La San-Felice, Tome 06. Dumas Alexandre

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La San-Felice, Tome 06 - Dumas Alexandre

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voyant la facilité de la Minerve et comment, pareille à un bon cheval, elle semblait obéir à son commandant, Ferdinand, commençait à regretter de ne s'être point embarqué avec son vieil ami Caracciolo, comme il lui avait promis de le faire, au lieu de s'embarquer sur le Van-Guard.

      Il descendit dans la grande chambre et trouva la reine et les jeunes princesses assez calmes. Depuis le jour venu, elles avaient pris quelque repos. Le jeune prince Albert seul, délicat de santé, avait été atteint de vomissements et était couché sur la poitrine d'Emma Lyonna, qui, admirable dans son dévouement, n'avait pas pris un instant de repos et ne s'était occupée que de la reine et de ses enfants.

      On courut des bordées toute la journée; seulement, les bordées devenaient d'autant plus fatigantes que la mer était devenue plus dure. A chaque virement de bord, les souffrances du jeune prince redoublaient.

      Vers trois heures de l'après-midi, Emma Lyonna monta sur le pont. Il ne fallait pas moins que sa présence pour dérider le front de Nelson. Elle venait lui dire que le prince était très-mal et que la reine faisait demander s'il n'y avait pas moyen d'atterrir quelque part ou de changer de route.

      On était à la hauteur d'Amantea, à peu près: on pouvait relâcher dans le golfe de Sainte-Euphémie. Mais que penserait Caracciolo? Que le Van-Guard n'avait pas pu tenir la mer, et que Nelson, ce vainqueur des hommes, avait été à son tour vaincu par la mer?

      Ses désastres maritimes étaient célèbres presque à l'égal de ses victoires. Il y avait un mois à peine que, dans le golfe de Lyon, son bâtiment, dans un coup de vent, avait été démâté de ses trois mâts, et était rentré dans le port de Cagliari rasé comme un ponton, à la remorque d'un autre de ses bâtiments, moins endommagé que lui.

      Il interrogea l'horizon avec cet oeil profond du marin, à qui tous les signes du danger sont connus.

      Le temps n'était point rassurant. Le soleil, perdu dans les nuages, qu'il teignait à grand'peine d'une lueur jaunâtre, s'affaissait lentement à l'occident, en coupant le ciel de ces irradiations qui annoncent du vent pour le lendemain, et qui font dire aux pilotes: «Gare à nous! le soleil est affourché sur ses ancres!» Le Stromboli, que l'on commençait d'entendre gronder dans le lointain, était complétement perdu, ainsi que l'archipel d'îles au-dessus desquelles il s'élève, dans une masse de vapeurs qui semblaient flotter sur la mer et venir au-devant des fugitifs. Du côté opposé, c'est-à-dire vers le nord, le temps était assez dégagé; mais, aussi loin que l'oeil pouvait s'étendre, on ne voyait d'autre bâtiment que la Minerve, qui, opérant exactement les mêmes évolutions que le Van-Guard, semblait son ombre. Les autres vaisseaux, profitant de la permission donnée par Nelson, manoeuvre indépendante, ou s'étaient abrités dans le port de Castellamare, ou, prenant la bordée de l'ouest, s'étaient réfugiés dans la haute mer.

      Si le vent tenait et que l'on continuât de faire route sur Palerme, il fallait courir des bordées toute la nuit et probablement toute la journée du lendemain.

      C'était encore deux ou trois jours de mer à subir, et lady Hamilton affirmait que le jeune prince ne pouvait les supporter.

      Si, au contraire, le même vent tenait et que l'on mît le cap sur Messine, comme on naviguait avec du largue, on pouvait, en profitant du courant, malgré le vent contraire, entrer dans le port pendant la nuit.

      En agissant ainsi, Nelson ne relâchait point: il obéissait à un ordre du roi. Aussi se décida-t-il pour Messine.

      –Henri, dit-il, faites signal à la Minerve.

      –Lequel?

      Il y eut un moment de silence.

      Nelson réfléchissait dans quels termes l'ordre devait être donné pour sauvegarder son amour-propre.

      –Le roi donne l'ordre au Van-Guard, dit-il, de se porter sur Messine. La Minerve peut continuer sa route vers Palerme.

      Au bout de cinq minutes, l'ordre était transmis.

      Caracciolo répondit qu'il allait obéir.

      Nelson n'eut qu'à ouvrir très-légèrement sa voilure pour prendre de largue ce que le vent du sud pouvait en donner, et le timonier reçut l'ordre de mettre le cap de manière à avoir Salina au vent et à passer entre Panaria et Lipari.

      Si le temps était trop mauvais, débarrassé qu'il était du contrôle de Caracciolo, Nelson se réfugiait dans le golfe de Sainte-Euphémie.

      Cet ordre donné, Nelson jeta un dernier regard sur la Minerve, qui, sur cette mer houleuse, continuait à courir ses bordées avec la légèreté d'un oiseau, et, laissant la garde du bâtiment à Henry, il descendit à la grande chambre où le dîner était servi.

      Personne n'y avait fait honneur, pas même le roi Ferdinand, si grand mangeur qu'il fût. Le mal de mer d'abord, puis une sourde et constante inquiétude avaient suspendu chez lui les sollicitations de l'appétit. Cependant, comme d'habitude, la vue de Nelson rassura les illustres fugitifs, et tout le monde se rapprocha de la table, excepté Emma Lyonna et le jeune prince, dont les vomissements redoublaient de violence et prenaient un caractère inquiétant.

      Deux fois le chirurgien du bord, le docteur Beaty, était venu visiter l'enfant royal; mais, on le sait, aujourd'hui même, on ignore encore le spécifique qui peut calmer la terrible indisposition.

      Le docteur Beaty s'était borné à ordonner l'emploi du thé ou de la limonade à grandes tasses. Mais le jeune prince ne voulait rien recevoir que de la main d'Emma Lyonna, de sorte que la reine, qui, au reste, ne comprenait pas toute la gravité de son état, avait, dans un moment de jalousie maternelle, complétement abandonné l'enfant aux soins de lady Hamilton.

      Quant au roi, il était assez insensible aux souffrances des autres, et, quoiqu'il aimât ses enfants d'un amour plus grand que celui de la reine, des préoccupations personnelles l'empêchaient de donner à la maladie du jeune prince toute l'attention qu'elle méritait.

      Nelson s'approcha de l'enfant pour s'approcher d'Emma Lyonna.

      Depuis quelque temps, le vent mollissait et le vaisseau se balançait lourdement sur la houle. Au supplice des virements de bord avait succédé celui du roulis.

      –Voyez! dit Emma en présentant à Nelson le corps presque inanimé de l'enfant.

      –Oui, répondit Nelson, je comprends pourquoi la reine m'a fait demander si je ne pouvais pas entrer dans quelque port. Par malheur, je n'en connais pas un dans tout l'archipel lipariote auquel je voudrais confier un vaisseau de la taille du Van-Guard, surtout quand il porte avec lui les destinées d'un royaume, et nous sommes encore loin de Messine, de Milazzo ou du golfe de Sainte-Euphémie!

      –Il me semble, fit Emma, que la tempête se calme.

      –Vous voulez dire que le vent tombe; car, de tempête, il n'y en a pas eu de la journée. Dieu nous garde de voir une tempête, milady, et dans ces parages surtout! Oui, le vent tombe; mais ce n'est qu'une trêve qu'il nous accorde, et je ne vous cacherai point que je crains une nuit pire que celle d'hier.

      –Ce n'est point rassurant, ce que vous dites là, milord! interrompit la reine, qui s'était approchée doucement de la cabine et qui, parlant anglais, avait entendu et compris ce que disait Nelson.

      –Mais Votre Majesté peut être certaine, au moins, que le respect et le dévouement veillent sur elle, répondit Nelson.

      En ce moment, la porte de

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