La femme au collier de velours. Dumas Alexandre
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Mais, la nuit suivante, s'étant réveillé vers les deux heures du matin, l'idée lui vint de s'assurer si la lampe brûlait. Il descendit de son lit, s'approcha de la fenêtre, et constata de visu que l'église était plongée dans la plus profonde obscurité.
Cet événement, reproduit deux fois en quarante-huit heures, prenait une certaine gravité. Le lendemain, au point du jour, le curé fit venir le bedeau, et l'accusa tout simplement d'avoir mis l'huile dans sa salade au lieu de l'avoir mise dans la lampe. Le bedeau jura ses grands dieux qu'il n'en était rien; que tous les soirs, depuis quinze ans qu'il avait l'honneur d'être bedeau, il remplissait consciencieusement la lampe, et qu'il fallait que ce fût un tour de ce méchant chevalier qui, après avoir tourmenté les vivants pendant sa vie, recommençait à les tourmenter trois cents ans après sa mort.
Le curé déclara qu'il se fiait parfaitement à la parole du bedeau, mais qu'il n'en désirait pas moins assister le soir au remplissage de la lampe; en conséquence, à la nuit tombante, en présence du curé, l'huile fut introduite dans le récipient, et la lampe allumée; la lampe allumée, le curé ferma lui-même la porte de l'église, mit la clef dans sa poche, et se retira chez lui.
Puis il prit un bréviaire, s'accommoda près de sa fenêtre dans un grand fauteuil, et, les yeux alternativement fixés sur le livre et sur l'église, il attendit.
Vers minuit, il vit la lumière qui illuminait les vitraux diminuer, pâlir et s'éteindre.
Cette fois, il y avait une cause étrangère, mystérieuse, inexplicable, à laquelle le pauvre bedeau ne pouvait avoir aucune part.
Un instant, le curé pensa que des voleurs s'introduisaient dans l'église et volaient l'huile. Mais en supposant le méfait commis par des voleurs, c'étaient des gaillards bien honnêtes de se borner à voler l'huile, quand ils épargnaient les vases sacrés.
Ce n'étaient donc pas des voleurs; c'était donc une autre cause qu'aucune de celles qu'on pouvait imaginer, une cause surnaturelle peut-être. Le curé résolut de reconnaître cette cause, quelle qu'elle fût.
Le lendemain soir, il versa lui-même l'huile pour bien se convaincre qu'il n'était pas dupe d'un tour de passe-passe; puis, au lieu de sortir comme il l'avait fait la veille, il se cacha dans un confessionnal.
Les heures s'écoulèrent, la lampe éclairait d'une lueur calme et égale: minuit sonna…
Le curé crut entendre un léger bruit, pareil à celui d'une pierre qui se déplace, puis il vit l'ombre d'un animal avec des pattes gigantesques, laquelle ombre monta contre un pilier, courut le long de la corniche, apparut un instant à la voûte, descendit le long de la corde, et fit une station sur la lampe, qui commença de pâlir, vacilla et s'éteignit.
Le curé se trouva dans l'obscurité la plus complète. Il comprit que c'était une expérience à renouveler, en se rapprochant du lieu où se passait la scène.
Rien de plus facile: au lieu de se mettre dans le confessionnal qui était dans le côté de l'église opposé à la lampe, il n'avait qu'à se cacher dans le confessionnal qui était placé à quelques pas d'elle seulement.
Tout fut donc fait le lendemain comme la veille; seulement le curé changea de confessionnal et se munit d'une lanterne sourde.
Jusqu'à minuit, même calme, même silence, même honnêteté de la lampe à remplir ses fonctions. Mais aussi, au dernier coup de minuit, même craquement que la veille. Seulement, comme le craquement se produisait à quatre pas du confessionnal, les yeux du curé purent immédiatement se fixer sur l'emplacement d'où venait le bruit. C'était la tombe du chevalier qui craquait.
Puis la dalle sculptée qui recouvrait le sépulcre se souleva lentement, et, par l'entrebâillement du tombeau, le curé vit sortir une araignée de la taille d'un barbet, avec un poil long de six pouces, des pattes longues d'une aune, laquelle se mit incontinent, sans hésitation, sans chercher un chemin qu'on voyait lui être familier, à gravir le pilier, à courir sur sa corniche, à descendre le long de la corde, et, arrivée là, à boire l'huile de la lampe, qui s'éteignit.
Mais alors le curé eut recours à sa lanterne sourde, dont il dirigea les rayons vers la tombe du chevalier.
Alors il s'aperçut que l'objet qui la tenait entrouverte était un crapaud gros comme une tortue de mer, lequel, en s'enflant, soulevait la pierre et donnait passage à l'araignée, qui allait incontinent pomper l'huile, qu'elle revenait partager avec son compagnon.
Tous deux vivaient ainsi depuis des siècles dans cette tombe, où ils habiteraient probablement encore aujourd'hui si un accident n'eût révélé au curé la présence d'un voleur quelconque dans son église.
Le lendemain, le curé avait requis main-forte, on avait soulevé la pierre du tombeau, et l'on avait mis à mort l'insecte et le reptile, dont les cadavres étaient suspendus au plafond et faisaient foi de cet étrange événement.
D'ailleurs, le paysan qui racontait la chose à Nodier était un de ceux qui avaient été appelés par le curé pour combattre ces deux commensaux de la tombe du chevalier, et comme lui s'était acharné particulièrement au crapaud, une goutte de sang de l'immonde animal, qui avait jailli sur sa paupière, avait failli le rendre aveugle comme Tobie.
Il en était quitte pour être borgne.
Pour Nodier, les histoires de crapauds ne se bornaient pas là; il y avait quelque chose de mystérieux dans la longévité de cet animal qui plaisait à l'imagination de Nodier. Aussi toutes les histoires de crapauds centenaires ou millénaires, les savait-il; tous les crapauds découverts dans des pierres, ou dans des troncs d'arbres, depuis le crapaud trouvé en 1756 par le sculpteur Le Prince, à Eretteville, au milieu d'une pierre dure où il était encastré, jusqu'au crapaud enfermé par Hérifsant, en 1771, dans une case de plâtre, et qu'il retrouva parfaitement vivant en 1774, étaient-ils de sa compétence. Quand on demandait à Nodier de quoi vivaient les malheureux prisonniers: Ils avaient leur peau, répondait-il. Il avait étudié un crapaud petit-maître qui avait fait six fois peau neuve dans un hiver, et qui six fois avait avalé la vieille. Quant à ceux qui étaient dans des pierres de formation primitive, depuis la création du monde, comme le crapaud que l'on trouva dans la carrière de Boursick, en Gothie, l'inaction totale dans laquelle ils avaient été obligés de demeurer, la suspension de la vie dans une température qui ne permettait aucune dissolution et qui ne rendait nécessaire la réparation d'aucune perte, l'humidité du lieu, qui entretenait celle de l'animal et qui empêchait sa destruction par le dessèchement, tout cela paraissait à Nodier des raisons suffisantes à une conviction dans laquelle il y avait autant de foi que de science.
D'ailleurs Nodier avait, nous l'avons dit, une certaine humilité naturelle, une certaine pente à se faire petit lui-même qui l'entraînait vers les petits et les humbles. Nodier bibliophile trouvait parmi les livres des chefs-d'œuvre ignorés, qu'il tirait de la tombe des bibliothèques; Nodier philanthrope trouvait parmi les vivants des poètes inconnus, qu'il mettait au jour et qu'il conduisait à la célébrité; toute injustice, toute oppression le révoltait, et, selon lui, on opprimait le crapaud, on était injuste envers lui, on ignorait ou l'on ne voulait pas connaître les vertus du crapaud. Le crapaud était bon ami; Nodier l'avait déjà prouvé par l'association du crapaud et de l'araignée, et, à la rigueur, il le prouvait deux fois en racontant une autre histoire de crapaud et de lézard non moins fantastique que la première; le crapaud était donc, non seulement bon ami, mais encore bon père et bon époux. En accouchant lui-même sa femme, le crapaud avait donné aux maris, les premières leçons d'amour conjugal; en enveloppant les œufs de sa famille autour de ses pattes