travail. C’était une petite femme dodue, aux articulations fortes, aux yeux très noirs, aux cheveux luisants. Elle balayait à grands coups le sol de terre battue où l’armoire, la huche et la table s’élevaient sur des briques à cause de l’humidité.

      Coët l’avait épousée par amour bien qu’elle fût fille de terrien et que son père, le vieux Couillaud, fermier à Linières, eut tout fait pour la dégoûter des marins qui sont soulards et crève misère jusqu’à ce que la mer les mange.

      Coup sur coup, il lui avait fait trois enfants, parce qu’il faut des bras pour manœuvrer les barques et qu’un mousse de plus dans la famille c’est un étranger de moins à entretenir à bord. Car les pêcheurs procréent surtout par intérêt, comme les bourgeois s’en gardent pour la même cause, et non pas tant, selon la commune croyance, à cause des ivresses qui les culbutent, dans une poussée de rut, sur leurs femmes maîtrisées.

      Ils avaient eu la chance d’avoir trois mâles, de quoi Urbain gardait de la reconnaissance à Marie-Jeanne. Le dernier, nourri, ainsi que ses frères, de moules et de crabes qu’il mangeait déjà «comme un homme», attrapait ses dix-huit mois, et l’aîné n’avait pas cinq ans.

      Dès qu’elle voyait rentrer son homme, la Marie-Jeanne posait son balai et interrogeait:

      – T’as faim, pas vrai?

      – Je mangerais ben un morceau.

      Elle tirait de l’armoire du beurre et la miche. D’habitude, Urbain ouvrait son couteau et se curait silencieusement les dents avec la pointe. Mais ce jour il demanda:

      – Les gars sont couchés?

      – Je les ai point réveillés, pour avoir la paix…

      – Et Léon?

      – Il répare les casiers.

      Du soleil glissait de biais par la fenêtre, s’allongeait jusqu’au foyer; un pied de la table brillait. La Marie-Jeanne ferma le volet et dans la demi-lumière ambrée Urbain mâchonna, la bouche pleine:

      – J’ai trouvé un nom pour not’bateau, tu sais.

      – C’est point le Désiré comme on avait dit.

      Coët fit «non» de la tête, sans parler davantage et sa femme ne le questionna pas. Il prit le pichet sur la table et but à même une lampée d’eau claire. Puis il fouilla dans le coin derrière la barrique, tira des peintures, une planche et sortit dans la cour.

      Assis sur le sable, son frère y travaillait, des casiers entre les

Скачать книгу