La Comédie humaine - Volume 07. Scènes de la vie de Province - Tome 03. Honore de Balzac

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La Comédie humaine - Volume 07. Scènes de la vie de Province - Tome 03 - Honore de Balzac

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acceptés et rendus. Ce salon mixte où se rencontrent la petite noblesse à poste fixe, le clergé, la magistrature, exerce une grande influence. La raison et l'esprit du pays résident dans cette société solide et sans faste où chacun connaît les revenus du voisin, où l'on professe une parfaite indifférence du luxe et de la toilette, jugés comme des enfantillages en comparaison d'un mouchoir à bœufs de dix ou douze arpents dont l'acquisition a été couvée pendant des années, et qui a donné lieu à d'immenses combinaisons diplomatiques. Inébranlable dans ses préjugés bons ou mauvais, ce cénacle suit une même voie sans regarder ni en avant ni en arrière. Il n'admet rien de Paris sans un long examen, se refuse aux cachemires aussi bien qu'aux inscriptions sur le Grand-Livre, se moque des nouveautés, ne lit rien et veut tout ignorer: science, littérature, inventions industrielles. Il obtient le changement d'un préfet qui ne convient pas, et si l'administrateur résiste, il l'isole à la manière des abeilles qui couvrent de cire un colimaçon venu dans leur ruche. Enfin, là, les bavardages deviennent souvent de solennels arrêts. Aussi, quoiqu'il ne s'y fasse que des parties de jeu, les jeunes femmes y apparaissent-elles de loin en loin; elles y viennent chercher une approbation de leur conduite, une consécration de leur importance. Cette suprématie accordée à une maison froisse souvent l'amour-propre de quelques naturels du pays qui se consolent en supputant la dépense qu'elle impose, et dont ils profitent. S'il ne se rencontre pas de fortune assez considérable pour tenir maison ouverte, les gros bonnets choisissent pour lieu de réunion, comme faisaient les gens d'Alençon, la maison d'une personne inoffensive de qui la vie arrêtée, dont le caractère ou la position laisse la société maîtresse chez elle, en ne portant ombrage ni aux vanités, ni aux intérêts de chacun. Ainsi la haute société d'Alençon se réunissait depuis long-temps chez la vieille fille dont la fortune était à son insu couchée en joue par madame Granson, son arrière-petite-cousine, et par les deux vieux garçons dont les secrètes espérances viennent d'être dévoilées. Cette demoiselle vivait avec son oncle maternel, un ancien Grand-Vicaire de l'Évêché de Séez, autrefois son tuteur, et de qui elle devait hériter. La famille, que représentait alors Rose-Marie-Victoire Cormon, comptait autrefois parmi les plus considérables de la province; quoique roturière, elle frayait avec la noblesse à laquelle elle s'était souvent alliée, elle avait fourni jadis des intendants aux ducs d'Alençon, force magistrats à la Robe et plusieurs évêques au Clergé. Monsieur de Sponde, le grand-père maternel de mademoiselle Cormon, fut élu par la Noblesse aux États-Généraux, et monsieur Cormon, son père, par le Tiers-État; mais aucun n'accepta cette mission. Depuis environ cent ans, les filles de cette famille s'étaient mariées à des nobles de la province, en sorte qu'elle avait si bien tallé dans le Duché, qu'elle y embrassait tous les arbres généalogiques. Nulle bourgeoisie ne ressemblait davantage à la noblesse.

      Bâtie sous Henri IV par Pierre Cormon, intendant du dernier duc d'Alençon, la maison où demeurait mademoiselle Cormon avait toujours appartenu à sa famille, et parmi tous ses biens visibles, celui-là stimulait particulièrement la convoitise de ses deux vieux amants. Cependant loin de donner des revenus, ce logis était une cause de dépense; mais il est si rare de trouver dans une ville de province une demeure placée au centre, sans méchant voisinage, belle au dehors, commode à l'intérieur, que tout Alençon partageait cette envie. Ce vieil hôtel était situé précisément au milieu de la rue du Val-Noble, appelée par corruption le Val-Noble, sans doute à cause du pli que fait dans le terrain la Brillante, petit cours d'eau qui traverse Alençon. Cette maison est remarquable par la forte architecture que produisit Marie de Médicis. Quoique bâtie en granit, pierre qui se travaille difficilement, ses angles, les encadrements des fenêtres et ceux des portes sont décorés par des bossages taillés en pointes de diamant. Elle se compose d'un étage au-dessus d'un rez-de-chaussée; son toit extrêmement élevé présente des croisées saillantes à tympans sculptés, assez élégamment encastrées dans le chéneau doublé de plomb, extérieurement orné par des balustres. Entre chacune de ces croisées s'avance une gargouille figurant une gueule fantastique d'animal sans corps qui vomit les eaux sur de grandes pierres percées de cinq trous. Les deux pignons sont terminés par des bouquets en plomb, symbole de bourgeoisie, car aux nobles seuls appartenait autrefois le droit d'avoir des girouettes. Du côté de la cour, à droite, sont les remises et les écuries; à gauche, la cuisine, le bûcher et la buanderie.

      Un des battants de la porte cochère restait ouvert et garni d'une petite porte basse, à claire-voie et à sonnette, qui permettait aux passants de voir, au milieu d'une vaste cour, une corbeille de fleurs dont les terres amoncelées étaient retenues par une petite haie de troène. Quelques rosiers des quatre saisons, des giroflées, des scabieuses, des lis et des genêts d'Espagne composaient le massif, autour duquel on plaçait pendant la belle saison des caisses de lauriers, de grenadiers et de myrtes. Frappé de la propreté minutieuse qui distinguait cette cour et ses dépendances, un étranger aurait pu deviner la vieille fille. L'œil qui présidait là devait être un œil inoccupé, fureteur, conservateur moins par caractère que par besoin d'action. Une vieille demoiselle, chargée d'employer sa journée toujours vide, pouvait seule faire arracher l'herbe entre les pavés, nettoyer les crêtes des murs, exiger un balayage continuel, ne jamais laisser les rideaux de cuir de la remise sans être fermés. Elle seule était capable d'introduire par désœuvrement une sorte de propreté hollandaise dans une petite province située entre le Perche, la Bretagne et la Normandie, pays où l'on professe avec orgueil une crasse indifférence pour le comfort. Jamais ni le chevalier de Valois, ni du Bousquier ne montaient les marches du double escalier qui enveloppait la tribune du perron de cet hôtel sans se dire, l'un qu'il convenait à un pair de France, et l'autre que le maire de la ville devait demeurer là. Une porte-fenêtre surmontait ce perron et entrait dans une antichambre éclairée par une seconde porte semblable qui sortait sur un autre perron du côté du jardin. Cette espèce de galerie carrelée en carreau rouge, lambrissée à hauteur d'appui, était l'hôpital des portraits de famille malades: quelques-uns avaient un œil endommagé, d'autres souffraient d'une épaule avariée; celui-ci tenait son chapeau d'une main qui n'existait plus, celui-là était amputé d'une jambe. Là se déposaient les manteaux, les sabots, les doubles souliers, les parapluies, les coiffes et les pelisses. C'était l'arsenal où chaque habitué laissait son bagage à l'arrivée et le reprenait au départ. Aussi, le long de chaque mur y avait-il une banquette pour asseoir les domestiques qui arrivaient armés de falots, et un gros poêle afin de combattre la bise qui venait à la fois de la cour et du jardin. La maison était donc divisée en deux parties égales. D'un côté, sur la cour, se trouvait la cage de l'escalier, une grande salle à manger donnant sur le jardin, puis un office par lequel on communiquait avec la cuisine; de l'autre, un salon à quatre fenêtres, à la suite duquel étaient deux petites pièces, l'une ayant vue sur le jardin et formant boudoir, l'autre éclairée sur la cour et servant de cabinet. Le premier étage contenait l'appartement complet d'un ménage, et un logement où demeurait le vieil abbé de Sponde. Les mansardes devaient sans doute offrir beaucoup de logements depuis long-temps habités par des rats et des souris dont les hauts-faits nocturnes étaient redits par mademoiselle Cormon au chevalier de Valois, en s'étonnant de l'inutilité des moyens employés contre eux. Le jardin, d'environ un demi-arpent, est margé par la Brillante, ainsi nommée à cause des parcelles de mica qui paillettent son lit; mais partout ailleurs que dans le Val-Noble où ses eaux maigres sont chargées de teintures et des débris qu'y jettent les industries de la ville. La rive opposée au jardin de mademoiselle Cormon est encombrée, comme dans toutes les villes de province où passe un cours d'eau, de maisons où s'exercent des professions altérées; mais par bonheur elle n'avait alors en face d'elle que des gens tranquilles, des bourgeois, un boulanger, un dégraisseur, des ébénistes. Ce jardin, plein de fleurs communes, est terminé naturellement par une terrasse formant un quai, au bas de laquelle se trouvent quelques marches pour descendre à la Brillante. Sur la balustrade de la terrasse imaginez de grands vases en faïence bleue et blanche d'où s'élèvent des giroflées; à droite et à gauche, le long des murs voisins, voyez deux couverts de tilleuls carrément taillés; tous aurez une idée du paysage plein de bonhomie pudique, de chasteté tranquille, de vues modestes et bourgeoises qu'offraient la rive opposée et ses naïves maisons, les eaux rares de la Brillante, le jardin, ses deux couverts collés contre les murs voisins, et le vénérable édifice des Cormon. Quelle paix! quel

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