Les compagnons de Jéhu. Dumas Alexandre
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Читать онлайн книгу Les compagnons de Jéhu - Dumas Alexandre страница 32
Un instant après, on entendit la clef qui grinçait dans la serrure, les verrous qui glissaient dans les tenons; puis une forme blanche apparut sur le perron et vola, plutôt qu'elle ne courut, vers la grille, qui, au bout d'un instant, grinça à son tour sur ses gonds et s'ouvrit.
L'enfant sauta au cou de Roland et y resta pendu.
– Ah! frère! ah! frère! criait-il en embrassant le jeune homme et en riant et pleurant tout à la fois; ah! grand frère Roland, que mère va être contente! et Amélie donc! Tout le monde se porte bien, c'est moi le plus malade… ah! excepté Michel, tu sais, le jardinier, qui s'est donné une entorse. Pourquoi donc n'es-tu pas en militaire?.. Ah! que tu es laid en bourgeois! Tu viens d'Égypte; m'as-tu rapporté des pistolets montés en argent et un beau sabre recourbé? Non! ah bien, tu n'es pas gentil et je ne veux plus t'embrasser; mais non, non, va, n'aie pas peur, je t'aime toujours!
Et l'enfant couvrait le grand frère de baisers, comme il l'écrasait de questions.
L'Anglais, resté dans la voiture, regardait, la tête inclinée à la portière, et souriait.
Au milieu de ces tendresses fraternelles, une voix de femme
éclata.
Une voix de mère!
– Où est-il, mon Roland, mon fils bien-aimé? demandait madame de Montrevel d'une voix empreinte d'une émotion joyeuse si violente, qu'elle allait presque jusqu'à la douleur; où est-il? Est-ce bien vrai qu'il soit revenu? est-ce bien vrai qu'il ne soit pas prisonnier, qu'il ne soit pas mort? est-ce bien vrai qu'il vive?
L'enfant, à cette voix, glissa comme un serpent dans les bras de son frère, tomba debout sur le gazon, et, comme enlevé par un ressort, bondit vers sa mère.
– Par ici, mère, par ici! dit-il en entraînant sa mère à moitié vêtue vers Roland.
À la vue de sa mère, Roland n'y put tenir; il sentit se fondre cette espèce de glaçon qui semblait pétrifié dans sa poitrine; son coeur battit comme celui d'un autre.
– Ah! s'écria-t-il, j'étais véritablement ingrat envers Dieu quand la vie me garde encore de semblables joies.
Et il se jeta tout sanglotant au cou de madame de Montrevel sans se souvenir de sir John, qui, lui aussi, sentait se fondre son flegme anglican, et qui essuyait silencieusement les larmes qui coulaient sur ses joues et qui venaient mouiller son sourire.
L'enfant, la mère et Roland formaient un groupe adorable de tendresse et d'émotion.
Tout à coup, le petit Édouard, comme une feuille que le vent emporte, se détacha du groupe en criant:
– Et soeur Amélie, où est-elle donc?
Puis il s'élança vers la maison, en répétant:
– Soeur Amélie, réveille-toi! lève-toi accours!
Et l'on entendit les coups de pied et les coups de poing de l'enfant qui retentissaient contre une porte.
Il se fit un grand silence.
Puis presque aussitôt on entendit le petit Édouard qui criait:
– Au secours, mère! au secours, frère Roland! soeur Amélie se trouve mal.
Madame de Montrevel et son fils s'élancèrent dans la maison; sir John, qui, en touriste consommé qu'il était, avait dans une trousse des lancettes et dans sa poche un flacon de sels, descendit de voiture, et, obéissant à un premier mouvement, s'avança jusqu'au perron.
Là, il s'arrêta, réfléchissant qu'il n'était point présenté, formalité toute puissante pour un Anglais.
Mais, d'ailleurs, en ce moment, celle au-devant de laquelle il allait venait au-devant de lui.
Au bruit que son frère faisait à sa porte, Amélie avait enfin paru sur le palier; mais sans doute la commotion qui l'avait frappée en apprenant le retour de Roland était trop forte, et, après avoir descendu quelques degrés d'un pas presque automatique et en faisant un violent effort sur elle-même, elle avait poussé un soupir; et, comme une fleur qui plie, comme une branche qui s'affaisse, comme une écharpe qui flotte, elle était tombée ou plutôt s'était couchée sur l'escalier.
C'était alors que l'enfant avait crié.
Mais, au cri de l'enfant, Amélie avait retrouvé, sinon la force, du moins la volonté; elle s'était redressée et en balbutiant: «Tais-toi, Édouard! tais-toi au nom du ciel! me voilà!» Elle s'était cramponnée d'une main à la rampe, et, appuyée de l'autre sur l'enfant, elle avait continué de descendre les degrés.
À la dernière marche, elle avait rencontré sa mère et son frère; alors d'un mouvement violent, presque désespéré, elle avait jeté ses deux bras au cou de Roland, en criant:
– Mon frère! mon frère!
Puis Roland avait senti que la jeune fille pesait plus lourdement à son épaule, et en disant: «Elle se trouve mal, de l'air! de l'air!» il l'avait entraînée vers le perron.
C'était ce nouveau groupe, si différent du premier, que sir John avait sous les yeux.
Au contact de l'air, Amélie respira et redressa la tête.
En ce moment, la lune, dans toute sa splendeur, se débarrassait d'un nuage qui la voilait, et éclairait le visage d'Amélie, aussi pâle qu'elle.
Sir John poussa un cri d'admiration.
Il n'avait jamais vu statue de marbre si parfaite que ce marbre vivant qu'il avait sous les yeux. Il faut dire qu'Amélie était merveilleusement belle, vue ainsi.
Vêtue d'un long peignoir de batiste, qui dessinait les formes d'un corps moulé sur celui de la Polymnie antique, sa tête pâle, légèrement inclinée sur l'épaule de son frère, ses longs cheveux d'un blond d'or tombant sur des épaules de neige, son bras jeté au cou de sa mère, et qui laissait pendre sur le châle rouge dont madame de Montrevel était enveloppée une main d'albâtre rosé, telle était la soeur de Roland apparaissant aux regards de sir John.
Au cri d'admiration que poussa lAnglais, Roland se souvint que celui-ci était là, et madame de Montrevel s'aperçut de sa présence.
Quant à l'enfant, étonné de voir cet étranger chez sa mère, il descendit rapidement le perron, et, restant seul sur la troisième marche, non pas qu'il craignît d'aller plus loin, mais pour rester à la hauteur de celui qu'il interpellait:
– Qui êtes-vous, monsieur? demanda-t-il à sir John, et que faites-vous ici?
– Mon petit Édouard, dit sir John, je suis un ami de votre frère, et je viens vous apporter les pistolets montés en argent et le damas qu'il vous a promis.
– Où sont-ils? demanda l'enfant.
– Ah! dit sir John, ils sont en Angleterre, et il faut le temps de les faire venir; mais voilà votre grand frère qui répondra de moi et qui vous dira que je suis un homme de parole.
– Oui, Édouard, oui, dit Roland; si milord te les promet, tu les auras.
Puis, s'adressant