La femme au collier de velours. Dumas Alexandre

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La femme au collier de velours - Dumas Alexandre

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au marquis de Chalabre, il n'ambitionnait qu'une chose: c'était une Bible que personne n'eût, mais aussi il l'ambitionnait ardemment. Il tourmenta tant Nodier pour que Nodier lui indiquât un exemplaire unique, que Nodier finit par faire mieux encore que ne désirait le marquis de Chalabre: il lui indiqua un exemplaire qui n'existait pas.

      Aussitôt le marquis de Chalabre se mit à la recherche de cet exemplaire.

      Jamais Christophe Colomb ne mit plus d'acharnement à découvrir l'Amérique. Jamais Vasco de Gama ne mit plus de persistance à retrouver l'Inde que le marquis de Chalabre à poursuivre sa Bible. Mais l'Amérique existait entre le 70e degré de latitude nord et les 53e et 54e de latitude sud. Mais l'Inde gisait véritablement en deçà et au-delà du Gange, tandis que la Bible du marquis de Chalabre n'était située sous aucune latitude, ni ne gisait ni en deçà ni au-delà de la Seine. Il en résulta que Vasco de Gama retrouva l'Inde, que Christophe Colomb découvrit l'Amérique, mais que le marquis eut beau chercher, du nord au sud, de l'orient à l'occident, il ne trouva pas sa Bible.

      Plus la Bible était introuvable, plus le marquis de Chalabre mettait d'ardeur à la trouver.

      Il en avait offert cinq cents francs; il en avait offert mille francs; il en avait offert deux mille, quatre mille, dix mille francs. Tous les bibliographes étaient sens dessus dessous à l'endroit de cette malheureuse Bible. On écrivit en Allemagne et en Angleterre. Néant. Sur une note du marquis de Chalabre, on ne se serait pas donné tant de peine, et on eût simplement répondu: Elle n'existe pas. Mais, sur une note de Nodier, c'était autre chose. Si Nodier avait dit: «La Bible existe», incontestablement la Bible existait. Le pape pouvait se tromper; mais Nodier était infaillible.

      Les recherches durèrent trois ans. Tous les dimanches, le marquis de Chalabre, en déjeunant avec Nodier chez Pixérécourt, lui disait:

      – Eh bien! cette Bible, mon cher Charles…

      – Eh bien?

      – Introuvable!

      – Quoere et invenies, répondait Nodier. Et, plein d'une nouvelle ardeur, le bibliomane se remettait à chercher, mais ne trouvait pas.

      Enfin on apporta au marquis de Chalabre une Bible.

      Ce n'était pas la Bible indiquée par Nodier, mais il n'y avait que la différence d'un an dans la date; elle n'était pas imprimée à Kehl mais elle était imprimée à Strasbourg, il n'y avait que la distance d'une lieue; elle n'était pas unique, il est vrai, mais le second exemplaire, le seul qui existât, était dans le Liban, au fond d'un monastère druse. Le marquis de Chalabre porta la Bible à Nodier et lui demanda son avis:

      – Dame! répondit Nodier, qui voyait le marquis prêt à devenir fou s'il n'avait pas une Bible, prenez celle-là, mon cher ami, puisqu'il est impossible de trouver l'autre.

      Le marquis de Chalabre acheta la Bible moyennant la somme de deux mille francs, la fit relier d'une façon splendide et la mit dans une cassette particulière.

      Quand il mourut, le marquis de Chalabre laissa sa bibliothèque, à mademoiselle Mars, qui n'était rien moins que bibliomane, pria Merlin de classer les livres du défunt et d'en faire la vente. Merlin, le plus honnête homme de la terre, entra un jour chez mademoiselle Mars avec trente ou quarante mille francs de billets de banque à la main.

      Il les avait trouvés dans une espèce de portefeuille pratiqué dans la magnifique reliure de cette Bible presque unique.

      – Pourquoi, demandai-je à Nodier, avez-vous fait cette plaisanterie au pauvre marquis de Chalabre, vous si peu mystificateur?

      – Parce qu'il se ruinait, mon ami, et que, pendant les trois ans qu'il a cherché sa Bible, il n'a pas pensé à autre chose; au bout de ces trois ans il a dépensé deux mille francs, pendant ces trois ans là il en eût dépensé cinquante mille.

      Maintenant que nous avons montré notre bien-aimé Charles pendant la semaine et le dimanche matin, disons ce qu'il était le dimanche depuis six heures du soir jusqu'à minuit.

      Comment avais-je connu Nodier?

      Comme on connaissait Nodier. Il m'avait rendu un service. C'était en 1827, je venais d'achever Christine; je ne connaissais personne dans les ministères, personne au théâtre; mon administration, au lieu de m'être une aide pour arriver à la Comédie Française, m'était un empêchement. J'avais écrit, depuis deux ou trois jours, ce dernier vers, qui a été si fort sifflé et si fort applaudi:

      «Eh bien… j'en ai pitié, mon père: qu'on l'achève!»

      En dessous de ce vers, j'avais écrit le mot FIN: il ne me restait plus rien à faire que de lire ma pièce à messieurs les comédiens du roi et à être reçu ou refusé par eux.

      Malheureusement, à cette époque, le gouvernement de la Comédie-Française était, comme le gouvernement de Venise, républicain, mais aristocratique, et n'arrivait pas qui voulait près des sérénissimes seigneurs du Comité.

      Il y avait bien un examinateur chargé de lire les ouvrages des jeunes gens qui n'avaient encore rien fait, et qui, par conséquent, n'avaient droit à une lecture qu'après examen; mais il existait dans les traditions dramatiques de si lugubres histoires de manuscrits attendant leur tour de lecture pendant un ou deux ans, et même trois ans, que moi, familier du Dante et de Milton, je n'osais point affronter ces limbes, tremblant que ma pauvre Christine n'allât augmenter tout simplement le nombre de:

      Questi sciaurati che mai non fur vivi.

      J'avais entendu parler de Nodier comme protecteur-né de tout poète à naître. Je lui demandai un mot d'introduction près du baron Taylor. Il me l'envoya. Huit jours après j'avais lecture au Théâtre-Français, et j'étais à peu près reçu.

      Je dis à peu près, parce qu'il y avait dans Christine, relativement au temps où nous vivions, c'est-à-dire à l'an de grâce 1827, de telles énormités littéraires, que messieurs les comédiens ordinaires du roi n'osèrent me recevoir d'emblée, et subordonnèrent leur opinion à celle de M. Picard, auteur de la Petite Ville.

      M. Picard était un des oracles du temps.

      Firmin me conduisit chez M. Picard. M. Picard me reçut dans une bibliothèque garnie de toutes les éditions de ses œuvres et ornée de son buste. Il prit mon manuscrit, me donna rendez-vous à huit jours, et nous congédia.

      Au bout de huit jours, heure pour heure, je me présentai à la porte de M. Picard. M. Picard m'attendait évidemment; il me reçut avec le sourire de Rigobert dans Maison à vendre.

      – Monsieur, me dit-il en me tendant mon manuscrit proprement roulé, avez-vous quelque moyen d'existence? Le début n'était pas encourageant.

      – Oui, monsieur, répondis-je; j'ai une petite place chez monsieur le duc d'Orléans.

      – Eh bien! mon enfant, fit-il en me mettant affectueusement mon rouleau entre les deux mains et en me prenant les mains du même coup, allez à votre bureau.

      Et, enchanté d'avoir fait un mot, il se frotta les mains en m'indiquant du geste que l'audience était terminée.

      Je n'en devais pas moins un remerciement à Nodier. Je me présentai à l'Arsenal. Nodier me reçut, comme il recevait, avec un sourire aussi… Mais il y a sourire et sourire, comme dit Molière.

      Peut-être

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