Création et rédemption, deuxième partie: La fille du marquis. Dumas Alexandre
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Les épaulements de la batterie de Dillon étaient encore debout et intacts, comme si l'on venait d'en enlever les canons.
Dillon, on se le rappelle, avait tenu jusqu'au dernier moment, et c'était sur lui que s'était replié Dumouriez.
La halte fut gaie; les commencements de route, où chacun est alerte et reposé, sont toujours joyeux.
La journée s'écoula selon le programme: on déjeuna au bord de l'Aire, on s'y reposa, on y joua aux cartes, on y dormit sur l'herbe pendant quatre ou cinq heures.
À huit heures on entrait à Verdun.
Verdun payait cher sa faiblesse. Tous ceux qui avaient pris part à la trahison de la ville avaient été arrêtés. On instruisait le procès des jeunes filles qui avaient été porter des fleurs et des bonbons au roi de Prusse.
Le reste de la route offrait peu d'intérêt. La marche des Prussiens, à leur entrée en France, n'avait éprouvé d'obstacles qu'au delà de l'Argonne. On coucha à Briey, puis à Thionville.
On n'avait plus qu'une étape pour arriver à destination. Jacques Mérey donna rendez-vous pour le surlendemain à ses compagnons de route à Sarrelouis, leur annonçant qu'il allait faire une visite à l'un de ses parents qu'il avait dans un petit village des environs.
Avant de quitter les volontaires, le brave sergent Léon Milcent, qui avait si paternellement veillé sur leurs besoins pendant qu'il avait été avec eux, s'informa encore de ceux qui en son absence pourraient avoir besoin de lui.
Une centaine de francs en assignats assurèrent la nourriture des plus nécessiteux, jusqu'au moment où à Sarrelouis ils toucheraient leur arriéré. La Convention accordait, somme énorme, quarante sous par jour à ses volontaires.
Ceux du sergent Léon Milcent quittèrent donc leur chef en le remerciant de tous les soins qu'il avait eus pour eux et en se promettant une fête de son arrivée à Sarrelouis.
Mais ils l'attendirent vainement le lendemain, vainement le jour suivant, et, comme il n'avait pas dit où il allait, ils ne purent s'informer de lui.
Cependant ils espéraient et attendaient toujours; mais une semaine se passa; quinze jours, un mois se passèrent sans nouvelles, et le temps s'écoula sans que l'on entendît jamais reparler de lui.
Qu'était-il devenu?
Jacques Mérey, qui, avec raison, croyait n'avoir plus rien à craindre, prit à Thionville une petite voiture, dont le propriétaire, moyennant un assignat de six livres, s'engagea à le conduire à la ferme des Trois-Chênes, une des plus belles qui soient situées sur la rive droite de la Moselle, à une lieue et demie de la frontière.
À dix heures du matin, toujours sous son costume de sergent de volontaires, Jacques Mérey descendit à la porte de la ferme, et, sous l'ombrage des trois chênes qui lui avaient fait donner son nom et en homme qui est sûr d'être bien reçu, il paya et renvoya sa voiture.
Puis il regarda avec curiosité les bâtiments en homme qui cherche à rappeler ses souvenirs.
Un chien accourut en aboyant contre lui, mais il étendit la main et le calma.
Aux aboiements du chien un enfant accourut, un beau petit garçon blond comme un rayon de soleil.
– Prenez garde, monsieur, dit-il, Thor est méchant.
Thor était le nom du chien.
– Pas avec moi, dit le volontaire. Tu vois?
Il fit un signe à Thor et Thor vint le caresser.
– Qui es-tu? demanda le petit garçon au volontaire.
– Je n'ai pas besoin de te demander qui tu es, toi: tu es le petit-fils de Hans Rivers.
– Oui.
– Où est ton grand-père?
– Dans la ferme.
– Conduis-moi à lui.
– Venez.
Il prit la main de l'enfant et s'avança avec lui vers un perron au haut duquel parut un vieillard d'une soixantaine d'années.
– Grand-papa, dit l'enfant qui courut à lui, voici un monsieur qui nous connaît.
Le vieillard leva son bonnet de laine, saluant de la main, interrogeant des yeux.
– Monsieur, lui dit Jacques, j'avais l'âge de cet enfant quand je vins, et c'est la seule et unique fois que j'y vins. J'étais avec mon père, Daniel Mérey; vous signâtes avec lui le bail de cette ferme, que je vous ai renouvelé, il y a, je crois, trois ans.
– Dieu me bénisse! s'écria Hans, seriez-vous notre maître Jacques Mérey?
Jacques se mit à rire.
– Je ne suis le maître de personne, dit-il, car, à mon avis, l'homme n'a d'autre maître que lui-même. Je suis tout simplement votre propriétaire.
– Jeanne, Marie, Thibaud, accourez tous, s'écria le vieillard, un jour heureux nous arrive! Venez, venez, venez!
Et au fur et à mesure qu'il appelait, les appelés accouraient et se rangeaient autour de lui.
– Regardez bien monsieur, dit-il, vous tous, tant que vous êtes, et vous aussi, dit-il, étendant l'invitation à deux garçons de charrue, à un berger et à une gardeuse de dindons, c'est à lui que nous devons tout, monsieur, c'est notre bienfaiteur, Jacques Mérey.
Un cri s'échappa de toutes les bouches, les têtes se découvrirent.
– Entrez chez vous! dit le vieillard. Du moment où vous avez mis le pied dans la maison, nous ne sommes plus que vos serviteurs.
Tous se rangèrent.
Jacques Mérey entra.
– Allez chercher à la charrue Bernard et aux vaches Rosine… Bah! c'est aujourd'hui fête, on ne travaille pas.
Bernard et Rosine étaient le fils aîné et la belle-fille du vieillard, le père et la mère de l'enfant blond.
Une heure après, tout le monde était réuni autour de la table du dîner. Il était midi.
Hans était le grand-père, Jeanne était la grand-mère, Bernard était le fils aîné, Rosine était sa femme, Thibaud était un second fils de vingt-deux ans, Marie était une fille de dix-huit, Richard était l'enfant blond de dix ans, le fils de Bernard et de Rosine. C'était toute la famille.
L'aïeul avait cédé son fauteuil à Jacques qui présidait la table.
On en était arrivé au dessert.
– Hans Rivers, dit Jacques, combien y a-t-il de temps que vous êtes fermier dans notre famille?
– Il y a, monsieur Jacques,