Les compagnons de Jéhu. Dumas Alexandre

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Les compagnons de Jéhu - Dumas Alexandre

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tombât sous l'ignoble couteau d'un exécuteur: les juges qui l'avaient jugé, les curieux qui s'attendaient à le voir exécuter, avaient oublié cette recommandation corporelle de la beauté, comme dit Montaigne. Il y avait une femme chez le geôlier d'Yssengeaux, sa fille, sa soeur, sa nièce; lhistoire – car c'est une histoire que je vous raconte et non un roman – l'histoire n'est pas fixée là-dessus; tant il y a que la femme, quelle qu'elle fût, devint amoureuse du beau condamné; si bien que, deux heures avant l'exécution, au moment ou maître Laurent croyait voir entrer l'exécuteur, et dormait ou faisait semblant de dormir, comme il se pratique toujours en pareil cas, il vit entrer l'ange sauveur.

      «Vous dire comment les mesures étaient prises, je n'en sais rien: les deux amants ne sont point entrés dans les détails, et pour cause; mais la vérité est – et je vous rappelle toujours, sir John, que c'est la vérité et non une fable – la vérité est que Laurent se trouva libre avec le regret de ne pouvoir sauver son camarade, qui était dans un autre cachot. Gensonné, en pareille circonstance, refusa de fuir et voulut mourir avec ses compagnons les Girondins; mais Gensonné n'avait pas la tête d'Antinoüs sur le corps d'Apollon: plus la tête est belle, vous comprenez, plus on y tient. Laurent accepta donc loffre qui lui était faite et s'enfuit; un cheval l'attendait au prochain village; la jeune fille, qui eût pu retarder ou embarrasser sa fuite, devait l'y rejoindre au point du jour. Le jour parut, mais n'amena point l'ange sauveur; il paraît que notre chevalier tenait plus à sa maîtresse qu'à son compagnon: il avait fui sans son compagnon, il ne voulut pas fuir sans sa maîtresse. Il était six heures du matin, lheure juste de l'exécution; l'impatience, le gagnait. Il avait, depuis quatre heures, tourné trois fois la fête de son cheval vers la ville et chaque fois s'en était approché davantage. Une idée, à cette troisième fois, lui passa par lesprit: c'est que sa maîtresse est prise et va payer pour lui; il était venu jusqu'aux premières maisons, il pique son cheval, rentre dans la ville, traverse à visage découvert et au milieu de gens qui le nomment par son nom, tout étonnés de le voir libre et à cheval, quand ils s'attendaient à le voir garrotté et en charrette, traverse la place de lexécution, où le bourreau vient d'apprendre qu'un de ses patients a disparu, aperçoit sa libératrice qui fendait à grand-peine la foule, non pas pour voir lexécution, elle, mais pour aller le rejoindre. À sa vue, il enlève son cheval, bondit vers elle, renverse trois ou quatre badauds en les heurtant du poitrail de son Bayard, parvient jusqu'à elle, la jette sur l'arçon de sa selle, pousse un cri de joie et disparaît en brandissant son chapeau, comme M. de Condé à la bataille de Lens; et le peuple d'applaudir et les femmes de trouver l'action héroïque et de devenir amoureuses du héros.

      Roland s'arrêta et, voyant que sir John gardait le silence, il l'interrogea du regard.

      – Allez toujours, répondit l'Anglais, je vous écoute, et, comme je suis sûr que vous ne me dites tout cela que pour arriver à un point qui vous reste à dire, j'attends.

      – Eh bien, reprit en riant Roland, vous avez raison, très cher, et vous me connaissez, ma parole, comme si nous étions amis de collège. Eh bien, savez-vous l'idée qui m'a, toute la nuit, trotté dans l'esprit? C'est de voir de près ce que c'est que ces messieurs de Jéhu.

      – Ah! oui, je comprends, vous n'avez pas pu vous faire tuer par

      M. de Barjols, vous allez essayer de vous faire tuer par

      M. Morgan.

      – Ou un autre, mon cher sir John, répondit tranquillement le jeune officier; car je vous déclare que je n'ai rien particulièrement contre M. Morgan, au contraire, quoique ma première pensée, quand il est entré dans la salle et a fait son petit speech – n'est-ce pas un _speech _que vous appelez cela?

      Sir John fit de la tête un signe affirmatif.

      – Bien que ma première pensée, reprit Roland, ait été de lui sauter au cou et de létrangler d'une main, tandis que, de l'autre, je lui eusse arraché son masque.

      – Maintenant que je vous connais, mon cher Roland, je me demande, en effet, comment vous n'avez pas mis un si beau projet à exécution.

      – Ce n'est pas ma faute, je vous le jure! j'étais parti, mon compagnon ma retenu.

      – Il y a donc des gens qui vous retiennent?

      – Pas beaucoup, mais celui-là.

      – De sorte que vous en êtes aux regrets?

      – Non pas, en vérité; ce brave détrousseur de diligences a fait sa petite affaire avec une crânerie qui m'a plu: j'aime instinctivement les gens braves; si je n'avais pas tué M. de Barjols, j'aurais voulu être son ami. Il est vrai que je ne pouvais savoir combien il était brave qu'en le tuant. Mais parlons d'autre chose. C'est un de mes mauvais souvenirs que ce duel. Pourquoi étais-je donc monté? À coup sûr, ce n'était point pour vous parler des compagnons de Jéhu, ni des exploits de M. Laurent… Ah! c'était pour m'entendre avec vous sur ce que vous comptez faire ici. Je me mettrai en quatre pour vous amuser, mon cher hôte, mais jai deux chances contre moi: mon pays, qui n'est guère amusant; votre nation, qui n'est guère amusable.

      – Je vous ai déjà dit, Roland, répliqua lord Tanlay en tendant la main au jeune homme, que je tenais le château de Noires-Fontaines pour un paradis.

      – D'accord; mais, pourtant, dans la crainte que vous ne trouviez bientôt votre paradis monotone, je ferai de mon mieux pour vous distraire. Aimez-vous l'archéologie, Westminster, Cantorbéry? nous avons l'église de Brou, une merveille, de la dentelle sculptée par maître Colomban; il y a une légende là-dessus, je vous la dirai un soir que vous aurez le sommeil difficile. Vous y verrez les tombeaux de Marguerite de Bourbon, de Philippe le Beau et de Marguerite d'Autriche; nous vous poserons le grand problème de sa devise: «Fortune, infortune, fortune» que j'ai la prétention d'avoir résolu par cette version latinisée: «F_ortuna, infortuna, forti una_»_ _Aimez-vous la pêche, mon cher hôte? vous avez la Reyssouse au bout de votre pied; à l'extrémité de votre main une collection de lignes et d'hameçons appartenant à Édouard, une collection de filets appartenant à Michel. Quant aux poissons, vous savez que c'est la dernière chose dont on s'occupe. Aimez- vous la chasse? nous avons la forêt de Seillon à cent pas de nous; pas la chasse à courre, par exemple, il faut y renoncer, mais la chasse à tir. Il paraît que les bois de mes anciens croquemitaines, les chartreux, foisonnent de sangliers, de chevreuils, de lièvres et de renards. Personne n'y chasse par la raison que c'est au gouvernement, et que le gouvernement, dans ce moment-ci, c'est personne. En ma qualité d'aide de camp du général Bonaparte, je remplirai la lacune, et nous verrons si quelqu'un ose trouver mauvais qu'après avoir chassé les Autrichiens sur l'Adige et les mameluks sur le Nil, je chasse les sangliers, les daims, les chevreuils, les renards et les lièvres sur la Reyssouse. Un jour d'archéologie, un jour de pêche et un jour de chasse. Voilà déjà trois jours, vous voyez, mon cher hôte, nous n'avons plus à avoir d'inquiétude que pour quinze ou seize.

      – Mon cher Roland, dit sir John avec une profonde tristesse et sans répondre à la verbeuse improvisation du jeune officier, ne me direz-vous jamais quelle fièvre vous brûle, quel chagrin vous mine?

      – Ah! par exemple, fit Roland avec un éclat de rire strident et douloureux, je n'ai jamais été si gai que ce matin; c'est vous qui avez le spleen, milord, et qui voyez tout en noir.

      – Un jour, je serai réellement votre ami, répondit sérieusement sir John; ce jour-là, vous me ferez vos confidences; ce jour-là, je porterai une part de vos peines. – Et la moitié de mon anévrisme… Avez-vous faim, milord?

      – Pourquoi me faites-vous cette question?

      – C'est que j'entends dans l'escalier les pas d'Édouard, qui vient nous dire que le déjeuner est servi.

      En

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