La Comédie humaine - Volume 07. Scènes de la vie de Province - Tome 03. Honore de Balzac

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La Comédie humaine - Volume 07. Scènes de la vie de Province - Tome 03 - Honore de Balzac

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voix lui disait que la nature ne l'avait pas si abondamment pourvue en vain, et qu'il allait se présenter un homme entreprenant. Son désir se rafraîchissait comme elle avait rafraîchi son corps; elle se contemplait dans sa double étoffe avec une sorte d'ivresse, puis cette satisfaction se continuait alors qu'elle descendait pour donner son redoutable coup d'œil au salon, au cabinet et au boudoir. Elle s'y promenait avec le contentement naïf du riche qui pense à tout moment qu'il est riche et ne manquera jamais de rien. Elle regardait ses meubles éternels, ses antiquités, ses laques; elle se disait que de si belles choses voulaient un maître. Après avoir admiré la salle à manger, remplie par la table oblongue où s'étendait une nappe de neige ornée d'une vingtaine de couverts placés à des distances égales; après avoir vérifié l'escadron de bouteilles qu'elle avait indiquées, et qui montraient d'honorables étiquettes; après avoir méticuleusement vérifié les noms écrits sur de petits papiers par la main tremblante de l'abbé, seul soin qu'il prît dans le ménage et qui donnait lieu à de graves discussions sur la place de chaque convive; alors mademoiselle allait, dans ses atours, rejoindre son oncle, qui, vers ce moment le plus joli de la journée, se promenait sur la terrasse, le long de la Brillante, en écoutant le ramage des oiseaux nichés dans le couvert sans avoir à craindre les chasseurs ou les enfants. Durant ces heures d'attente, elle n'abordait jamais l'abbé de Sponde sans lui faire quelques questions saugrenues, afin d'entraîner le bon vieillard dans une discussion qui pût l'amuser. Voici pourquoi, car cette particularité doit achever de peindre le caractère de cette excellente fille.

      Mademoiselle Cormon regardait comme un de ses devoirs de parler: non qu'elle fût bavarde, elle avait malheureusement trop peu d'idées et savait trop peu de phrases pour discourir; mais elle croyait accomplir ainsi l'un des devoirs sociaux prescrits par la religion qui nous ordonne d'être agréable à notre prochain. Cette obligation lui coûtait tant qu'elle avait consulté son directeur, l'abbé Couturier, sur ce point de civilité puérile et honnête. Malgré l'humble observation de sa pénitente qui lui avoua la rudesse du travail intérieur auquel se livrait son esprit pour trouver quelque chose à dire, ce vieux prêtre, si ferme sur la discipline, lui avait lu tout un passage de saint François de Sales sur les devoirs de la femme du monde, sur la décente gaieté des pieuses chrétiennes qui devaient réserver leur sévérité pour elles-mêmes et se montrer aimables chez elles et faire que le prochain ne s'y ennuyât point. Ainsi pénétrée de ses devoirs, et voulant à tout prix obéir à son directeur qui lui avait dit de causer avec aménité, quand la pauvre fille voyait la conversation s'alanguir, elle suait dans son corset, tant elle souffrait en essayant d'émettre des idées pour ranimer les discussions éteintes. Elle lâchait alors des propositions étranges, comme celle-ci: personne ne peut se trouver dans deux endroits à la fois, à moins d'être petit oiseau, par laquelle, un jour, elle réveilla, non sans succès, une discussion sur l'ubiquité des apôtres à laquelle elle n'avait rien compris. Ces sortes de rentrées lui méritaient dans sa société le surnom de la bonne mademoiselle Cormon. Dans la bouche des beaux esprits de la société, ce mot voulait dire qu'elle était ignorante comme une carpe, et un peu bestiote; mais beaucoup de personnes de sa force prenaient l'épithète dans son vrai sens et répondaient: — Oh, oui! mademoiselle Cormon est excellente. Parfois, elle faisait des questions si absurdes, toujours pour être agréable à ses hôtes et remplir ses devoirs envers le monde, que le monde éclatait de rire. Elle demandait, par exemple, ce que le gouvernement faisait des impositions qu'il recevait depuis si long-temps; pourquoi la Bible n'avait pas été imprimée du temps de Jésus-Christ, puisqu'elle était de Moïse. Elle était de la force de ce country gentleman qui, entendant toujours parler de la Postérité à la Chambre des Communes, se leva pour faire ce speech devenu célèbre:

      — Messieurs, j'entends toujours parler ici de la Postérité, je voudrais bien savoir ce que cette puissance a fait pour l'Angleterre?

      Dans ces circonstances, l'héroïque chevalier de Valois amenait au secours de la vieille fille toutes les forces de sa spirituelle diplomatie en voyant le sourire qu'échangeaient d'impitoyables demi-savants. Le vieux gentilhomme, qui aimait à enrichir les femmes, prêtait de l'esprit à mademoiselle Cormon en la soutenant paradoxalement; il en couvrait si bien la retraite, que parfois la vieille fille semblait ne pas avoir dit une sottise. Elle avoua sérieusement un jour qu'elle ne savait pas quelle différence il y avait entre les bœufs et les taureaux. Le ravissant chevalier arrêta les éclats de rire en répondant que les bœufs ne pouvaient jamais être que les oncles des taures (nom de la génisse en patois). Une autre fois, entendant beaucoup parler des élèves et des difficultés que ce commerce présentait, conversation qui revenait souvent dans un pays où se trouve le superbe haras du Pin, elle comprit que les chevaux provenaient des montes, et demanda pourquoi l'on ne faisait pas deux montes par an! Le chevalier attira les rires sur lui.

      — C'est très-possible, dit-il.

      Les assistants l'écoutèrent.

      — La faute, reprit-il, vient des naturalistes qui n'ont pas encore su contraindre les juments à porter moins de onze mois.

      La pauvre fille ne savait pas plus ce qu'était une monte qu'elle ne savait reconnaître un bœuf d'un taureau. Le chevalier de Valois servait une ingrate: jamais mademoiselle Cormon ne comprit un seul de ses chevaleresques services. En voyant la conversation ranimée, elle ne se trouvait pas si bête qu'elle pensait l'être. Enfin, un jour, elle s'établit dans son ignorance, comme le duc de Brancas, le héros du distrait, se posa dans le fossé où il avait versé, et y prit si bien ses aises, que quand on vint l'en retirer, il demanda ce qu'on lui voulait. Depuis cette époque assez récente, mademoiselle de Cormon perdit sa crainte, elle eut un aplomb qui donnait à ses rentrées quelque chose de la solennité avec laquelle les Anglais accomplissent leurs niaiseries patriotiques et qui est comme la fatuité de la bêtise. En arrivant auprès de son oncle d'un pas magistral, elle ruminait donc une question à lui faire pour le tirer de ce silence qui la peinait toujours, car elle le croyait ennuyé.

      — Mon oncle, lui dit-elle en se pendant à son bras et se collant joyeusement à son côté (c'était encore une de ses fictions, elle pensait: — Si j'avais un mari, je serais ainsi!); mon oncle, si tout arrive ici-bas par la volonté de Dieu, il y a donc une raison de toute chose?

      — Certes, fit gravement l'abbé de Sponde qui chérissant sa nièce se laissait toujours arracher à ses méditations avec une patience angélique.

      — Alors, si je reste fille, une supposition, Dieu le veut?

      — Oui, mon enfant, dit l'abbé.

      — Mais, cependant, comme rien ne m'empêche de me marier demain, sa volonté peut être détruite par la mienne?

      — Cela serait vrai, si nous connaissions la véritable volonté de Dieu, répondit l'ancien prieur de Sorbonne. Remarque donc ma fille que tu mets un si?

      La pauvre fille, qui avait espéré entraîner son oncle dans une discussion matrimoniale par un argument ad omnipotentem, resta stupéfaite; mais les personnes dont l'esprit est obtus suivent la terrible logique des enfants qui consiste à aller de réponse en demande, logique souvent embarrassante.

      — Mais, mon oncle, Dieu n'a pas fait les femmes pour qu'elles restent filles; car, elles doivent être ou toutes filles, ou toutes femmes. Il y a de l'injustice dans la distribution des rôles.

      — Ma fille, dit le bon abbé, tu donnes tort à l'Église qui prescrit le célibat comme la meilleure voie pour aller à Dieu.

      — Mais si l'Église a raison, et que tout le monde fût bon catholique, le genre humain finirait donc, mon oncle?

      — Tu as trop d'esprit, Rose, il n'en faut pas tant pour être heureuse.

      Un

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