Les mystères du peuple, Tome V. Эжен Сю

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Les mystères du peuple, Tome V - Эжен Сю

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écrié l'évêque furieux, – je vous retirerai les prêtres qui disent la messe au monastère! tremblez! j'excommunierai la vallée!» – Soit, évêque; nous serons excommuniés; cependant nos prairies continueront de verdir, nos bois de brancher, nos champs de produire le blé, nos vignes le vin, nos troupeaux leur lait, nos abeilles le miel; les enfants naîtront robustes et vermeils comme par le passé: votre excommunication, vous le savez, ne peut rien changer à la nature des choses; seulement nos voisins se diront: – Oh! oh! voici une vallée excommuniée toujours fertile; voici des gens excommuniés toujours gais et bien portants; c'est donc une raillerie que l'excommunication. – Or, évêque, croyez-moi, de ce châtiment que vous dites, et que tant de pauvres gens croient terrible, l'on se souciera peu ou point… Suivez mon avis, renoncez à la violence, à la bataille; vos soldats tonsurés ne brillent pas, vous le voyez, à la guerre; respectez nos biens, nos libertés, nous respecterons votre juridiction spirituelle… sinon, non; et les malheurs que peut causer votre iniquité retomberont sur vous!.. Enfin, mes amis, après de longs débats, j'ai obtenu de l'évêque la charte que voici; écoutez-en attentivement la lecture. Il y a peut-être là, en germe, l'affranchissement de la Gaule: je vous dirai tout à l'heure pourquoi.

      Et Loysik lut ce qui suit:

      «Au saint et vénérable frère en Christ Loysik, supérieur du monastère de Charolles, bâti en la vallée de ce nom, concédée audit frère Loysik en donation perpétuelle, en vertu d'une charte octroyée par le glorieux roi Clotaire, l'an 558, et confirmée par l'illustre Clotaire II, cet an-ci 613, Salvien, évêque de Châlons: Nous croyons devoir insérer dans cette feuille ce que nous et nos successeurs devront faire, avec l'assistance du Saint-Esprit: 1º l'évêque de Châlons, par respect pour le lieu, et sans en recevoir aucun prix, bénira l'autel du monastère de Charolles et accordera, si on le lui demande, le saint chrême chaque année; 2º lorsque, par la volonté divine, un supérieur aura passé du monastère à Dieu, l'évêque, sans en attendre de récompense, élèvera au rang de supérieur ou d'abbé le moine remarquable par les mérites de sa vie, qui aura été choisi par la communauté; 3º nos successeurs évêques ou archidiacres, ou tous autres administrateurs, ou quelque personne que ce puisse être de la cité de Châlons, ne s'arrogeront aucune autre puissance sur le monastère de Charolles, ni dans l'ordination des personnes, ni sur les biens, ni sur les métairies de la vallée, déjà données par le glorieux roi Clotaire Ier, et confirmées par l'illustre roi Clotaire II;nos successeurs n'oseront pas non plus prétendre extorquer, à titre de présent, quoi que ce soit du monastère ou des paroisses de la vallée; 5º nos successeurs, à moins d'être priés par le supérieur et la communauté de venir faire la prière au monastère, n'entreront jamais dans son intérieur ou ne franchiront l'enceinte de ses limites, et après la célébration des saints mystères, et avoir reçu de courts et simples remercîments, l'évêque songera à regagner sa demeure sans besoin d'en être requis par personne; 6º si quelqu'un de nos successeurs (ce qu'à Dieu ne plaise), rempli de perfidie, et poussé par la cupidité, voulait, dans un esprit de témérité, violer les choses ci-dessus contenues, qu'abattu sous le coup de la vengeance divine, il soit soumis à l'anathème. Et pour que cette constitution demeure toujours en vigueur, nous avons voulu la corroborer de notre signature.

      «Salvien.

      «Fait à Châlons, le huitième jour des kalendes de novembre de l'an de l'Incarnation 613[F].»

      – Mon bon frère Loysik, – dit Ronan, – cette charte garantit nos droits; merci à toi de l'avoir obtenue; mais n'avions-nous pas nos épées pour les défendre, ces droits?

      – Oh! toujours ce vieux levain de Vagrerie! les épées, toujours les épées! ainsi les meilleures choses deviennent mauvaises par l'abus et l'emportement; oui, l'épée, oui, la résistance, oui, la révolte poussée jusqu'au martyre, lorsque votre droit est violé par la force; mais pourquoi le sang? pourquoi la bataille? lorsque le bon droit est reconnu, garanti? et d'ailleurs, qui vous dit que dans de nouvelles luttes vous auriez le dessus? qui vous dit que l'évêque de Châlons, ou son successeur, si vous refusiez de reconnaître sa juridiction, n'appellerait pas, malgré la charte royale confirmée par Clotaire, n'appellerait pas quelque seigneur bourguignon à son aide?.. Vous sauriez mourir, c'est vrai… mais à quoi bon mourir lorsqu'on peut vivre libres et paisibles? Cette charte engage l'évêque et ses successeurs à respecter les droits des moines de ce monastère et des habitants de cette vallée; c'est une garantie de plus; mais si quelque jour on la foule aux pieds, alors à vous les résolutions héroïques; jusque-là, mes amis, vivez les jours tranquilles que cette charte vous assure.

      – Tu as raison, Loysik, – reprit Ronan; – ce vieux levain de Vagrerie fermente toujours en nous… Un mot encore… cette soumission à la juridiction spirituelle de l'évêque, soumission consacrée par cette charte, n'est-ce pas une humiliation?

      – N'exerçait-il pas auparavant, plus ou moins, son pouvoir spirituel? La reconnaître est peu de chose, la méconnaître c'est nous exposer à des luttes sans fin… Et à quoi bon? nos biens, notre liberté, ne sont-ils pas consacrés? Attendez du moins qu'on les attaque.

      – C'est juste, mon bon frère…

      – Et puis, tenez, mes amis, je vous le disais tout à l'heure, cette charte, obtenue de l'évêque parce que vous avez su énergiquement résister à son iniquité, au lieu de vous résigner lâchement à son usurpation, cette charte, si l'avenir ne me trompe, contient en germe l'affranchissement progressif de la Gaule…

      – Comment cela, bon frère Loysik?

      – Tôt ou tard, ce que nous avons fait ici dans la vallée de Charolles s'accomplira en d'autres provinces, le vieux sang gaulois ne restera pas toujours engourdi; quelque jour nos fils, se comptant enfin, diront à leur tour aux seigneurs et aux évêques, malgré leur puissance: Reconnaissez nos droits et nous reconnaîtrons le pouvoir que vous vous êtes arrogé; sinon, guerre à outrance, guerre à mort!..

      – Et pourtant, Loysik! – s'écria Ronan, – honte! iniquité!.. reconnaître ce pouvoir maudit, né d'une conquête spoliatrice et sanglante! le reconnaître, ce droit du vol et du meurtre! l'oppression de la race gauloise par la race franque!..

      – Frère, autant que toi je déplore ces malheurs; mais que faire? Hélas! la conquête et l'Église, sa complice, pèsent sur la Gaule depuis plus d'un siècle, elles y ont déjà poussé de détestables mais profondes racines; les populations hébétées, énervées par les prêtres, sont accoutumées à respecter ce pouvoir odieux que le temps, l'habitude, la peur, l'ignorance des peuples, ont déjà en partie consacré. Notre descendance aura donc à compter avec ce pouvoir fortifié par les années; elle devra forcément le reconnaître, tout en revendiquant de lui, par la force s'il le faut, une partie des droits dont nos pères ont été déshérités par la conquête. Mais qu'importe, mes amis! ce premier pas fait, d'autres suivront d'âge en âge, hélas! au prix de luttes terribles sans doute; mais à chacun de ces pas, marqué par son sang, notre race se rapprochera de plus en plus de l'affranchissement… oui, viendra enfin ce beau jour prophétisé par Victoria la Grande, ce beau jour où la Gaule, foulant enfin sous ses pieds la couronne des rois franks et des papes de Rome, se relèvera fière, glorieuse et libre…

      La nouvelle du retour de Loysik, volant de bouche en bouche, amena spontanément à la communauté tous les habitants de la vallée. On fêta ce jour avec une joyeuse cordialité; il assurait de nouveau le repos, les biens, la liberté des moines du monastère et de la colonie de Charolles.

      Moi, Ronan, fils de Karadeuk, j'ai terminé d'écrire ce dernier récit deux ans après la mort de la reine Brunehaut, vers la fin des kalendes d'octobre de l'année 615. Clotaire II continue de régner sur toute la Gaule, comme avait régné seul son bisaïeul Clovis et son aïeul Clotaire Ier. Le meurtrier des

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