Le Peuple de la mer. Elder Marc

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Le Peuple de la mer - Elder Marc

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du regard; et il eut de l’orgueil de sa barque, de la Marie-Jeanne et de lui-même. Le point s’effaça, la digue s’éteignit. Il n’y eut plus que la bosse confuse de l’île embrumée et devant lui, la mer infinie où les petits bateaux se perdaient parmi les vagues.

      A dix milles dans l’ouest, le Laissez-les dire rencontra la sardine et mit en pêche. L’Aimable Clara arrivait à son tour, puis tout aussitôt ce fut le Dépit des Envieux qui avait semé les concurrents en trois heures de route.

      A son bord, Perchais jura un «nom de Dieu» formidable en houlant du torse et bottant son pont. Double Nerf «n’en revenait pas» de voir Coët derrière lui, tandis que la voilure de son frère, marquée de l’ancre pilote, se perdait au loin parmi les traînards.

      Mais bientôt le ciel se chargea de nouveau, et l’ouest recommença de lâcher des nuages sombres et crevassés au travers desquels tombaient des raies compactes de lumière d’or. Le soleil avait des jambes, comme disent les marins, et c’était mauvais signe. Déjà la mer s’assombrissait, se creusait, couverte de houpettes blanches qui éclataient à perte de vue, tandis que des glacis s’allumaient et s’éteignaient au penchant des vagues. L’horizon obscurci se fermait comme une muraille au pied de laquelle l’océan se détachait en champ clair sur lequel roulait déjà la tempête.

      En hâte les pêcheurs embarquent les filets, amarrent les canots au cul des sloops et tiennent la cape pour réduire leur voilure qui fouette à grands coups secs. Et les barques si fières au port, si énormes au chantier, si colorées dans le soleil, cahotent et gémissent, pauvres petites choses noires que la mer bouscule aveuglément, et sur lesquelles des hommes cramponnés s’agitent.

      D’instant en instant le vent force, s’amplifie au point de devenir palpable bien qu’invisible. Il a du poids et siffle. Il pèse sur les poitrines, assourdit l’oreille et, comme à la main, écrète les vagues pour emporter dans sa course de l’écume et du sel.

      Aux bas ris les sloops évitent vent arrière et fuient vers l’île dont le phare du Pillier repère la position. Les mâts, dressés hauts par-dessus les voiles, geignent en ployant, les palans crient, les haubans raidissent par secousses et les barques déboulent en poussées successives les vallonnements de la mer. Elles fuient, parfois déjaugées de l’avant, montrant la quille et leurs dessous brillants de coaltar; parfois tombant au creux d’une montagne d’eau qui masque l’horizon. Elles fuient, poursuivies sans cesse par les vagues innombrables qui les gagnent, déferlent sur les tableaux, envahissent les ponts où des ruisseaux hésitent, les enlèvent à pleins dos, s’effacent devant d’autres, qui accourent, gonflées, baveuses, heurtent les arrières et passent, pour être remplacées par d’autres encore, aussi méchantes, aussi énormes. Au roulis le coin trempé des grand’voiles monte alternativement dans le ciel et s’abat dans la mer. A bout de bosses, les canots, précipités ou retenus par une lame, mollissent et tendent tour à tour leurs amarres en menaçant de les rompre. L’écume vole et l’embrun fouette en cinglant.

      Arc-bouté sur sa barre, calé dans un trou, ras le pont, l’homme veille, les yeux petits, la trogne en avant, le dos rond sous la bourrasque. C’est tout un troupeau de voiles minuscules, bleues, blanches et rousses, repoussé du large, chassé au ras des flots, presque aussi vite que cette fumée de nuage que le vent emporte follement sous le ciel obscur.

      Le Dépit des Envieux double le premier la pointe blanche de la Corbière, à l’abri de laquelle la mer brisée devient plus maniable.

      Le Laissez-les dire le serre avec l’intention évidente de lui couper la route. Mais Coët approche gaillardement les roches, malgré le ressac, pour empêcher l’adversaire de passer au vent. Les deux sloops naviguent dans les brisants, le bout-dehors du second aiguillonnant le premier. Ils semblent à la merci d’une vague qui les culbuterait l’un sur l’autre. A la barre les hommes gouvernent comme des dieux.

      Il y a des femmes sur la jetée, une main à leur coiffe, l’autre agrippée au garde-fou. Coët vire la balise rouge et vient casser son aire dans le port où les rafales, enjambant la digue, soulèvent des plaques de frisures. Soudain, derrière lui, Perchais aborde lourdement son canot. Les deux patrons se toisent de toutes leurs faces où les yeux surtout vivent, méchamment.

      Le soir Julien Perchais s’en fut chez Zacharie. Il avait besoin de boire pour avaler sa défaite, de crier pour apaiser la colère qui bouillonnait dans le coffre de son thorax. Tous les mécontents étaient là: les deux Aquenette, Gaud, Izacar, le mareyeur, Viel le riche, Olichon, des gars à Piron et le père Piron lui-même qui flairait quelques tournées à l’œil. La fille à Zacharie, avec un chignon en casque et une robe légère, remplissait les verres d’eau-de-vie blanche, en penchant sa forte poitrine au ras des visages. Mais les hommes qui aimaient à la flatter d’habitude, avec des regards équivoques, l’ignoraient, le front lourd de soucis, l’œil fixe.

      Dehors la mer tumultueuse occupait toute la nuit et le vent secouait les portes comme un hôte oublié. Sous la lampe, les pêcheurs faisaient le gros dos, serrant près à près les vareuses festonnées de blanc par les dépôts salins, et leurs rudes trognes sauries où brasillaient les prunelles. La conversation était sourde comme un complot. Mais si quelqu’un avançait que le Dépit des Envieux naviguait bien au plus près, Perchais hurlait:

      – Du bois neuf pardi! c’est léger comme un bouchon!

      Et si une autre voix signalait sa rentrée le premier, vent arrière, il lançait à nouveau:

      – Un sabot! une charrette! tout fout l’camp aux allures portantes!

      Douze fois la fille de Zacharie remplit les verres. L’alcool ensanglantait les visages, soulevait les bras en menace dans la fumée des pipes. La haine commune entretenait l’entente et lorsque la femme de Perchais emmena son homme de force, les pêcheurs se dispersèrent, sans se battre, dans les ténèbres compactes où criait la mer.

      Deux jours plus tard, à son mouillage, le Dépit des Envieux échoua sur un grappin qui lui creva le ventre; le lendemain des cailloux lui entraient au flanc. Coët comprit que des vengeances imbéciles et féroces le traquaient et s’acharnaient bassement contre sa barque. Il fallait faire tête sans insolence, mais avec dédain; et la satisfaction d’avoir à lutter sans merci excita ses nerfs, gonfla ses muscles, dilata sa poitrine, bandant tout son être fort dans un désir d’expansion victorieuse, à la fois sauvage et meurtrière.

      Léon fut désigné pour coucher à bord, de quoi il s’accommoda joyeusement en songeant à Louise. Leurs rendez-vous quotidiens trouvaient un abri confortable, et dès qu’il eut commencé sa garde, Léon vint chaque soir à la jetée chercher la fille, avec son canot.

      Le port est infiniment calme dans les nuits de beau temps. Sur l’eau noire qui semble opaque et sans profondeur, les chaloupes doublées par l’ombre sont, à ce point, immobiles et hautes, qu’on s’étonne de les voir remuer quand on les accoste trop rudement. La pointe des mâts monte parmi les étoiles. Quand on les touche, on sent les cordages, les ponts et les voiles suer à grosses gouttes. Le canot qu’on pousse à la godille paraît filer très vite dans des ruelles entre les barques, glisser sans effort sur quoi? Pas de remous, pas de sillage, pas de lueur, pas de bruit; c’est la mer pourtant, mais alourdie de ténèbres; et lorsqu’on aborde la digue, immense au-dessus de la tête, on a l’impression douloureuse de ne pouvoir jamais aller au delà.

      Quelquefois, cependant, la mer s’allume au passage du canot, se trousse en minces bourrelets de cristal bleu et déploie à l’arrière un éventail de pierres précieuses où opales, turquoises, et lazulites jonglent autour de l’aviron, éclatent, s’éteignent, sombrent, rejaillissent et meurent à l’air dès qu’on les soulève avec la rame comme une pelletée de lumière.

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