La San-Felice, Tome 06. Dumas Alexandre
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–Mais, alors, répondit froidement Caracciolo, comme j'ai perdu la confiance de Votre Majesté, je ne pourrai plus la commander.
–Tu as perdu ma confiance, toi, Caracciolo?
–J'aime mieux croire cela, sire, que d'avoir à reprocher, à un roi dans les veines duquel coule le plus vieux sang royal d'Europe, d'avoir manqué à sa parole.
–Oui, c'est vrai, dit le roi, je t'avais promis…
–De ne point quitter Naples, d'abord, ou, si vous le quittiez, de ne le quitter que sur mon bâtiment.
–Voyons, mon cher Caracciolo! dit le roi tendant la main à l'amiral.
L'amiral prit la main du roi, la baisa respectueusement, fit un pas en arrière et tira un papier de sa poche.
–Sire, dit-il, voici ma démission, que je prie Votre Majesté d'accepter.
–Eh bien, non, je ne l'accepte pas, ta démission, je la refuse..
–Votre Majesté n'en a pas le droit.
–Comment, je n'en ai pas le droit? Je n'ai pas le droit de refuser ta démission?
–Non, sire; car Votre Majesté m'a promis hier de m'accorder la première grâce que je lui demanderais; eh bien, cette grâce, c'est de vouloir bien recevoir et accepter ma démission.
–Hier, je t'ai promis?.. Tu deviens fou!
Caracciolo secoua la tête.
–J'ai toute ma raison, sire.
–Hier, je ne t'ai point vu.
–C'est-à-dire que Votre Majesté ne m'a point reconnu. Mais peut être reconnaîtra-t-elle cette montre?
Et Caracciolo tira de sa poitrine une montre magnifique, ornée du portrait du roi et enrichie de diamants.
–Le pilote! s'écria le roi en reconnaissant la montre qu'il avait donnée, la veille, à l'homme qui, si habilement, l'avait conduit dans le port; le pilote!
–C'était moi, sire, répondit Caracciolo en s'inclinant.
–Comment! tu as consenti, toi, un amiral, à faire le métier de pilote?
–Sire, il n'y a point de métier inférieur quand il s'agit du salut du roi.
La figure de Ferdinand prit une expression de mélancolie qu'elle ne revêtait qu'à de bien rares intervalles.
–En vérité, dit-il, je suis un prince bien malheureux: ou l'on éloigne mes amis de moi, ou ils s'éloignent de moi eux-mêmes.
–Sire, répondit Caracciolo, vous avez tort de vous en prendre à Dieu du mal que vous faites ou du mal que vous laissez faire. Dieu vous a donné pour père un roi non-seulement puissant, mais illustre; vous aviez un frère aîné qui devait hériter du sceptre et de la couronne de Naples: Dieu a permis que la folie le touchât du doigt au front et l'écartât de votre chemin. Vous êtes homme, vous êtes roi, vous avez la volonté, vous avez le pouvoir; doué du libre arbitre, vous pouvez choisir entre le bien et le mal, le bon et le mauvais: vous choisissez le mal, sire, de sorte que le bien et le bon s'éloignent de vous.
–Caracciolo, dit le roi, plus triste qu'irrité, sais-tu que personne ne m'a jamais parlé comme tu me parles?
–Parce qu'à part un homme qui, comme moi, aime le roi et veut le bien de l'État, Votre Majesté n'a autour d'elle que des courtisans qui n'aiment qu'eux-mêmes et ne veulent que les honneurs de la fortune.
–Et cet homme, quel est-il?
–Celui que le roi avait oublié à Naples, et que j'ai transporté, moi, en Sicile, le cardinal Ruffo.
–Le cardinal sait, comme toi, que je suis toujours prêt à le recevoir et à l'écouter.
–Oui, sire; seulement, après nous avoir reçus et écoutés, vous suivrez les conseils de la reine, d'Acton et de Nelson. Sire, je suis désespéré de manquer au respect que je dois à une auguste personne, mais ces trois noms seront maudits dans les temps et dans l'éternité.
–Et crois-tu que je ne les maudisse pas, moi? dit le roi; crois-tu que je ne voie pas qu'ils mènent l'État à sa ruine, et moi à ma perte? Je suis un imbécile, mais je ne suis pas un sot.
–Eh bien, alors, luttez, sire!
–Lutter, lutter! cela t'est bien aisé à dire, à toi. Je ne suis pas un homme de lutte, Dieu ne m'a pas créé pour le combat. Je suis un homme de sensations et de plaisirs, un bon coeur que l'on rend mauvais à force de le tourmenter et de l'aigrir. Ils sont là trois ou quatre à se disputer le pouvoir, à tirailler, l'un la couronne, l'autre le sceptre… Je les laisse faire. Le sceptre, la couronne, c'est mon Calvaire; le trône, c'est mon Golgotha. Je n'ai point demandé à Dieu d'être roi. J'aime la chasse, la pêche, les chevaux, les belles filles, et n'ai pas d'autre ambition. Avec dix mille ducats de rente et la liberté de vivre à ma guise, j'eusse été l'homme le plus heureux de la terre. Mais non, sous prétexte que je suis roi, on ne me laisse pas un instant de repos. Cela se comprendrait si je régnais; mais ce sont les autres qui règnent sous mon nom, ce sont les autres qui font la guerre, et c'est moi qui reçois les coups; ce sont les autres qui font les fautes, et c'est moi qui, officiellement, dois les réparer. Tu me demandes ta démission, tu as bien raison; mais c'est aux autres que tu devrais la demander, car ce sont eux que tu sers, et non pas moi.
–Et voilà pourquoi, voulant servir mon roi, et non les autres, je désire rentrer dans cette vie privée que Votre Majesté ambitionnait tout à l'heure. Sire, pour la troisième fois, je supplie donc Votre Majesté de vouloir bien accepter ma démission, et, au besoin, je l'en adjure, au nom de la parole qu'elle m'a donnée hier.
Et Caracciolo présenta au roi d'une main sa démission et de l'autre une plume pour l'accepter.
–Tu le veux? dit le roi.
–Sire, je vous en supplie.
–Et, si je signe, où iras-tu?
–Je retournerai à Naples, sire.
–Qu'iras-tu faire à Naples?
–Servir mon pays, sire. Naples est dans cette situation où elle a besoin de l'intelligence et du courage de tous ses enfants.
–Prends gardée ce que tu feras à Naples, Caracciolo!
–Sire, je tâcherai de m'y conduire comme je l'ai fait jusqu'ici, en honnête homme et en bon citoyen.
–Cela te regarde. Tu insistes toujours?
Carracciolo se contenta de montrer à Ferdinand, du bout du doigt, la montre qu'il avait déposée sur la table.
–Tête de fer! dit le roi avec impatience.
Et, prenant la plume, il écrivit au bas de la démission:
«Accordé; mais que le chevalier Carracciolo n'oublie pas que Naples est au pouvoir de mes ennemis.»
Et il signa, comme d'habitude: FERDINAND B. 1»