La San-Felice, Tome 05. Dumas Alexandre
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Alors les patriotes, le mot circulait déjà hautement, – les patriotes furent invités à prêter leurs armes, les patrouilles commencèrent immédiatement, et la ville prit un certain air de tranquillité.
Mais tout à coup, et au grand étonnement de chacun, on apprit à Naples qu'une trêve de deux mois, dont la première condition devait être la reddition de Capoue, avait été signée la veille, c'est-à-dire le 9 janvier 1799, à la demande du général Mack, entre le prince de Migliano et le duc de Geno, d'un côté, pour le compte du gouvernement, représenté par le vicaire général, et le commissaire ordonnateur Archambal, de l'autre, pour l'armée républicaine.
La trêve était arrivée à merveille pour tirer Championnet d'un grand embarras. Les ordres donnés par le roi pour le massacre des Français avaient été suivis à la lettre. Outre les trois grandes bandes de Pronio, de Mammone et de Fra-Diavolo que nous avons vues à l'oeuvre, chacun s'était mis en chasse des Français. Des milliers de paysans couvraient les routes, peuplaient les bois et la montagne, et, embusqués derrière les arbres, cachés derrière les rochers, couchés dans les plis du terrain, massacraient impitoyablement tous ceux qui avaient l'imprudence de rester en arrière des colonnes ou de s'éloigner de leurs campements. En outre, les troupes du général Naselli, de retour de Livourne, réunies aux restes de la colonne de Damas, s'étaient embarquées dans le but de descendre aux bouches du Garigliano et d'attaquer les Français par derrière, tandis que Mack leur présenterait la bataille de front.
La position de Championnet, perdu avec ses deux mille soldats au milieu de trente mille soldats révoltés, et ayant affaire à la fois à Mack, qui tenait Capoue avec 15,000 hommes, à Naselli, qui en avait 8,000, à Damas, à qui il en restait 5,000, et à Rocca-Romana et à Maliterno, chacun avec son régiment de volontaires, était assurément fort grave.
Le corps d'armée de Macdonald avait voulu prendre Capoue par surprise. En conséquence, il s'était avancé nuitamment, et il enveloppait déjà le fort avancé de Saint-Joseph, lorsqu'un artilleur, entendant du bruit et voyant des hommes se glisser dans l'obscurité, avait mis le feu à sa pièce et tiré au hasard, mais, en tirant au hasard, avait donné l'alarme.
D'un autre côté, les Français avaient tenté de passer le Volturne au gué de Caïazzo; mais ils avaient été repoussés par Rocca-Romana et ses volontaires. Rocca-Romana avait fait des merveilles dans cette occasion.
Championnet avait aussitôt donné l'ordre à son armée de se concentrer autour de Capoue, qu'il voulait prendre, avant de marcher sur Naples. L'armée accomplit son mouvement. Ce fut alors qu'il vit son isolement et comprit dans toute son étendue le danger de la situation. Il en était à chercher, dans quelqu'un de ces actes d'énergie qu'inspire le désespoir, le moyen de sortir de cette position, en intimidant l'ennemi par quelque coup d'éclat, lorsque, tout à coup et au moment où il s'y attendait le moins, il vit s'ouvrir les portes de Capoue et s'avancer au-devant de lui, précédés de la bannière parlementaire, quelques officiers supérieurs chargés de proposer l'armistice.
Ces officiers supérieurs, qui ne connaissaient pas Championnet, étaient, comme nous l'avons dit, le prince de Migliano et le duc de Geno.
L'armistice, était-il dit dans les préliminaires, avait pour objet d'arriver à la conclusion d'une paix solide et durable.
Les conditions que les deux plénipotentiaires napolitains étaient autorisés à proposer étaient la reddition de Capoue et le tracé d'une ligne militaire, de chaque côté de laquelle les deux armées napolitaine et française attendraient chacune la décision de leur gouvernement.
Dans la situation où était Championnet, de telles conditions étaient non-seulement acceptables, mais avantageuses. Cependant Championnet les repoussa, disant que les seules conditions qu'il pût écouter étaient celles qui auraient pour résultat la soumission des provinces et la reddition de Naples.
Les plénipotentiaires n'étaient point autorisés à aller jusque-là; ils se retirèrent.
Le lendemain, ils revinrent avec les mêmes propositions, qui, comme la veille, furent repoussées.
Enfin, deux jours après, deux jours pendant lesquels la situation de l'armée française, enveloppée de tous côtés, n'avait fait qu'empirer, le prince de Migliano et le duc de Geno revinrent pour la troisième fois et déclarèrent qu'ils étaient autorisés à accorder toute condition qui ne serait point la reddition de Naples.
Cette nouvelle concession des plénipotentiaires napolitains était si étrange dans la situation où se trouvait l'armée française, que Championnet crut à quelque embûche, tant elle était avantageuse. Il réunit ses généraux, prit leur avis: l'avis unanime fut d'accorder l'armistice.
L'armistice fut donc accordé, pour trois mois, et aux conditions suivantes:
Les Napolitains rendraient la citadelle de Capoue avec tout ce qu'elle contenait;
Une contribution de deux millions et demi de ducats serait levée pour couvrir les dépenses de la guerre à laquelle l'agression du roi de Naples avait forcé la France;
Cette somme serait payable en deux fois: moitié le 15 janvier, moitié le 25 du même mois;
Une ligne était tracée de chaque côté de laquelle se tenaient les deux armées.
Cette trêve fut un objet d'étonnement pour tout le monde, même pour les Français, qui ignoraient quels motifs l'avaient fait conclure. Elle prit le nom de Sparanisi, du nom du village où elle fut conclue, et signée le 10 du mois de décembre.
Nous qui connaissons les motifs qui la firent conclure et qui furent révélés depuis, disons-les.
LXXX
LES TROIS PARTIS DE NAPLES AU COMMENCEMENT DE L'ANNÉE 1789
Notre livre-on a dû depuis longtemps s'en apercevoir-est un récit historique dans lequel se trouve, comme par accident, mêlé l'élément dramatique; mais cet élément romanesque, au lieu de diriger les événements et de les faire plier sous lui, se soumet entièrement à l'exigence des faits et ne transparaît en quelque sorte que pour relier les faits entre eux.
Ces faits sont si curieux, les personnages qui les accomplissent si étranges, que, pour la première fois depuis que nous tenons une plume, nous nous sommes plaint de la richesse de l'histoire, qui l'emportait sur notre imagination. Nous ne craignons donc pas, lorsque la nécessité l'exige, d'abandonner pour quelques instants, nous ne disons pas le récit fictif, – tout est vrai dans ce livre, – mais le récit pittoresque, et de souder Tacite à Walter Scott. Notre seul regret, et l'on en comprendra l'étendue, est de ne pas posséder à la fois la plume de l'historien romain et celle du romancier écossais; car, avec les éléments qui nous étaient donnés, nous eussions écrit un chef d'oeuvre.
Nous avons à faire connaître à la France une révolution qui lui est encore à peu près inconnue, parce qu'elle s'est accomplie dans un temps où sa propre révolution absorbait son attention tout entière, et ensuite parce qu'une partie des événements que nous racontons, par les soins du gouvernement qui les opprimait, était inconnue aux Napolitains eux-mêmes.
Ceci posé, nous reprenons notre narration et nous allons consacrer quelques lignes à l'explication de cette trêve de Sparanisi, qui, le 10 décembre, jour où elle fut connue, faisait l'étonnement de Naples.
Nous avons dit comment la ville avait nommé des représentants, comment elle avait été elle-même trouver le vicaire