La San-Felice, Tome 06. Dumas Alexandre
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу La San-Felice, Tome 06 - Dumas Alexandre страница 8
–Alors, votre avis à vous, milord?
–Mon avis serait, sire, que le roi et la reine feraient bien de prendre un repos dont ils me paraissent avoir grand besoin, et de s'en rapporter à moi du soin de la route.
–Que dites-vous de cela, ma chère maîtresse? demanda le roi.
–Je dis que les avis de milord sont toujours bons à suivre, surtout lorsqu'il s'agit des choses de la mer.
–Vous entendez, milord. Agissez à votre guise; ce que vous ferez sera bien fait.
Nelson s'inclina, et, comme c'était, sous sa rude écorce, un coeur religieux toujours, poétique quelquefois, avant de sortir de la chambre, il s'agenouilla devant le jeune prince.
–Que Votre Altesse dorme en paix, lui dit-il; elle n'a aucun compte à rendre à Dieu, qui, dans sa mystérieuse bonté, a envoyé l'ange de la mort l'attendre au seuil de la vie. Puissions-nous jouir de la même pureté lorsque nous nous présenterons à notre tour devant le trône du Seigneur pour y rendre compte de nos actions! Amen!
Et, se relevant, il s'inclina de nouveau et sortit.
Lorsque Nelson reprit sa place au poste du commandement, le jour commençait à paraître, et la tempête, fatiguée, exhalait ses derniers soupirs, soupirs terribles et pareils à ceux du Titan qui remue la Sicile à chaque mouvement qu'il fait dans son tombeau.
Tout autre que Nelson, à qui ce spectacle eût été moins familier, aurait été surpris par sa majestueuse grandeur. Sous le vent, qui mollissait de plus en plus, se dressait, pareil à un brouillard bleuâtre, l'extrême chaîne des Apennins; à bâbord, s'étendait l'immensité, champ de bataille où le vent et la mer se livraient un dernier combat; à tribord, on distinguait dans un ciel assez pur les côtes de la Sicile, au-dessus desquelles s'élevait, comme un caprice de la création, le colossal Etna, dont la tête se perdait dans les nuages; à l'arrière, on laissait, blanchissant sous les vagues, ces rochers, débris de volcans éteints ou émiettés auxquels on venait d'échapper par miracle; enfin, sous le bâtiment, la mer, émue jusque dans ses profondeurs, creusait de profondes vallées où le Van-Guard descendait en gémissant, et, à chaque descente, semblait près de s'engloutir comme dans un tombeau.
Nelson jeta un regard sur cette splendide page de la nature qui se déroulait sous ses yeux; mais il avait vu trop souvent le même spectacle pour que, si splendide qu'il fût, il absorbât longtemps son attention.
Il appela Henry.
–Que pensez-vous du temps? lui demanda-t-il
Il était évident que l'habile capitaine auquel s'adressait Nelson, n'avait point attendu à ce moment pour se faire une opinion à ce sujet. Mais, ne voulant rien dire à là légère, il interrogea de nouveau les quatre points de l'horizon, essayant de sonder, à travers les vapeurs et les nuées, les mystérieuses profondeurs de l'espace.
–Milord, dit-il, cet examen fait, mon avis est que nous en avons fini avec la tempête, et que, dans une heure, son dernier souffle sera éteint. Mais, alors, je crois à une saute de vent, qui viendra soit du sud, soit du nord. Dans l'un ou l'autre cas, nous aurons le vent bon pour aller à Palerme puisque nous aurons du largue.
–Voilà justement ce que j'ai dit à Leurs Majestés, et j'ai cru pouvoir leur promettre qu'elles coucheraient ce soir dans le palais du roi Roger.
–Alors, dit Henry, il ne s'agit plus que d'acquitter la parole de milord, et cela, je m'en charge.
–Vous êtes aussi fatigué que moi, Henry, attendu-que, pas plus que moi, vous n'avez dormi.
– Eh bien, en ce cas, voici comment, avec la permission de Votre Seigneurie, nous allons nous partager la besogne de la Journée: Milord va prendre cinq ou six heures de repos; pendant ce temps, le vent fera telle évolution qu'il lui plaira. Milord sait, que, quand j'aide l'eau à bâbord et à tribord, devant et derrière moi, je ne suis pas plus embarrassé qu'un autre; par conséquent, que le vent vienne du nord ou du sud, je mettrai le cap sur Palerme, et, quand milord se réveillera nous serons en route. Alors, je lui rendrai son commandement, que milord conservera tant qu'il lui fera plaisir.
Nelson était brisé; puis, comme toujours, il avait, quoique naviguant dès sa jeunesse, le mal de mer. Il céda donc aux instances de Henry, et, le laissant maître du bâtiment, il rentra chez lui pour y prendre quelques heures de repos.
Lorsque Nelson remonta sur la dunette, il était onze heures du matin. Le vent avait passé au sud et soufflait grand frais, le Van-Guard avait doublé le cap d'Orlando et filait huit noeuds à l'heure.
Nelson jeta un coup d'oeil sur le bâtiment. Il fallait le regard expérimenté d'un marin pour reconnaître qu'il y avait eu une tempête et qu'elle avait laissé les traces de son passage dans les agrès du vaisseau. Il tendit la main à Henry avec un sourire de remercîment et l'envoya se reposer à son tour.
Seulement, au moment où il descendait de la dunette, il le rappela pour lui demander ce que l'on avait fait du corps du jeune prince; il avait été, par les soins du médecin, M. Beaty, et du chapelain, M. Scott, porté dans la chambre du lieutenant Parkenson.
L'amiral s'assura si le vaisseau était bien orienté, commanda au timonier de faire même route, et descendit dans l'entre-pont du vaisseau.
L'enfant royal, en effet, était couché sur le lit du jeune lieutenant; un drap était jeté sur lui, et le chapelain, assis sur une chaise, oubliant que, protestant, il priait pour un catholique, lui disait l'office des morts.
Nelson s'agenouilla, fit sa prière, et, soulevant le drap qui lui couvrait le visage, jeta un dernier regard sur l'enfant.
Quoique déjà il fût atteint de la rigidité cadavérique, la mort lui avait rendu la sérénité des traits, que lui avaient momentanément enlevée les douleurs de son agonie. Ses longs cheveux blonds, de la nuance de ceux de sa mère, descendaient en anneaux le long de ses joues décolorées et de son cou, marbré de grosses veines bleuâtres; une chemise à col rabattu et garnie d'une riche dentelle encadrait sa poitrine. On eût dit qu'il dormait.
Seulement, au lieu de sa mère ou d'Emma, c'était un prêtre qui veillait sur son sommeil.
Nelson, quoique de coeur peu tendre, ne put s'empêcher de penser que le jeune prince, qui dormait seul avec un prêtre protestant priant sur lui, – et lui, Nelson, le regardant dormir, – avait à quelques pas de lui son père, sa mère, quatre soeurs et un frère, dont pas un n'avait eu l'idée de lui faire la pieuse visite qu'il lui faisait. Une larme mouilla son oeil et tomba sur la main roidie du mort, à moitié couverte par une manchette de magnifique dentelle.
En ce moment, il sentit une main légère qui se posait doucement sur son épaule. Il se retourna et effleura deux lèvres parfumées: c'était la main, c'étaient les lèvres d'Emma.
C'était dans ses bras, et non dans ceux de sa mère, on se le rappelle, que l'enfant était mort, et, tandis que sa mère dormait, ou, les yeux fermés, roulait sous son front assombri par la haine ses projets de vengeance, c'était encore Emma qui venait accomplir, ne voulant pas que les mains brutales d'un matelot touchassent ce corps délicat, le pieux devoir de l'ensevelissement.
Nelson lui baisa respectueusement la main. Le coeur le plus vaste et le plus ardent, s'il n'est point dénué de toute poésie, a, devant la mort, de suprêmes pudeurs.