Le vicomte de Bragelonne, Tome III.. Dumas Alexandre
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– La jeune fille poussa une profonde exclamation, et, frappant ses mains l'une dans l'autre:
– Ainsi vous ne me croyez pas? dit-elle.
Le roi ne répondit rien.
Les traits de La Vallière s'altérèrent à ce silence.
– Ainsi vous supposez que moi, moi! dit-elle, j'ai ourdi ce ridicule, cet infâme complot de me jouer aussi imprudemment de Votre Majesté?
– Eh! mon Dieu! ce n'est ni ridicule ni infâme, dit le roi; ce n'est pas même un complot: c'est une raillerie plus ou moins plaisante, voilà tout.
– Oh! murmura la jeune fille désespérée, le roi ne me croit pas, le roi ne veut pas me croire.
– Mais non, je ne veux pas vous croire.
– Mon Dieu! mon Dieu!
– Écoutez: quoi de plus naturel, en effet? Le roi me suit, m'écoute, me guette; le roi veut peut-être s'amuser à mes dépens, amusons-nous aux siens, et, comme le roi est un homme de coeur, prenons-le par le coeur.
La Vallière cacha sa tête dans ses mains en étouffant un sanglot. Le roi continua impitoyablement; il se vengeait sur la pauvre victime de tout ce qu'il avait souffert.
– Supposons donc cette fable que je l'aime et que je l'aie distingué. Le roi est si naïf et si orgueilleux à la fois, qu'il me croira, et alors nous irons raconter cette naïveté du roi, et nous rirons.
– Oh! s'écria La Vallière, penser cela, penser cela, c'est affreux!
– Et, poursuivit le roi, ce n'est pas tout: si ce prince orgueilleux vient à prendre au sérieux la plaisanterie, s'il a l'imprudence d'en témoigner publiquement quelque chose comme de la joie, eh bien! devant toute la cour, le roi sera humilié; or, ce sera, un jour, un récit charmant à faire à mon amant, une part de dot à apporter à mon mari, que cette aventure d'un roi joué par une malicieuse jeune fille.
– Sire! s'écria La Vallière égarée, délirante, pas un mot de plus, je vous en supplie; vous ne voyez donc pas que vous me tuez?
– Oh! raillerie, murmura le roi, qui commençait cependant à s'émouvoir.
La Vallière tomba à genoux, et cela si rudement, que ses genoux résonnèrent sur le parquet.
Puis, joignant les mains:
– Sire, dit-elle, je préfère la honte à la trahison.
– Que faites-vous? demanda le roi, mais sans faire un mouvement pour relever la jeune fille.
– Sire, quand je vous aurai sacrifié mon honneur et ma raison, vous croirez peut-être à ma loyauté. Le récit qui vous a été fait chez Madame et par Madame est un mensonge; ce que j'ai dit sous le grand chêne…
– Eh bien?
– Cela seulement, c'était la vérité.
– Mademoiselle! s'écria le roi.
– Sire, s'écria La Vallière entraînée par la violence de ses sensations, Sire, dussé-je mourir de honte à cette place où sont enracinés mes deux genoux, je vous le répéterai jusqu'à ce que la voix me manque: j'ai dit que je vous aimais… eh bien! je vous aime!
– Vous?
– Je vous aime, Sire, depuis le jour où je vous ai vu, depuis qu'à Blois, où je languissais, votre regard royal est tombé sur moi, lumineux et vivifiant; je vous aime! Sire. C'est un crime de lèse-majesté, je le sais, qu'une pauvre fille comme moi aime son roi et le lui dise. Punissez-moi de cette audace, méprisez-moi pour cette imprudence; mais ne dites jamais, mais ne croyez jamais que je vous ai raillé, que je vous ai trahi. Je suis d'un sang fidèle à la royauté, Sire; et j'aime… j'aime mon roi!.. Oh! je me meurs!
Et tout à coup, épuisée de force, de voix, d'haleine, elle tomba pliée en deux, pareille à cette fleur dont parle Virgile et qu'a touchée la faux du moissonneur.
Le roi, à ces mots, à cette véhémente supplique, n'avait gardé ni rancune, ni doute; son coeur tout entier s'était ouvert au souffle ardent de cet amour qui parlait un si noble et si courageux langage.
Aussi, lorsqu'il entendit l'aveu passionné de cet amour, il faiblit, et voila son visage dans ses deux mains.
Mais, lorsqu'il sentit les mains de La Vallière cramponnées à ses mains, lorsque la tiède pression de l'amoureuse jeune fille eut gagné ses artères, il s'embrasa à son tour, et, saisissant La Vallière à bras-le-corps, il la releva et la serra contre son coeur.
Mais elle, mourante, laissant aller sa tête vacillante sur ses épaules, ne vivait plus.
Alors le roi, effrayé, appela de Saint-Aignan.
De Saint-Aignan, qui avait poussé la discrétion jusqu'à rester immobile dans son coin en feignant d'essuyer une larme, accourut à cet appel du roi.
Alors il aida Louis à faire asseoir la jeune fille sur un fauteuil, lui frappa dans les mains, lui répandit de l'eau de la reine de Hongrie en lui répétant:
– Mademoiselle, allons, mademoiselle, c'est fini, le roi vous croit, le roi vous pardonne. Eh! là, là! prenez garde, vous allez émouvoir trop violemment le roi, mademoiselle; Sa Majesté est sensible, Sa Majesté a un coeur. Ah! diable! mademoiselle, faites- y attention, le roi est fort pâle.
En effet, le roi pâlissait visiblement.
Quant à La Vallière, elle ne bougeait pas.
– Mademoiselle! mademoiselle! en vérité, continuait de Saint- Aignan, revenez à vous, je vous en prie, je vous en supplie, il est temps; songez à une chose, c'est que si le roi se trouvait mal, je serais obligé d'appeler son médecin. Ah! quelle extrémité, mon Dieu! Mademoiselle, chère mademoiselle, revenez à vous, faites un effort, vite, vite!
Il était difficile de déployer plus d'éloquence persuasive que ne le faisait Saint-Aignan; mais quelque chose de plus énergique et de plus actif encore que cette éloquence réveilla La Vallière.
Le roi s'était agenouillé devant elle, et lui imprimait dans la paume de la main ces baisers brûlants qui sont aux mains ce que le baiser des lèvres est au visage. Elle revint enfin à elle, rouvrit languissamment les yeux, et, avec un mourant regard:
– Oh! Sire, murmura-t-elle, Votre Majesté m'a donc pardonné?
Le roi ne répondit pas… il était encore trop ému.
De Saint-Aignan crut devoir s'éloigner de nouveau… Il avait deviné la flamme qui jaillissait des yeux de Sa Majesté.
La Vallière se leva.
– Et maintenant, Sire, dit-elle avec courage, maintenant que je me suis justifiée, je l'espère du moins, aux yeux de Votre Majesté, accordez-moi de me retirer dans un couvent. J'y bénirai mon roi toute ma vie, et j'y mourrai en aimant Dieu, qui m'a fait un jour de bonheur.
– Non, non, répondit le roi, non, vous vivrez ici en