Les compagnons de Jéhu. Dumas Alexandre

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Les compagnons de Jéhu - Dumas Alexandre

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sinon de la vie, du moins des hommes, Pataut conduisit le cheval à l'écurie.

      Quant à Morgan, il regarda pendant quelques secondes Pataut s'enfoncer dans les profondeurs de la cour et dans les ténèbres des écuries; puis, tournant la haie qui ceignait le jardin, il descendit vers un grand massif d'arbres dont les hautes cimes se dressaient et se découpaient dans la nuit avec la majesté des choses immobiles, tout en ombrageant une charmante petite campagne qui portait, dans les environs, le titre pompeux de château des Noires-Fontaines.

      Comme Morgan atteignait le mur du château, l'heure sonna au clocher du village de Montagnac. Le jeune homme prêta loreille au timbre qui passait en vibrant dans latmosphère calme et silencieuse d'une nuit d'automne, et compta jusqu'à onze coups.

      Bien des choses, comme on le voit, s'étaient passées en deux heures.

      Morgan fit encore quelques pas, examina le mur, paraissant chercher un endroit connu, puis, cet endroit trouvé, introduisit la pointe de sa botte dans la jointure de deux pierres, s'élança comme un homme qui monte à cheval, saisit le chaperon du mur de la main gauche, d'un seul élan se trouva à califourchon sur le mur, et, rapide comme l'éclair, se laissa retomber de lautre côté.

      Tout cela s'était fait avec tant de rapidité, d'adresse et de légèreté, que, si quelqu'un eût passé par hasard en ce moment-là, il eût pu croire qu'il était le jouet d'une vision.

      Comme il avait fait d'un côté du mur, Morgan s'arrêta et écouta de l'autre, tandis que son oeil sondait, autant que la chose était possible, dans les ténèbres obscurcies par le feuillage des trembles et des peupliers, les profondeurs du petit buis.

      Tout était solitaire et silencieux. Morgan se hasarda de continuer son chemin. Nous disons se hasarda, parce qu'il y avait, depuis qu'il s'était approché du château des Noires-Fontaines, dans toutes les allures du jeune homme, une timidité et une hésitation si peu habituelles à son caractère, qu'il était évident que, cette fois, s'il avait des craintes, ces craintes n'étaient pas pour lui seul.

      Il gagna la lisière du bois en prenant les mêmes précautions.

      Arrivé sur une pelouse, à l'extrémité de laquelle s'élevait le petit château, il s'arrêta et interrogea la façade de la maison.

      Une seule fenêtre était éclairée, des douze fenêtres qui, sur trois étages, perçaient cette façade.

      Elle était au premier étage, à l'angle de la maison.

      Un petit balcon tout couvert de vignes vierges qui grimpaient le long de la muraille, s'enroulaient autour des rinceaux de fer et retombaient en festons, s'avançait au-dessous de cette fenêtre et surplombait le jardin.

      Aux deux côtés de la fenêtre, placés sur le balcon même, des arbres à larges feuilles s'élançaient de leurs caisses et formaient au-dessus de la corniche un berceau de verdure.

      Une jalousie, montant et descendant à l'aide de cordes, faisait une séparation entre le balcon et la fenêtre, séparation qui disparaissait à volonté.

      C'était à travers les interstices de la jalousie que Morgan avait vu la lumière.

      Le premier mouvement du jeune homme, fut de traverser la pelouse en droite ligne; mais, cette fois encore, les craintes dont nous avons parlé le retinrent.

      Une allée de tilleuls longeait la muraille et conduisait à la maison.

      Il fit un détour et s'engagea sous la voûte obscure et feuillue.

      Puis, arrivé à l'extrémité de lallée, il traversa, rapide comme un daim effarouché, l'espace libre, et se trouva au pied de la muraille, dans lombre épaisse projetée par la maison.

      Il fit quelques pas à reculons, les yeux fixés sur la fenêtre, mais de manière à ne pas sortir de l'ombre.

      Puis, arrivé au point calculé par lui, il frappa trois fois dans ses mains.

      À cet appel, une ombre s'élança du fond de l'appartement, et vint, gracieuse, flexible, presque transparente, se coller à la fenêtre.

      Morgan renouvela le signal.

      Aussitôt la fenêtre s'ouvrit, la jalousie se leva, et une ravissante jeune fille, en peignoir de nuit avec sa chevelure blonde ruisselant sur ses épaules, parut dans lencadrement de verdure.

      Le jeune homme tendit les bras à celle dont les bras étaient tendus vers lui, et deux noms, ou plutôt deux cris sortis du coeur, se croisèrent, allant au-devant l'un de lautre.

      – Charles!

      – Amélie!

      Puis le jeune homme bondit contre la muraille, s'accrocha aux tiges des vigies, aux aspérités de la pierre, aux saillies des corniches, et en une seconde se trouva sur le balcon.

      Ce que les deux beaux jeunes gens se dirent alors ne fut qu'un murmure d'amour perdu dans un interminable baiser.

      Mais, par un doux effort, le jeune homme entraîna d'un bras la jeune fille dans la chambre, tandis que l'autre lâchait les cordons de la jalousie, qui retombait bruyante derrière eux.

      Derrière la jalousie la fenêtre se referma.

      Puis la lumière s'éteignit, et toute la façade du château des

      Noires-Fontaines se trouva dans l'obscurité.

      Cette obscurité durait depuis un quart d'heure à peu près, lorsqu'on entendit le roulement d'une voiture sur le chemin qui conduisait de la grande route de Pont-d'Ain à l'entrée du château.

      Puis le bruit cessa; il était évident que la voiture venait de s'arrêter devant la grille.

      X – LA FAMILLE DE ROLAND

      Cette voiture qui s'arrêtait à la porte était celle qui ramenait à sa famille Roland, accompagné de sir John.

      On était si loin de l'attendre, que, nous l'avons dit, toutes les lumières de la maison étaient éteintes, toutes les fenêtres dans l'obscurité, même celle d'Amélie.

      Le postillon, depuis cinq cents pas, faisait bien claquer son fouet à outrance; mais le bruit était insuffisant pour réveiller des provinciaux dans leur premier sommeil.

      La voiture une fois arrêtée, Roland ouvrit la portière, sauta à terre sans toucher le marchepied, et se pendit à la sonnette.

      Cela dura cinq minutes pendant lesquelles, après chaque sonnerie,

      Roland se retournait vers la voiture en disant:

      – Ne vous impatientez pas, sir John.

      Enfin, une fenêtre s'ouvrit et une voix enfantine, mais ferme, cria:

      – Qui sonne donc ainsi?

      – Ah! c'est toi, petit Édouard, dit Roland; ouvre vite!

      L'enfant se rejeta en arrière avec un cri joyeux et disparut.

      Mais, en même temps, on entendit sa voix qui criait dans les

      corridors:

      – Mère! réveille-toi, c'est Roland!.. Soeur!

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