La Comédie humaine – Volume 03. Honore de Balzac

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La Comédie humaine – Volume 03 - Honore de Balzac

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gaieté meurt, où la tristesse naît infailliblement, où l'âme est incessamment fatiguée par une solitude sans voix, par un horizon monotone, beautés négatives, mais favorables aux souffrances qui ne veulent pas de consolations.

      Une jeune femme, célèbre à Paris par sa grâce, par sa figure, par son esprit, et dont la position sociale, dont la fortune étaient en harmonie avec sa haute célébrité, vint, au grand étonnement du petit village, situé à un mille environ de Saint-Lange, s'y établir vers la fin de l'année 1820. Les fermiers et les paysans n'avaient point vu de maîtres au château depuis un temps immémorial. Quoique d'un produit considérable, la terre était abandonnée aux soins d'un régisseur et gardée par d'anciens serviteurs. Aussi le voyage de madame la marquise causa-t-il une sorte d'émoi dans le pays. Plusieurs personnes étaient groupées au bout du village, dans la cour d'une méchante auberge, sise à l'embranchement des routes de Nemours et de Moret, pour voir passer une calèche qui allait assez lentement, car la marquise était venue de Paris avec ses chevaux. Sur le devant de la voiture, la femme de chambre tenait une petite fille plus songeuse que rieuse. La mère gisait au fond, comme un moribond envoyé par les médecins à la campagne. La physionomie abattue de cette jeune femme délicate contenta fort peu les politiques du village, auxquels son arrivée à Saint-Lange avait fait concevoir l'espérance d'un mouvement quelconque dans la commune. Certes, toute espèce de mouvement était visiblement antipathique à cette femme endolorie.

      La plus forte tête du village de Saint-Lange déclara le soir au cabaret, dans la chambre où buvaient les notables, que, d'après la triste empreinte sur les traits de madame la marquise, elle devait être ruinée. En l'absence de monsieur le marquis, que les journaux désignaient comme devant accompagner le duc d'Angoulême en Espagne, elle allait économiser à Saint-Lange les sommes nécessaires à l'acquittement des différences dues par suite de fausses spéculations faites à la Bourse. Le marquis était un des plus gros joueurs. Peut-être la terre serait-elle vendue par petits lots. Il y aurait alors de bons coups à faire. Chacun devait songer à compter ses écus, les tirer de leur cachette, énumérer ses ressources, afin d'avoir sa part dans l'abatis de Saint-Lange. Cet avenir parut si beau que chaque notable, impatient de savoir s'il était fondé, pensa aux moyens d'apprendre la vérité par les gens du château; mais aucun d'eux ne put donner de lumières sur la catastrophe qui amenait leur maîtresse, au commencement de l'hiver, dans son vieux château de Saint-Lange, tandis qu'elle possédait d'autres terres renommées par la gaieté des aspects et par la beauté des jardins. Monsieur le maire vint pour présenter ses hommages à Madame; mais il ne fut pas reçu. Après le maire, le régisseur se présenta sans plus de succès.

      Madame la marquise ne sortait de sa chambre que pour la laisser arranger, et demeurait, pendant ce temps, dans un petit salon voisin où elle dînait, si l'on peut appeler dîner se mettre à une table, y regarder les mets avec dégoût, et en prendre précisément la dose nécessaire pour ne pas mourir de faim. Puis elle revenait aussitôt à la bergère antique où, dès le matin, elle s'asseyait dans l'embrasure de la seule fenêtre qui éclairât sa chambre. Elle ne voyait sa fille que pendant le peu d'instants employés par son triste repas, et encore paraissait-elle la souffrir avec peine. Ne fallait-il pas des douleurs inouïes pour faire taire, chez une jeune femme, le sentiment maternel? Aucun de ses gens n'avait accès auprès d'elle. Sa femme de chambre était la seule personne dont les services lui plaisaient. Elle exigea un silence absolu dans le château, sa fille dut aller jouer loin d'elle. Il lui était si difficile de supporter le moindre bruit que toute voix humaine, même celle de son enfant, l'affectait désagréablement. Les gens du pays s'occupèrent beaucoup de ses singularités; puis, quand toutes les suppositions possibles furent faites, ni les petites villes environnantes, ni les paysans ne songèrent plus à cette femme malade.

      La marquise, laissée à elle-même, put donc rester parfaitement silencieuse au milieu du silence qu'elle avait établi autour d'elle, et n'eut aucune occasion de quitter la chambre tendue de tapisseries où mourut sa grand'mère, et où elle était venue pour y mourir doucement, sans témoins, sans importunités, sans subir les fausses démonstrations des égoïsmes fardés d'affection qui, dans les villes, donnent aux mourants une double agonie. Cette femme avait vingt-six ans. A cet âge, une âme encore pleine de poétiques illusions aime à savourer la mort, quand elle lui semble bienfaisante. Mais la mort a de la coquetterie pour les jeunes gens; pour eux, elle s'avance et se retire, se montre et se cache; sa lenteur les désenchante d'elle, et l'incertitude que leur cause son lendemain finit par les rejeter dans le monde où ils rencontreront la douleur, qui, plus impitoyable que ne l'est la mort, les frappera sans se laisser attendre. Or, cette femme qui se refusait à vivre allait éprouver l'amertume de ces retardements au fond de sa solitude, et y faire, dans une agonie morale que la mort ne terminerait pas, un terrible apprentissage d'égoïsme qui devait lui déflorer le cœur et le façonner au monde.

      Ce cruel et triste enseignement est toujours le fruit de nos premières douleurs. La marquise souffrait véritablement pour la première et pour la seule fois de sa vie peut-être. En effet, ne serait-ce pas une erreur de croire que les sentiments se reproduisent? Une fois éclos, n'existent-ils pas toujours au fond du cœur? Ils s'y apaisent et s'y réveillent au gré des accidents de la vie; mais ils y restent, et leur séjour modifie nécessairement l'âme. Ainsi, tout sentiment n'aurait qu'un grand jour, le jour plus ou moins long de sa première tempête. Ainsi, la douleur, le plus constant de nos sentiments, ne serait vive qu'à sa première irruption; et ses autres atteintes iraient en s'affaiblissant, soit par notre accoutumance à ses crises, soit par une loi de notre nature qui, pour se maintenir vivante, oppose à cette force destructive une force égale mais inerte, prise dans les calculs de l'égoïsme. Mais, entre toutes les souffrances, à laquelle appartiendra ce nom de douleur? La perte des parents est un chagrin auquel la nature a préparé les hommes; le mal physique est passager, n'embrasse pas l'âme; et s'il persiste, ce n'est plus un mal, c'est la mort. Qu'une jeune femme perde un nouveau-né, l'amour conjugal lui a bientôt donné un successeur. Cette affliction est passagère aussi. Enfin, ces peines et beaucoup d'autres semblables sont, en quelque sorte, des coups, des blessures; mais aucune n'affecte la vitalité dans son essence, et il faut qu'elles se succèdent étrangement pour tuer le sentiment qui nous porte à chercher le bonheur. La grande, la vraie douleur serait donc un mal assez meurtrier pour étreindre à la fois le passé, le présent et l'avenir, ne laisser aucune partie de la vie dans son intégrité, dénaturer à jamais la pensée, s'inscrire inaltérablement sur les lèvres et sur le front, briser ou détendre les ressorts du plaisir, en mettant dans l'âme un principe de dégoût pour toute chose de ce monde. Encore, pour être immense, pour ainsi peser sur l'âme et sur le corps, ce mal devrait arriver en un moment de la vie où toutes les forces de l'âme et du corps sont jeunes, et foudroyer un cœur bien vivant. Le mal fait alors une large plaie; grande est la souffrance; et nul être ne peut sortir de cette maladie sans quelque poétique changement: ou il prend la route du ciel, ou, s'il demeure ici-bas, il rentre dans le monde pour mentir au monde, pour y jouer un rôle; il connaît dès lors la coulisse où l'on se retire pour calculer, pleurer, plaisanter. Après cette crise solennelle, il n'existe plus de mystères dans la vie sociale qui dès lors est irrévocablement jugée. Chez les jeunes femmes qui ont l'âge de la marquise, cette première, cette plus poignante de toutes les douleurs, est toujours causée par le même fait. La femme et surtout la jeune femme, aussi grande par l'âme qu'elle l'est par la beauté, ne manque jamais à mettre sa vie là où la nature, le sentiment et la société la poussent à la jeter tout entière. Si cette vie vient à lui faillir et si elle reste sur terre, elle y expérimente les plus cruelles souffrances, par la raison qui rend le premier amour le plus beau de tous les sentiments. Pourquoi ce malheur n'a-t-il jamais eu ni peintre ni poète? Mais peut-il se peindre, peut-il se chanter? Non, la nature des douleurs qu'il engendre se refuse à l'analyse et aux couleurs de l'art. D'ailleurs, ces souffrances ne sont jamais confiées: pour en consoler une femme, il faut savoir les deviner; car, toujours amèrement embrassées et religieusement ressenties, elles demeurent dans l'âme comme une avalanche, en tombant dans une vallée, y dégrade tout avant de s'y faire une place.

      La marquise était alors en proie à ces souffrances qui resteront long-temps inconnues, parce que tout dans le monde les condamne;

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