Le Peuple de la mer. Elder Marc

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Le Peuple de la mer - Elder Marc

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talons, Urbain traçait déjà des lettres.

      Au bout du terrain enclos de grillage bas, des mouches dansaient autour de carapaces roses et d’une peau de lapin séchant au bout d’un pieu. Par delà on apercevait la maison à un étage de Viel qui possède deux barques et du bien en terre; des meules de fourrage, caparaçonnées contre le vent de foin tressé; et enfin le marais avec ses moulins, ses cônes de sel, et des femmes fouillant la terre ici et là. Car dans l’île les femmes surtout vont aux champs où elles remuent la glèbe clémente, leur jupon court troussé aux jambes en manière de culotte; l’homme a la mer dangereuse.

      Urbain se redressa et dit:

      – Voilà!

      La Marie-Jeanne et Léon s’approchèrent et considérèrent la planche où était peint en belles lettres droites – car les marins savent tout faire: —Le Dépit des Envieux.

      – C’est le nom, dit-il.

      Ils se regardèrent tous les trois en souriant, satisfaits de la crânerie, mais la Marie-Jeanne s’inquiéta:

      – Fais attention aux Aquenette…

      Léon rit largement et Urbain haussa les épaules.

      Puis il ramassa l’écriteau, rangea la peinture et partit vers Noirmoutier.

      A peine entré au chantier, il saisit un marteau, choisit une forte pointe, escalada l’échafaudage et d’un seul coup fixa le nom à l’étrave de sa barque.

      Les trois Goustan accoururent. Grand-père médita, le nez en l’air, et prononça:

      – C’est bien ça, mon gars, s’ils t’envient, faut montrer que tu les crains pas!

      – Ah! ils le verront bien quand ton sloop s’alignera avec eux autres! appuya François.

      Mais Théodore n’approuva pas; il aurait voulu un nom plus héroïque.

      Le soir même la nouvelle fut portée à l’Herbaudière par Louchon, le facteur, qui a l’œil gauche dévié. Il va chaque jour à la ville chercher le courrier et fait les commissions pour un verre de vin. Il ramène souvent de la viande dans sa besace parce qu’au village il n’y a pas de boucher. Il déballe au cabaret, où s’abrite la poste, les potins amassés en route. Ce fut là que le père Piron, qui buvait ses quatre sous d’eau-de-vie, apprit le nom de la barque à Coët: Le Dépit des Envieux.

      Le père Piron descendit à la jetée où débarquent les gars au retour de la pêche. Les canots se hâtent, s’amarrent aux échelles montant à pic le long du granit, comme un troupeau de bêtes, la tête pressée vers le râtelier. La sardine brille en gros tas d’argent sur leur plancher et les pêcheurs la rangent activement, par centaines, dans les balles. Des conversations aiguës, mêlées de jurons, s’échangent pour les marchés. Des femmes tricotent des bas groseille, guettent leurs hommes et jargaudent en clair patois vendéen. Des civières passent, chargées de paniers, d’où l’eau goutte en laissant des traces. Ça sent fort et bon les entrailles de la mer. Les sabots battent la jetée; le vent grésille dans les filets bleus étendus sur le garde-fou. Et de l’ouest rouge que coupent les hauts phares du Pilier, les derniers sloops accourent, leurs grandes voiles éployées en ciseaux, comme des ailes.

      La Gaude était là, les mains sur ses fortes hanches, et les gars riaient des yeux et l’apostrophaient en la frôlant. Le père Piron lui confia l’affaire:

      – Tu sais pas que Coët a nommé son bateau Le Dépit des Envieux

      Elle fit la moue, mécontente.

      – C’est pour nous mettre à défi peut-être!

      Alors de l’un à l’autre on se passa le mot. Il courut sur la jetée parmi le travail; les femmes le dirent aux vieux et les galants qui vont attendre à la sortie des usines les filles tout imprégnées d’odeurs d’huile et de poisson, le répétèrent aux «connaissances» en les lutinant pour rire. Puis lorsque la nuit tomba, les hommes, qui ont coutume de fumer des pipes en causant, assis sur la murette devant l’auberge à Zacharie, commentèrent le fait et conclurent que Coët était vraiment un mauvais garçon pour les braver jusque dans le nom de sa barque. Et ils décidèrent d’aller en troupe le dimanche suivant voir ce fameux bateau.

      Les gens de l’Herbaudière ne prennent jamais la mer le dimanche, non point en l’honneur du bon Dieu ou parce que c’est le jour du curé, mais simplement parce que les usines ferment et n’achètent pas la sardine. D’ailleurs les hommes ne vont guère à la messe qui est l’affaire des femmes.

      Le samedi soir, toutes les barques rentrent à leur mouillage dans le port où elles se reposeront le lendemain, paresseusement couchées sur le flanc, à mer basse. C’est la journée du nettoyage. Le caleçon rouge troussé en bourrelet jusqu’aux genoux, les hommes briquent, frottent, peignent et le soleil, qui sommeille dans les flaques d’eau, rejaillit au contraire en éclaboussures sur le coaltar frais des coques rondes. Le sable est noirâtre, pailleté, impalpable, mais si bien tassé que les pas n’y marquent point et appellent seulement un peu d’humidité. La jetée, dégagée, s’élève comme un rempart verdi à sa base et fourni de goémon; les viviers d’Izacar sont à sec à l’extrémité, et l’on y entend vivre les cancres et les homards dans un petit bruit perpétuel de bulle qui crève.

      L’après-midi, les pêcheurs se promènent, boivent chez Zacharie, jouent aux cartes ou courent les galantes. Ils ont des vareuses propres, un foulard blanc et des galoches luisantes. Les filles mettent au cou un mouchoir de soie framboise, vert tendre ou bleu de ciel sur un caraco frais, tiré à la poitrine; elles ont un bonnet de linge sur leurs cheveux plats, des cotillons courts, des sabots cirés.

      Ce dimanche là, Double Nerf buvait depuis le matin en compagnie de Gaud et de deux thoniers arrivés la veille, quand il se rappela le rendez-vous au chantier Goustan.

      Les gars étaient déjà loin sur la route, par groupe, bleu clair ou bien deux à deux. Il y avait le père Olichon, Piron l’alcoolique qui a quatorze enfants et jamais un sou net, Julien Perchais plus colossal auprès du Nain, le brigadier Bernard et Labosse, le douanier, qui n’était pas de service. Viel, le riche, s’en allait avec la Gaude aux cheveux de jais éclairés de coquelicots rouges; la mère Izacar et la femme à Perchais marchaient avec la fille Zacharie qui est mise comme une demoiselle; des gars emmenaient leurs connaissances par la taille.

      Urbain Coët travaillait avec Léon au chantier où les odeurs de peintures et de goudron s’exaltaient dans la chaleur. Près de lui, sa femme tricotait, assise à la porte de l’étier, et ses trois gamins jouaient devant elle sur un tas de copeaux.

      Les Goustan ne viennent jamais le dimanche. Grand-père dort sur son lit, le gilet ouvert; François fait «une vache» aux alouettes, chez Malchaussée; et son fils navigue dans la yole avec des camarades.

      – T’ as donc point de repos, mon gars!

      Le père Olichon entrait le premier et petit à petit chacun se rangeait le long des établis, riauneur, les bras croisés. La barque les couvrait de son ombre, magnifique et campée d’aplomb sur la quille, les flancs vastes et le pont élancé ainsi qu’une échine, d’arrière en avant, vers l’étrave qui dressait en croix ce nom: Le Dépit des Envieux.

      Silencieux, les hommes tournèrent à l’entour, s’accroupirent pour juger les dessous, et les visages se faisaient graves, impressionnés. A la porte, les filles se pressaient, jacassantes, et Léon remarqua joyeusement Louise Piron, aux yeux

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