Le Peuple de la mer. Elder Marc

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Le Peuple de la mer - Elder Marc

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exciter le colosse, Gaud, maigre et sournois, lâcha de la pointe des lèvres:

      – Il marchera peut-être mieux que ton Laissez-les dire

      Perchais plissa les paupières et cracha, les yeux mauvais. Mais Urbain prévenait doucement Aquenette qui tirait sans relâche sur un brûle-gueule, grésillant au ras de son poil rêche:

      – Dis donc le Nain, si tu voulais bien pas fumer? T’as donc ben envie de flamber ma barque?

      – Oh! une pipe! ça fait ben ren…

      – Et puis t’ as d’ l’argent pour t’en payer d’autres, des sloops, grogna Double Nerf.

      Alors Bernard intervint:

      – Ah! non, éteins ça ou va dehors!

      Sans répondre le Nain sortit à pas traînants sur la cale, en fumant à petits coups. Urbain regarda son frère et Léon se posta près d’Aquenette en surveillance.

      – De quoi! hurla soudain Double Nerf, tu soupçonnes mon frère, tu le fais guetter!

      – Sait-on point ce qui peut arriver, dit tranquillement Urbain.

      La peau tannée de Double Nerf rougit et se tendit à l’effort du sang; il se ramassa, le poing massif comme un bélier et riposta:

      – Dis rien, nom de Dieu! ou je te défonce comme ça!

      D’un seul coup il troua la cloison dont les planches éclatèrent. Du soleil tomba par la brèche; le poing de l’homme saignait goutte à goutte.

      Les femmes se rapprochèrent curieuses, et dirent:

      – Il est saoul!

      Le père Olichon, Bernard et Labosse essayaient de le calmer, les autres regardaient, intéressés. La Marie-Jeanne, craintive, s’était levée en ramassant ses enfants dans ses jupes.

      – Double Nerf a raison, déclara Perchais, Coët le met à défi et nous tous de même!

      – Y a pas de quoi l’assommer! cria Olichon, Coët se débrouille et vous êtes jaloux!

      Ils rigolèrent en montrant leurs dents jaunes gâtées par le tabac et lâchèrent:

      – Jaloux! on s’en fout pas mal!

      Mais Double Nerf, de plus en plus excité et soutenu par Gaud et Perchais, continuait à gueuler:

      – J’aurai sa peau à c’te fils d’ vesse! J’aurai sa peau!

      Urbain s’était remis à huiler son mât avec un calme exaspérant; et Louise Piron, descendue jusqu’à Léon, admirait:

      – Il est brave ton frère!.. Et toi?

      Le joli gars sourit, releva ses longs cils, laissant filer l’éclat téméraire de ses yeux verts, et la jeune poitrine de la Louise s’enfla de contentement.

      Le père Piron, tout suant d’alcool, s’épuisait à prêcher la réconciliation:

      – Faut qu’ils boive’ ensemble! Faut qu’ils boive’ ensemble, un verre, ça efface tout!

      Les avis étaient partagés. Double Nerf parlait sans cesse de détruire au claironnement des nom de Dieu qui sonnaient dans sa gorge, et jurait de ne trinquer avec Coët que pour lui faire boire un coup à la grande tasse. Perchais s’efforçait de le prendre de haut, par le mépris. Mais Gaud, ayant avancé insidieusement qu’il devrait, sans doute, compter avec lui aux régates, Perchais s’emporta et gronda, le thorax soulevé par une tempête de sang.

      – Ah! y a trop longtemps qu’on m’embête avec cette histoire? J’ battrai Coët comme je vous bats tous!

      – J’ parie pour Coët, une tournée!

      Chacun s’engagea à son tour, les uns pour Le Dépit des Envieux, par haine contre la supériorité de Perchais, les autres pour Le Laissez-les dire par envie d’Urbain Coët. Et Double Nerf hurlait encore «qu’il lui ferait la peau à c’te fils d’vesse», quand un vieux entra, coiffé du chapeau rond des paysans maraichins, le dos voûté, les bras ballants.

      On entendit des rires, des mots: «V’la l’ marchand d’ patates!» La bande fit un mouvement de retraite qu’accéléra un dernier coup de voix. Et quand tous furent sortis, le bonhomme qui les avait dévisagés carrément un à un prononça:

      – Bons de la gueule et faillis du bras, c’est ren qu’ des chie dans l’eau!

      Ils s’en allèrent en clamant fort. Le Nain, qui fumait obstinément, les rejoignit par le sentier. Et la Marie-Jeanne monta vers son homme en découvrant les petits de sa jupe.

      – J’ai eu peur pour toi, dit-elle.

      Déjà le père Couillaud descendait en toisant de l’œil la coque puissante où le soleil éclairait, par plaques, le beau chêne aux tons de miel. Il dit, sans effusion:

      – Bonjour la fille! bonjour le gars!

      La Marie-Jeanne poussa vers lui les enfants en murmurant:

      – Allez embrasser grand-père.

      Mais lui leur mit simplement la main sur la tête, tandis qu’il enserrait la barque du regard, le front plissé de méditation.

      – Alors, dit-il, c’est ça qui coûte si cher, queuques planches clouées!

      – Dame! C’est de la belle ouvrage! vanta Urbain.

      Le bonhomme s’approcha, caressa les bordés et concéda:

      – Le bois est bon, c’est ben péché de l’ jeter à l’eau!

      – J’ pense qu’il en reviendra, fit Urbain.

      – P’tête ben aussi qui n’en r’viendra pas, riposta le vieux, narquois.

      – Oh! père! pria Marie-Jeanne.

      Le bonhomme riait silencieusement de toutes ses rides en se bourrant le nez de tabac, à la force du pouce. Puis brusquement il devint grave et dit:

      – J’avais promis de v’nir voir c’te bateau et me vla; mais, mon gars, j’t’approuvions point. C’est trop conséquent pour toi et trop de prix. T’as p’tête seulement point d’quoi l’payer!.. Alors?.. S’il vient des mauvaises saisons?.. L’an dernier j’ons perdu mes fèves par les pluies; ct’année c’est le soleil qui mange la récolte. Y a point d’fiance au temps, et il est le maître…

      La Marie-Jeanne avait repris son tricot machinalement, un peu gênée par les paroles du vieux paysan, qui sentaient la prudence campagnarde et la lutte sans merci contre l’invincible nature. Urbain continuait son travail, très à l’aise sous des propos dont il n’entendait pas la sagesse, et auxquels il répondit de bonne foi:

      – Vous parlez pour la terre, mais nous c’est point pareil; la mer sait point manquer.

      Ils étaient de deux races et ne pouvaient se comprendre. Toute la lignée d’aïeux,

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