La femme au collier de velours. Dumas Alexandre
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Jusqu'au dernier moment, Nodier insista pour la conversation du dimanche; puis, enfin, on s'aperçut que de sa chambre le malade ne pouvait plus supporter le bruit et le mouvement qui se faisaient dans le salon. Un jour, Marie nous annonça tristement que, le dimanche suivant, l'Arsenal serait fermé; puis tout bas elle dit aux intimes:
– Venez, nous causerons. Nodier s'alita enfin pour ne plus se relever. J'allai le voir.
– Oh! mon cher Dumas, me dit-il en me tendant les bras du plus loin qu'il m'aperçut, du temps où je me portais bien, vous n'aviez en moi qu'un ami; depuis que je suis malade, vous avez en moi un homme reconnaissant. Je ne puis plus travailler, mais je puis encore lire, et, comme vous voyez, je vous lis, et quand je suis fatigué, j'appelle ma fille, et ma fille vous lit.
Et Nodier me montra effectivement mes livres épars sur son lit et sur sa table.
Ce fut un de mes moments d'orgueil réel. Nodier isolé du monde, Nodier ne pouvant plus travailler, Nodier, cet esprit immense, qui savait tout, Nodier me lisait et s'amusait en me lisant.
Je lui pris les mains, j'eusse voulu les baiser, tant j'étais reconnaissant.
À mon tour, j'avais lu la veille une chose de lui, un petit volume qui venait de paraître en deux livraisons de la Revue des Deux Mondes.
C'était Inès de las Sierras. J'étais émerveillé. Ce roman, une des dernières publications de Charles, était si frais, si coloré, qu'on eût dit une œuvre de sa jeunesse que Nodier avait retrouvée et mise au jour à l'autre horizon de sa vie. Cette histoire d'Inès, c'était une histoire d'apparition de spectres, de fantômes; seulement, toute fantastique durant la première partie, elle cessait de l'être dans la seconde; la fin expliquait le commencement. Oh! de cette explication je me plaignis amèrement à Nodier.
– C'est vrai, me dit-il, j'ai eu tort; mais j'en ai une autre; celle-là je ne la gâterai pas, soyez tranquille.
– À la bonne heure, et quand vous y mettrez-vous, à cette œuvre-là? Nodier me prit la main.
– Celle-là, je ne la gâterai pas, parce que ce n'est pas moi qui l'écrirai, dit-il.
– Et qui l'écrira?
– Vous.
– Comment! moi, mon bon Charles? mais je ne la sais pas, votre histoire.
– Je vous la raconterai. Oh! celle-là, je la gardais pour moi, ou plutôt pour vous.
– Mon bon Charles, vous me la raconterez, vous l'écrirez, vous l'imprimerez. Nodier secoua la tête.
– Je vais vous la dire, fit-il; vous me la rendrez si j'en reviens.
– Attendez à ma prochaine visite, nous avons le temps.
– Mon ami, je vous dirai ce que je disais à un créancier quand je lui donnais un acompte: Prenez toujours. Et il commença. Jamais Nodier n'avait raconté d'une façon si charmante. Oh! si j'avais eu une plume, si j'avais eu du papier, si j'avais pu écrire aussi vite que la parole! L'histoire était longue, je restai à dîner. Après le dîner, Nodier s'était assoupi. Je sortis de l'Arsenal sans le revoir. Je ne le revis plus.
Nodier, que l'on croyait si facile à la plainte, avait au contraire caché jusqu'au dernier moment ses souffrances à sa famille.
Lorsqu'il découvrit la blessure, on reconnut que la blessure était mortelle.
Nodier était non seulement chrétien, mais bon et vrai catholique. C'était à Marie qu'il avait fait promettre de lui envoyer chercher un prêtre lorsque l'heure serait venue. L'heure était venue, Marie envoya chercher le curé de Saint-Paul.
Nodier se confessa. Pauvre Nodier! il devait y avoir bien des péchés dans sa vie, mais il n'y avait certes pas une faute.
La confession achevée, toute la famille entra.
Nodier était dans une alcôve sombre, d'où il étendait les bras sur sa femme, sur sa fille et sur ses petits-enfants.
Derrière la famille étaient les domestiques.
Derrière les domestiques, la bibliothèque, c'est-à-dire ces amis qui ne changent jamais, les livres.
Le curé dit à haute voix les prières auxquelles Nodier répondit aussi à haute voix, en homme familier avec la liturgie chrétienne. Puis, les prières finies, il embrassa tout le monde, rassura chacun sur son état, affirma qu'il se sentait encore de la vie pour un jour ou deux, surtout si on le laissait dormir pendant quelques heures.
On laissa Nodier seul, et il dormit cinq heures.
Le 26 janvier au soir, c'est-à-dire la veille de sa mort, la fièvre augmenta et produisit un peu de délire; vers minuit, il ne reconnaissait personne, sa bouche prononça des paroles sans suite, dans lesquelles on distingua les noms de Tacite et de Fénelon.
Vers deux heures, la mort commençait de frapper à la porte: Nodier fut secoué par une crise violente, sa fille était penchée sur son chevet et lui tendait une tasse pleine d'une potion calmante; il ouvrit les yeux, regarda Marie et la reconnut à ses larmes; alors il prit la tasse de ses mains et but avec avidité le breuvage qu'elle contenait.
– Tu as trouvé cela bon? demanda Marie.
– Oh oui! mon enfant, comme tout ce qui vient de toi.
Et la pauvre Marie laissa tomber sa tête sur le chevet du lit, couvrant de ses cheveux le front humide du mourant.
– Oh! si tu restais ainsi, murmura Nodier, je ne mourrais jamais[1]. La mort frappait toujours.
[Note 1: Francis Wey a publié, sur les derniers moments de Nodier, une notice pleine d'intérêt, mais écrite pour les amis, et tirée à vingt-cinq exemplaires seulement.]
Les extrémités commençaient à se refroidir; mais, au fur et à mesure que la vie remontait, elle se concentrait au cerveau et faisait à Nodier un esprit plus lucide qu'il ne l'avait jamais eu.
Alors il bénit sa femme et ses enfants, puis il demanda le quantième du mois.
– Le 27 janvier, dit madame Nodier.
– Vous n'oublierez pas cette date, n'est-ce pas, mes amis? dit Nodier. Puis, se tournant vers la fenêtre:
– Je voudrais bien voir encore une fois le jour, fit-il avec un soupir. Puis il s'assoupit. Puis son souffle devint intermittent.
Puis enfin, au moment où le premier rayon du jour frappa les vitres il rouvrit les yeux, fit du regard un signe d'adieu et expira.
Avec Nodier tout mourut à l'Arsenal, joie, vie et lumière; ce fut un deuil qui nous prit tous; chacun perdait une portion de lui-même en perdant Nodier.
Moi, pour mon compte, je ne sais comment dire cela, mais j'ai quelque chose de mort en moi depuis que Nodier est mort.
Ce quelque chose ne vit que lorsque je parle de Nodier.
Voilà pourquoi j'en parle si souvent.
Maintenant, l'histoire qu'on a lue, c'est celle