Création et rédemption, deuxième partie: La fille du marquis. Dumas Alexandre

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Création et rédemption, deuxième partie: La fille du marquis - Dumas Alexandre

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que votre digne père, M. Daniel, a vécu, c'est-à-dire quinze ans.

      – Il y a donc sept ans que vous ne m'avez rien payé?

      – C'est vrai, monsieur Jacques; mais d'après votre ordre.

      – Je vous ai dit: Vous êtes d'honnêtes gens, gardez vos redevances, achetez du bien avec; plus vous serez riches, plus je le serai.

      – Vous nous avez dit cela, monsieur Jacques, mot pour mot, et, en nous disant cela, vous avez commencé notre fortune.

      – Et quand on a mis en vente les biens des émigrés, c'est-à-dire de ceux qui se battent contre la France, je vous ai dit: Vous devez avoir de l'argent de côté, à moi ou à vous, peu importe; achetez du bien d'émigré, c'est du bon bien qui ne se vendra pas plus de deux ou trois cents francs l'arpent, et qui vaudra celui qui se vend six et huit.

      – Nous avons fait comme vous avez dit, monsieur Jacques, de sorte qu'aujourd'hui nous avons trois cents arpents de terre à nous. Ça nous fait, Dieu nous pardonne! presque aussi riches que notre maître. Il est vrai que là-dessus nous vous devons, avec les intérêts composés, près de quarante mille francs. Mais nous sommes prêts à vous les rendre, non pas en mauvais papier, mais en bon argent, comme nous vous le devons.

      – Il n'est pas question de cela, mes amis. Je n'ai pas besoin de cet argent maintenant; mais peut-être en aurai-je besoin plus tard.

      – Vous savez, à ce moment-là vous le direz, monsieur Jacques, et huit jours après, foi de Hans Rivers! vous serez payé.

      Jacques se mit à rire.

      – Vous auriez un moyen de me payer plus rapide et plus simple, dit-il; ce serait d'aller me dénoncer. Je suis proscrit. On me couperait le cou, et vous ne me devriez plus rien.

      Le père et les enfants, à ces mots, jetèrent un cri et se levèrent debout.

      Puis le père leva les bras au ciel.

      – Ils vous ont proscrit, vous, dit-il, vous le droit, vous la justice, vous la représentation de Dieu sur la terre; mais que veulent-ils donc?

      – Ils veulent le bien; ils croient le vouloir du moins. Alors, comme je suis obligé de quitter la France à mon tour et que je pourrais être arrêté à la frontière, j'ai pensé à vous, Hans Rivers.

      – Ah! voilà qui est bien! monsieur Jacques.

      – J'ai dit, Hans Rivers tient une ferme de mon père sur la Moselle, à deux kilomètres de la frontière, il doit être chasseur.

      – Je ne le suis plus, mais mes deux fils Bernard et Thibaud le sont.

      – Cela revient au même; ils doivent avoir un bateau sur la rivière?

      – Ah! oui, dit Thibaud, et un joli bateau; c'est moi qui le soigne. Vous verrez, monsieur Jacques.

      – Eh bien, je mettrai les habits du père Hans ou d'un de ses enfants; nous monterons dans le bateau, comme des chasseurs de gibier d'eau. La chasse est toujours ouverte sur la rivière. Nous nous laisserons aller à la dérive jusqu'à Trèves, et, une fois là, une fois hors de France, je serai sauvé.

      – Ce sera à votre loisir, monsieur Jacques, dit le père Hans. Tout de suite si vous voulez.

      – Ma foi, non! mon brave ami, répliqua Jacques Mérey; il sera temps demain matin. Vous croiriez que j'ai eu peur de passer une nuit sous votre toit.

      Le lendemain, au point du jour, trois hommes vêtus de costumes de chasseur et accompagnés de deux chiens nageurs, détachaient une barque retenue par une chaîne au pied d'un saule, dans une petite anse de la Moselle, et descendaient dans la barque.

      Deux de ces trois hommes allaient se mettre aux rames, lorsque le troisième, qui était assis au gouvernail, leur fit signe de les laisser en repos.

      Puis, avec un triste sourire:

      – Elle ira toujours assez vite, dit-il.

      Ces trois hommes, c'étaient les deux fils de Hans Rivers et Jacques Mérey.

      Jacques Mérey avait recommandé avec grand soin aux deux jeunes gens de lui dire exactement où finissait la frontière de France.

      Au bout d'un quart d'heure de navigation, ils lui montrèrent un poteau: c'était la frontière. D'un côté, le Luxembourg; de l'autre, le Palatinat. En deçà du poteau, la patrie; au delà, la terre étrangère.

      La barque s'arrêta au pied du poteau. Jacques Mérey voulait une fois encore toucher du pied le sol sacré de la France.

      Il enveloppa le poteau de son bras, comme si ce morceau de bois inerte était un homme, un concitoyen, un frère.

      Il appuya sa tête contre lui, comme il eût fait sur l'épaule d'un ami.

      Sa douleur était double, quitter la France, et la laisser dans l'état où elle était.

      Toute une armée assiégée dans Mayence, presque prisonnière. L'ennemi à Valenciennes, notre dernière barrière. L'armée du Midi en retraite; l'Espagnol débordant sur la France; la Savoie, notre fille d'adoption, retournée contre nous à la voix des prêtres; notre armée des Alpes affamée; Lyon en pleine révolte tirant à mitraille sur les commissaires de la Convention, qui, hélas! le lui rendront bien; enfin les Vendéens victorieux à Fontenay et prêts à marcher sur Paris.

      Jamais nation sans se perdre ne fut si près de sa perte. Pas même Athènes se jetant à la mer pour fuir Xercès et gagnant à la nage son radeau de Salamine.

      Jacques Mérey, tout matérialiste que la science l'eût rendu, sentit cependant que les événements qui se succédaient sur la terre devaient obéir à une mystérieuse puissance cachée dans les profondeurs de l'éternité et devant avoir, au point de vue de notre monde, un but intelligent et humanitaire.

      Il leva les yeux au ciel, et murmura ces paroles:

      – Toi qui me sers à nommer le mot que je cherche: Zeus, Uranus, Jéhova, – Dieu, – créateur invisible et inconnu des mondes, essence céleste ou matière immortelle, je ne crois pas que l'homme individuellement ait droit à un de tes regards; mais je crois que tu couvres toute l'espèce de ta protection toute-puissante, et que de même que les flottes subissent les vents, les grands événements des peuples se courbent sous ta puissante impulsion. De quelque façon qu'il ait été créé, l'homme vient de toi; et si tu l'as créé seul, pauvre et nu, c'était pour lui laisser le mérite et lui donner l'expérience de créer à son tour la famille d'abord, la tribu ensuite, et enfin la société. La société constituée, restait à l'enrichir matériellement par le travail, à l'éclairer par l'intelligence. Depuis six mille ans chacun coopère à ce but selon sa force et selon son génie. Or, quel est le résultat que tu as dû espérer de tant d'efforts? la plus grande somme de bonheur possible répandue sur le plus grand nombre d'individus. Qui a le plus fait pour accomplir cette œuvre immense, ou des monarchies de toute espèce qui se succèdent depuis mille ans à partir de la monarchie féodale de Hugues Capet jusqu'à la monarchie constitutionnelle de Louis XVI, ou des cinq années de révolution qui viennent de s'écouler? qui a donné des droits égaux à l'homme? qui lui a donné le pain de l'esprit par l'éducation, le pain du corps par le partage des terres? C'est notre sainte révolution, c'est notre bien-aimée République. La France est ton élue, ô mon Dieu! puisque tu l'as choisie en quelque

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