La Comédie humaine - Volume 08. Scènes de la vie de Province - Tome 04. Honore de Balzac
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— Mais, répondit Amélie avec un visible bonheur, c'est bien simple, monsieur de Rubempré travaille chez un imprimeur. C'est, dit-elle en regardant Lolotte, comme si une jolie femme faisait elle-même ses robes.
— Il a imprimé ses poésies lui-même, se dirent les femmes.
— Pourquoi s'appelle-t-il donc alors monsieur de Rubempré? demanda Jacques. Quand il travaille de ses mains, un noble doit quitter son nom.
— Il a effectivement quitté le sien, qui était roturier, dit Zizine, mais pour prendre celui de sa mère qui est noble.
— Puisque ses vers (en province on nomme verse) sont imprimés, nous pouvons les lire nous-mêmes, dit Astolphe.
Cette stupidité compliqua la question jusqu'à ce que Sixte du Châtelet eût daigné dire à cette ignorante assemblée que l'annonce n'était pas une précaution oratoire, et que ces belles poésies appartenaient à un frère royaliste du révolutionnaire Marie-Joseph Chénier. La société d'Angoulême, à l'exception de l'Évêque, de madame de Rastignac et de ses deux filles, que cette grande poésie avait saisis, se crut mystifiée et s'offensa de cette supercherie. Un sourd murmure s'éleva; mais Lucien ne l'entendit pas. Isolé de ce monde odieux par l'enivrement que produisait une mélodie intérieure, il s'efforçait de la répéter, et voyait les figures comme à travers un nuage. Il lut la sombre élégie sur le suicide, celle dans le goût ancien où respire une mélancolie sublime; puis celle où est ce vers:
Tes vers sont doux, j'aime à les répéter.
Enfin, il termina par la suave idylle intitulée Néère.
Plongée dans une délicieuse rêverie, une main dans ses boucles, qu'elle avait défrisées sans s'en apercevoir, l'autre pendant, les yeux distraits, seule au milieu de son salon, madame de Bargeton se sentait pour la première fois de sa vie transportée dans la sphère qui lui était propre. Jugez combien elle fut désagréablement distraite par Amélie, qui s'était chargée de lui exprimer les vœux publics.
— Naïs, nous étions venues pour entendre les poésies de monsieur Chardon, et vous nous donnez des vers (verse) imprimés. Quoique ces morceaux soient fort jolis, par patriotisme ces dames aimeraient mieux le vin du cru.
— Ne trouvez-vous pas que la langue française se prête peu à la poésie? dit Astolphe au Directeur des Contributions. Je trouve la prose de Cicéron mille fois plus poétique.
— La vraie poésie française est la poésie légère, la chanson, répondit du Châtelet.
— La chanson prouve que notre langue est très-musicale, dit Adrien.
— Je voudrais bien connaître les vers (verse) qui ont causé la perte de Naïs, dit Zéphirine; mais d'après la manière dont elle accueille la demande d'Amélie, elle n'est pas disposée à nous en donner un échantillon.
— Elle se doit à elle-même de les lui faire dire, répondit Francis, car le génie de ce petit bonhomme est sa justification.
— Vous qui avez été dans la diplomatie, obtenez-nous cela, dit Amélie à monsieur du Châtelet.
— Rien de plus aisé, dit le baron.
L'ancien Secrétaire des Commandements, habitué à ces petits manéges, alla trouver l'Évêque et sut le mettre en avant. Priée par monseigneur, Naïs fut obligée de demander à Lucien quelque morceau qu'il sût par cœur. Le prompt succès du baron dans cette négociation lui valut un langoureux sourire d'Amélie.
— Décidément ce baron est bien spirituel, dit-elle à Lolotte.
Lolotte se souvenait du propos aigre-doux d'Amélie sur les femmes qui faisaient elles-mêmes leurs robes.
— Depuis quand reconnaissez-vous les barons de l'empire? lui répondit-elle en souriant.
Lucien avait essayé de déifier sa maîtresse dans une ode qui lui était adressée sous un titre inventé par tous les jeunes gens au sortir du collége. Cette ode, si complaisamment caressée, embellie de tout l'amour qu'il se sentait au cœur, lui parut la seule œuvre capable de lutter avec la poésie de Chénier. Il regarda d'un air passablement fat madame de Bargeton, en disant: A ELLE! Puis il se posa fièrement pour dérouler cette pièce ambitieuse, car son amour-propre d'auteur se sentit à l'aise derrière la jupe de madame de Bargeton.
En ce moment, Naïs laissa échapper son secret aux yeux des femmes. Malgré l'habitude qu'elle avait de dominer ce monde de toute la hauteur de son intelligence, elle ne put s'empêcher de trembler pour Lucien. Sa contenance fut gênée, ses regards demandèrent en quelque sorte l'indulgence; puis elle fut obligée de rester les yeux baissés, et de cacher son contentement à mesure que se déployèrent les strophes suivantes.
Du sein de ces torrents de gloire et de lumière,
Où, sur des sistres d'or, les anges attentifs,
Aux pieds de Jéhova redisent la prière
De nos astres plaintifs;
Souvent un chérubin à chevelure blonde
Voilant l'éclat de Dieu sur son front arrêté,
Laisse aux parvis des cieux son plumage argenté,
Et descend sur le monde.
Il a compris de Dieu le bienfaisant regard:
Du génie aux abois il endort la souffrance;
Jeune fille adorée, il berce le vieillard
Dans les fleurs de l'enfance;
Il inscrit des méchants les tardifs repentirs;
A la mère inquiète, il dit en rêve: Espère!
Et, le cœur plein de joie, il compte les soupirs
Qu'on donne à la misère.
De ces beaux messagers un seul est parmi nous,
Que la terre amoureuse arrête dans sa route;
Mais il pleure, et poursuit d'un regard triste et doux
La paternelle voûte.
Ce n'est point de son front l'éclatante blancheur
Qui m'a dit le secret de sa noble origine,
Ni l'éclair de ses yeux, ni la féconde ardeur
De sa vertu divine.
Mais par tant de lueur mon amour ébloui
A tenté de s'unir à sa sainte nature,
Et du terrible archange il a heurté sur lui