Le Peuple de la mer. Elder Marc

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Le Peuple de la mer - Elder Marc

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Alors elle dit à son homme:

      – Je m’en vas, à cause des enfants et de la soupe.

      Les deux frères demeurèrent seuls et s’attardèrent à travailler jusqu’au noir, sans pouvoir se résoudre à quitter cette barque, solide sous leurs pieds et qui était à eux.

      La mer baissa. Le Dépit des Envieux fit son trou dans la vase molle et claire. Le quai le dominait ainsi qu’un rempart; une odeur de salure fétide montait du port à sec; le vent se déchirait dans les mâtures.

      Urbain s’en alla en laissant Léon de garde à bord. Et, comme une heure après, il entrait au village par la traverse, derrière chez Viel, une ombre sortit d’une meule de foin, interrogea d’une voix craintive:

      – Ton frère ne vient donc pas?

      Urbain reconnut Louise Piron qui attendait au rendez-vous quotidien.

      – Ça te tient dur, répondit Coët en riant; not’ sloop est à l’eau, Léon couche à bord.

      Alors la fille s’enfonça rapidement dans la nuit en reprenant le chemin suivi par Urbain, les sentiers qui mènent au port de la ville.

      Le Dépit des Envieux était à son mouillage, dans l’abri de l’Herbaudière. Urbain Coët avait établi son corps-mort derrière le double rang de chaloupes parallèle à la jetée, et du côté de terre, en sorte que, de sa maison, il pouvait avoir sa barque à l’œil. Le vieux canot, avec lequel il pêchait les cancres et la lubine dans les rochers de l’île, remis à neuf et peint aux couleurs du sloop, était amarré à son flanc, comme un petit serré contre une mère. Et toutes les autres barques avaient également, autour d’elles, une ou deux petites embarcations qui jouaient sur les houles sans jamais s’écarter.

      La brise d’ouest qui soufflait le jour du lancement avait forci au décroit de la marée. Les drapeaux des usines vibraient, sur les drisses arquées. La nue, fumeuse, dérivait d’une masse vers l’est et montait sans cesse de l’horizon où la mer était noire. Plus près, des moutons mêlaient à son vert profond leurs cabrioles blanches. La mer remplissait l’air de son bruit, criait en écumant dans les rochers de la pointe, bombardait à coup de vagues la jetée sonore, roulait les barques à bout de chaînes, ressaquait au long des cales et venait s’aplatir, amollie, brisée, sur la plage où le vent faisait courir le sable au ras du sol en grésillant.

      Chez Coët, on travaillait à monter des filets tandis que la Marie-Jeanne, en tablier de serpillière, préparait la teinture. Le vent ronflait sous les portes, et, dans la cour, du chaume tournait avec un bruit soyeux. Au-dessus du marais, les moulins prudents ne dressaient plus dans l’air tumultueux que l’arête sans prise de leurs ailes.

      On entendait la mer qui tourmentait la côte et se battait au large. Il n’y avait dehors qu’un groupe de causeurs à l’abri du canot de sauvetage.

      Terrés au foyer ou à boire chez Zacharie, dont la buvette affiche en lettres d’un pied la rubrique prétentieuse: Au XXe Siècle, les hommes attendaient l’embellie pour sortir. Et de temps à autre ils venaient à la jetée, sonder la mer menaçante avec de l’inquiétude au ventre et au cœur aussi, à cause des gosses et de la femme.

      De sa fenêtre, la Marie-Jeanne voyait danser la mâture neuve du Dépit des Envieux où clapotait un gréement clair; le pont, rayé de coutures, lui apparaissait par intervalle au roulis; et elle était fière, parce qu’il n’y avait pas, dans le port, une autre barque si propre et si légère au dos des vagues.

      A bord la Marie-Jeanne connaissait quatre bonnes paillasses, remplies de varech bien séché et mises en place par elle, le jour où Le Dépit des Envieux prit mouillage à l’Herbaudière pour la première fois, quatre bonnes paillasses carrelées de gris et de violet, où l’on enfonçait en se couchant et qui vous tenaient la chair, la serraient, la calaient de tous côtés si douillettement! N’était-elle pas tombée sur l’une qui l’avait reçue comme des bras ouverts l’autre soir!.. Elle était seule à bord, avec son homme qui la contemplait arranger les couchettes, le corsage dégrafé parce qu’il faisait chaud dans le ventre du bateau. Et brusquement voilà son Urbain qui l’empoigne, la roule et se glisse sur elle en heurtant son échine au plafond bas. Elle avait crié, à cause de sa coiffe, elle avait ri, et puis ma foi, c’était si bon d’être prise comme ça tout d’un coup, mangée, happée comme qui dirait… Elle se rappelait le carré de nuage, à perte de vue, que découpait le capot au-dessus d’elle; les sonorités de la coque amplifiant le fouettement des drisses; et qu’au roulis, de peur de tomber, elle cramponnait les reins nerveux de son gars. Ah! les bonnes paillasses! le bon souvenir! que Coët nommait en riant: le coup du baptême.

      La Marie-Jeanne était heureuse, parce que son homme penserait mieux à elle dans cette couchette où il l’avait «fait mourir», parce qu’elle avait laissé là beaucoup de sa grande joie d’amour qui demeurerait comme une petite âme au cœur même du bateau.

      Et pourtant, la bourrasque persistante l’inquiétait. Depuis son lancement, Le Dépit des Envieux n’avait pu se mesurer avec les autres et battre la mer libre pour laquelle il était fait. Urbain ne soufflait mot, mais son visage se fermait davantage et elle sentait que le temps lui durait à terre. Les hommes pouvaient haïr sa barque, mais la mer, pourquoi n’était-elle pas plus clémente? La Marie-Jeanne s’efforçait d’être gaie, active, mais quand son homme ne l’entendait pas, elle disait volontiers «qu’ils n’avaient pas de chance!»

      Enfin le soleil reparut. Au ciel à peu près nettoyé, flottaient encore de grands nuages fous, comme des oiseaux perdus derrière un vol passé, et leur ombre, sur l’océan, déplaçait des taches sombres, immenses. Dans le matin pâle les vareuses bleues se pressèrent vers la jetée. Les canots débordaient, accostaient les chaloupes; les avirons heurtaient les coques, battaient l’eau, et déjà les sloops appareillaient au cri des poulies. Le soleil bas frappait l’intérieur de la digue, allumant les granits blonds qui, comme un mur d’or, se reflétaient dans la mer plate.

      Sur la dune, parmi le vert jaune des joncs courts, une petite femme guettait, la coiffe lumineuse, du vent dans les jupes. La Marie-Jeanne voulait voir partir son homme. Coët sortit un des derniers, et les balises doublées, bordant plat sa voilure, il serra le vent à la suite des autres barques qui allaient en caravane, toutes inclinées sur le même bord du côté du soleil.

      Malgré l’ombre qu’elles portaient dans leur creux, les voiles du Dépit des Envieux éclataient de blancheur, et, d’un mouvement sûr, elles avançaient, tour à tour soulevées et inclinées au tangage, comme dans un grand salut. L’avant du sloop charruait un peu lourdement la mer qui se gonflait et bouillonnait à l’épaule, mais l’arrière glissait bien dans le sillon, en entraînant, comme une auto les feuilles mortes, les bulles éphémères et l’écume subtile.

      Coup sur coup, Coët dépassa l’Espoir en Dieu, l’Ange voyageur, le Secours de ma vie, et rattrapa lentement le Bon Pasteur, la barque noire et blanche où le Nain est pilote.

      Les pêcheurs ne parlaient point à leur bord; – les hommes de mer ne sont pas bavards: la pipe occupe leur bouche, l’océan leur œil et leurs pensées; – mais tournées vers la nouvelle barque, toutes les faces rudes et boucanées suivaient de près sa marche et à la voir serrer le vent en les gagnant de vitesse, une émulation jalouse remuait le sang des hommes et donnait à ce départ de pêche une allure de régate.

      Le Laissez-les dire tenait la tête, au loin, reconnaissable à sa haute voilure bleue, et Perchais, à la barre, se retournait par intervalle vers la pyramide blanche qui croissait régulièrement derrière lui sur l’eau ensoleillée.

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