La San-Felice, Tome 06. Dumas Alexandre

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La San-Felice, Tome 06 - Dumas Alexandre

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de plusieurs cordages qui se brisaient, et un immense lambeau de toile fut emporté au-dessous du vent.

      –Ce n'est rien, cria Henry; le grand foc a quitté ses ralingues.

      –Brisants à tribord! cria l'homme en vigie.

      –Il est inutile d'essayer de virer par un pareil temps, murmura Nelson se parlant à lui-même: nous manquerions notre abattée. Si rapprochés que soient les îlots, il y aura place entre eux pour un bâtiment. La barre à tribord!

      Ce commandement fit tressaillir tout l'équipage; on allait au-devant du danger, on s'y jetait à plein corps, on prenait, comme on dit proverbialement, le taureau par les cornes.

      –Sondez! dit la voix ferme et impérative de Nelson dominant celle de la tempête.

      –Dix brasses, répondit la voix de Henry.

      –Attention partout! cria Nelson.

      –Brisants à bâbord! cria le matelot en vigie.

      Nelson s'approcha du bastingage et vit, en effet, la mer qui brisait furieusement à une demi-encablure.

      Le vaisseau était poussé avec une telle rapidité, que les brisants étaient déjà presque dépassés.

      –Ferme à la barre! dit Nelson au pilote.

      –Brisants à tribord! cria le matelot en vigie.

      –Sondez! dit Nelson.

      –Sept brasses, répondit Henry. Mais je crois que nous marchons trop vite; si nous avions des brisants à l'avant, nous ne pourrions pas les éviter.

      –Abaissez le hunier de misaine et celui du grand mât! faites prendre trois ris dans le hunier d'artimon! Sondez!

      –Six brasses, répondit Henry.

      –Nous sommes dans la passe entre Panaria et Stromboli, dit Nelson.

      Puis, il ajouta à voix basse:

      –Dans dix minutes, nous serons sauvés ou au fond de la mer.

      Et, en effet, au lieu de cette espèce de régularité que conservent toujours les vagues, même au milieu de la tempête, en courant devant elles, les vagues semblaient se briser les unes contre les autres, et l'on ne voyait, dans tout ce chaos d'écume, dont les mugissements rappelaient les hurlements des chiens de Scylla, qu'une seule ligne sombre tracée entre deux murailles de brisants.

      C'était dans cet étroit chenal que devait s'engager le Van-Guard.

      –Combien de brasses? demanda Nelson.

      –Six.

      L'amiral fronça le sourcil: une brasse de moins, le Van-Guard touchait.

      –Milord, dit le timonier d'une voix sourde, le bâtiment ne marche plus.

      En effet, le mouvement du Van-Guard était à peine sensible, et, après avoir couru devant la tempête avec une vitesse de onze noeuds à l'heure, si l'on eût jeté le loch, on n'eût point constaté plus de trois noeuds.

      Nelson regarda tout autour de lui. Le vent, brisé par les îlots au milieu desquels il naviguait, n'aurait eu de prise que sur les hautes voiles si elles avaient été ouvertes. D'un autre côté, un courant sous-marin semblait s'opposer à la marche du vaisseau.

      –Combien de brasses? demanda Nelson.

      –Six, toujours, répondit Henry.

      –Milord, dit le vieux timonier, qui était Sicilien, du petit village de la Pace, et qui vit ce qui préoccupait Nelson, milord, sauf votre respect, m'est-il permis de dire un mot?

      –Parle.

      –C'est le courant qui remonte.

      –Quel courant?

      –Celui du détroit. Et, par bonheur, il nous donne un demi-pied et même un pied d'eau de plus.

      –Tu crois que le courant remonte jusqu'ici?

      –Il remonte jusqu'à Paolo, milord.

      –Pare à hisser les huniers et les perroquets! cria Nelson.

      Quoique l'ordre étonnât les matelots, il fut exécuté avec cette obéissance passive et muette qui est la première qualité des marins, surtout dans les heures de danger.

      On vit donc, aussitôt que l'ordre eut été répété par l'officier de quart, se dérouler, le long des mâts et des mâtereaux, les hautes voiles, que seules pouvait atteindre le vent.

      –Il marche! il marche! s'écria le timonier avec un accent joyeux qui indiquait la crainte qu'il avait eue un instant qu'au lieu de suivre intelligemment et fidèlement la route qui était tracée, le Van-Guard ne roulât sur les brisants dont il était entouré.

      –Sondez! cria Nelson.

      –Sept brasses, répondit Henry.

      –Des brisants à l'avant! cria le matelot en vigie dans la hune de misaine.

      –Des brisants à tribord! cria le matelot appuyé au bossoir d'avant.

      –La barre à tribord! cria Nelson d'une voix tonnante; toute! toute! toute!

      Cette triple répétition du commandement de l'amiral indiquait l'imminence du danger. Le vaisseau en effet, n'obéit qu'au moment où l'effort réuni de deux matelots porta la barre toute à tribord et quand l'extrémité du boute-hors s'étendait déjà au dessus de l'écume.

      Tout ce qu'il y avait d'hommes sur le pont avaient suivi avec anxiété le mouvement du vaisseau. Dix secondes de résistance au gouvernail, et il touchait.

      Par malheur, en appuyant à bâbord, le bâtiment se trouva dans la ligne du vent, sans aucun obstacle pour le briser. Une rafale effroyable s'abattit sur le vaisseau, qui, pour la seconde fois, s'inclina sur tribord, si bien que l'extrémité de ses grandes vergues effleura le sommet argenté d'une vague. En même temps, les mâts plièrent en gémissant et, comme ils n'étaient pas soutenus par les basses voiles, les trois mâts de perroquet se brisèrent avec un bruit terrible.

      –Des hommes dans les hunes avec des couteaux! cria Nelson. Coupez et jetez à la mer!

      Une douzaine de matelots, pour obéir à cet ordre, se précipitèrent sur les haubans, qu'ils escaladèrent malgré leur inclinaison avec l'agilité d'une bande de quadrumanes, et, une fois arrivés au lieu de l'avarie, ils se mirent à tailler avec un tel acharnement, qu'au bout de quelques minutes, voiles, vergues et mâtereaux, tout était à la mer.

      Le vaisseau se redressa lentement; mais, au moment où il se redressait, un énorme paquet de mer entra dans la civadière, qui, ne pouvant porter un pareil poids, brisa sa vergue avec un craquement qui eût pu faire croire que le bâtiment s'entr'ouvrait.

      Cette fois encore, il venait d'échapper miraculeusement au naufrage. Les marins reprirent haleine et regardèrent autour d'eux, comme des hommes qui reviennent à la vie après un évanouissement.

      Au même instant, une voix de femme se fit entendre, criant:

      –Milord,

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