Le vicomte de Bragelonne, Tome III.. Dumas Alexandre
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– Pourquoi?
– Vous le savez mieux que personne, puisque vous m'avez pris sur un mur, faisant la cour à Mlle de Montalais; or, ce serait complaisant à moi, vous en conviendrez, lui faisant la cour, de vous ouvrir la porte de sa chambre.
– Eh! qui vous dit que ce soit pour elle que je vous demande la clef?
– Pour qui donc alors?
– Elle ne loge pas seule, ce me semble?
– Non, sans doute.
– Elle loge avec Mlle de La Vallière?
– Oui, mais vous n'avez pas plus affaire réellement à Mlle de La Vallière qu'à Mlle de Montalais, et il n'y a que deux hommes à qui je donnerais cette clef: c'est à M. de Bragelonne, s'il me priait de la lui donner; c'est au roi, s'il me l'ordonnait.
– Eh bien! donnez-moi donc cette clef, monsieur, je vous l'ordonne, dit le roi en s'avançant hors de l'obscurité et en entrouvrant son manteau. Mlle de Montalais descendra près de vous, tandis que nous monterons près de Mlle de La Vallière: c'est, en effet, à elle seule que nous avons affaire.
– Le roi! s'écria Malicorne en se courbant jusqu'aux genoux du roi.
– Oui, le roi, dit Louis en souriant, le roi qui vous sait aussi bon gré de votre résistance que de votre capitulation. Relevez- vous, monsieur; rendez nous le service que nous vous demandons.
– Sire, à vos ordres, dit Malicorne en montant l'escalier.
– Faites descendre Mlle de Montalais, dit le roi, et ne lui sonnez mot de ma visite.
Malicorne s'inclina en signe d'obéissance et continua de monter.
Mais le roi, par une vive réflexion, le suivit, et cela avec une rapidité si grande, que, quoique Malicorne eût déjà la moitié des escaliers d'avance, il arriva en même temps que lui à la chambre.
Il vit alors, par la porte demeurée entrouverte derrière Malicorne, La Vallière toute renversée dans un fauteuil, et à l'autre coin Montalais, qui peignait ses cheveux, en robe de chambre, debout devant une grande glace et tout en parlementant avec Malicorne.
Le roi ouvrit brusquement la porte et entra.
Montalais poussa un cri au bruit que fit la porte, et, reconnaissant le roi, elle s'esquiva.
À cette vue, La Vallière, de son côté, se redressa comme une morte galvanisée et retomba sur son fauteuil.
Le roi s'avança lentement vers elle.
– Vous voulez une audience, mademoiselle, lui dit-il avec froideur, me voici prêt à vous entendre. Parlez.
De Saint-Aignan, fidèle à son rôle de sourd, d'aveugle et de muet, de Saint-Aignan s'était placé, lui, dans une encoignure de porte, sur un escabeau que le hasard lui avait procuré tout exprès.
Abrité sous la tapisserie qui servait de portière, adossé à la muraille même, il écouta ainsi sans être vu, se résignant au rôle de bon chien de garde qui attend et qui veille sans jamais gêner le maître. La Vallière, frappée de terreur à l'aspect du roi irrité, se leva une seconde fois, et, demeurant dans une posture humble et suppliante:
– Sire, balbutia-t-elle, pardonnez-moi.
– Eh! mademoiselle, que voulez-vous que je vous pardonne? demanda
Louis XIV.
– Sire, j'ai commis une grande faute, plus qu'une grande faute, un grand crime.
– Vous?
– Sire, j'ai offensé Votre Majesté.
– Pas le moins du monde, répondit Louis XIV.
– Sire, je vous en supplie, ne gardez point vis-à-vis de moi cette terrible gravité qui décèle la colère bien légitime du roi. Je sens que je vous ai offensé, Sire; mais j'ai besoin de vous expliquer comment je ne vous ai point offensé de mon plein gré.
– Et d'abord, mademoiselle, dit le roi, en quoi m'auriez-vous offensé? Je ne le vois pas. Est-ce par une plaisanterie de jeune fille, plaisanterie fort innocente? Vous vous êtes raillée d'un jeune homme crédule: c'est bien naturel; toute autre femme à votre place eût fait ce que vous avez fait.
– Oh! Votre Majesté m'écrase avec ces paroles.
– Et pourquoi donc?
– Parce que, si la plaisanterie fût venue de moi, elle n'eût pas été innocente.
– Enfin, mademoiselle, reprit le roi, est-ce là tout ce que vous aviez à me dire en me demandant une audience?
Et le roi fit presque un pas en arrière.
Alors La Vallière, avec une voix brève et entrecoupée, avec des yeux desséchés par le feu des larmes, fit à son tour un pas vers le roi.
– Votre Majesté a tout entendu? dit-elle.
– Tout, quoi?
– Tout ce qui a été dit par moi au chêne royal?
– Je n'en ai pas perdu une seule parole, mademoiselle.
– Et Votre Majesté, lorsqu'elle m'eut entendue, a pu croire que j'avais abusé de sa crédulité.
– Oui, crédulité, c'est bien cela, vous avez dit le mot.
– Et Votre Majesté n'a pas soupçonné qu'une pauvre fille comme moi peut être forcée quelquefois de subir la volonté d'autrui?
– Pardon, mais je ne comprendrai jamais que celle dont la volonté semblait s'exprimer si librement sous le chêne royal se laissât influencer à ce point par la volonté d'autrui.
– Oh! mais la menace, Sire!
– La menace!.. Qui vous menaçait? qui osait vous menacer?
– Ceux qui ont le droit de le faire, Sire.
– Je ne reconnais à personne le droit de menace dans mon royaume.
– Pardonnez-moi, Sire, il y a près de Votre Majesté même des personnes assez haut placées pour avoir ou pour se croire le droit de perdre une jeune fille sans avenir, sans fortune, et n'ayant que sa réputation.
– Et comment la perdre?
– En lui faisant perdre cette réputation par une honteuse expulsion.
– Oh! mademoiselle, dit le roi avec une amertume profonde, j'aime fort les gens qui se disculpent sans incriminer les autres.
– Sire!
– Oui, et il m'est pénible, je l'avoue, de voir qu'une justification facile, comme pourrait l'être la vôtre, se vienne compliquer devant moi d'un tissu de reproches et d'imputations.
– Auxquelles vous n'ajoutez