La Comédie humaine - Volume 07. Scènes de la vie de Province - Tome 03. Honore de Balzac

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La Comédie humaine - Volume 07. Scènes de la vie de Province - Tome 03 - Honore de Balzac

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air stupide celle qu'il adorait, en regardant son monstrueux corsage qui gardait ce repos absolu, l'attribut des grandes masses. Ses désirs produisaient en lui comme une ivresse qui changeait la petite voix claire de la vieille fille en un doux murmure, et ses plates idées en motifs pleins d'esprit.

      L'amour est un faux-monayeur qui change continuellement les gros sous en louis d'or, et qui souvent aussi fait de ses louis des gros sous.

      — Eh! bien, Athanase, me le promettez-vous?

      Cette phrase finale frappa l'oreille de l'heureux jeune homme à la manière de ces bruits qui réveillent en sursaut.

      — Quoi, mademoiselle? répondit-il.

      Mademoiselle Cormon se leva brusquement en regardant du Bousquier qui ressemblait en ce moment à ce gros dieu de la fable que la République mettait sur ses écus; elle s'avança vers madame Granson et lui dit à l'oreille: — Ma pauvre amie, votre fils est idiot! Le lycée l'a perdu, dit-elle en se souvenant de l'insistance avec laquelle le chevalier de Valois avait parlé de la mauvaise éducation des lycées.

      Quel coup de foudre! A son insu le pauvre Athanase avait eu l'occasion de jeter ses brandons sur les sarments amassés dans le cœur de la vieille fille; s'il l'eût écoutée, il aurait pu faire comprendre sa passion: car, dans l'agitation où se trouvait mademoiselle Cormon, un seul mot suffisait; mais cette stupide avidité qui caractérise l'amour jeune et vrai l'avait perdu, comme quelquefois un enfant plein de vie se tue par ignorance.

      — Qu'as-tu donc dit à mademoiselle de Cormon? demanda madame Granson à son fils.

      — Rien.

      — Rien, j'expliquerai cela! se dit-elle en remettant à demain les affaires sérieuses, car elle attacha peu d'importance à ce mot en croyant du Bousquier perdu dans l'esprit de la vieille fille.

      Bientôt les quatre tables se garnirent de leurs seize joueurs. Quatre personnes s'intéressèrent à un piquet, le jeu le plus cher et auquel il se perdait beaucoup d'argent. Monsieur Choisnel, le Procureur du roi et deux dames allèrent faire un trictrac dans le cabinet des laques rouges. Les girandoles furent allumées; puis la fleur de la société de mademoiselle Cormon vint s'épanouir devant la cheminée, sur les bergères, autour des tables, après que chaque nouveau couple arrivé eut dit à mademoiselle Cormon: — Vous allez donc demain au Prébaudet?

      — Mais il le faut bien, répondait-elle.

      Généralement la maîtresse de la maison parut préoccupée. Madame Granson, la première, s'aperçut de l'état peu naturel où se trouvait la vieille fille: mademoiselle Cormon pensait.

      — A quoi songez-vous, cousine? lui dit-elle enfin en la trouvant assise dans le boudoir.

      — Je pense, répondit-elle, à cette pauvre fille. Ne suis-je pas présidente de la Société Maternelle, je vais vous aller chercher dix écus!

      — Dix écus! s'écria madame Granson. Mais vous n'avez jamais donné autant.

      — Mais, ma bonne, il est si naturel d'avoir des enfants!

      Cette phrase immorale partie du cœur stupéfia la trésorière de la Société Maternelle. Du Bousquier avait évidemment grandi dans l'esprit de mademoiselle Cormon.

      — Vraiment, dit madame Granson, du Bousquier n'est pas seulement un monstre, il est encore un infâme. Lorsqu'on a causé préjudice à quelqu'un, ne doit-on pas l'indemniser? Ne serait-ce pas à lui, plutôt qu'à nous, de secourir cette petite, qui, après tout, me semble un fort mauvais sujet, car il y avait dans Alençon mieux que ce cynique du Bousquier! il faut être bien libertine pour s'adresser à lui.

      — Cynique! Votre fils vous apprend, ma chère, des mots latins qui sont incompréhensibles. Certes, je ne veux pas excuser monsieur du Bousquier; mais expliquez-moi comment une femme est libertine en préférant un homme à un autre?

      — Chère cousine, vous épouseriez mon fils Athanase, il n'y aurait là rien que de très-naturel; il est jeune et beau, plein d'avenir, il sera la gloire d'Alençon; seulement tout le monde penserait que vous avez pris un si jeune homme pour être très-heureuse; les mauvaises langues diraient que vous faites vos provisions de bonheur pour n'en jamais manquer; il y aurait des femmes jalouses qui vous accuseraient de dépravation; mais qu'est-ce que cela ferait? vous seriez bien aimée et véritablement. Si Athanase vous paraît idiot, ma chère, c'est qu'il a trop d'idées; les extrêmes se touchent. Il vit certes comme une jeune fille de quinze ans; il n'a pas roulé dans les impuretés de Paris, lui!.. Eh! bien, changez les termes, comme disait mon pauvre mari: il en est de même de du Bousquier par rapport à Suzanne. Vous seriez calomniée, vous; mais, dans l'affaire de du Bousquier, tout est vrai. Comprenez-vous?

      — Pas plus que si vous me parliez grec, dit mademoiselle Cormon qui ouvrait de grands yeux en tendant toutes les forces de son intelligence.

      — Hé! bien, cousine, puisqu'il faut mettre les points sur les i, Suzanne ne peut pas aimer du Bousquier. Et si le cœur n'est pour rien dans cette affaire...

      — Mais, cousine, avec quoi aime-t-on donc, si l'on n'aime pas avec le cœur?

      Ici madame Granson se dit en elle-même ce qu'avait pensé le chevalier de Valois: — Cette pauvre cousine est par trop innocente, cela passe la permission. — Chère enfant, reprit-elle à haute voix, il me semble que les enfants ne se conçoivent pas uniquement par l'esprit.

      — Mais si, ma chère, car la Sainte-Vierge...

      — Mais, ma bonne, du Bousquier n'est pas le Saint-Esprit!

      — C'est vrai, répondit la vieille fille, c'est un homme! un homme que sa tournure rend assez dangereux pour que ses amis l'engagent à se marier.

      — Vous pouvez, cousine, amener ce résultat...

      — Hé! comment? dit la vieille fille avec l'enthousiasme de la charité chrétienne.

      — Ne le recevez plus jusqu'à ce qu'il ait pris une femme; vous devez aux bonnes mœurs et à la religion de manifester en cette circonstance une exemplaire réprobation.

      — A mon retour du Prébaudet, nous reparlerons de ceci, ma chère madame Granson, je consulterai mon oncle et l'abbé Couturier, dit mademoiselle Cormon en rentrant dans le salon qui se trouvait en ce moment à son plus haut degré d'animation.

      Les lumières, les groupes de femmes bien mises, le ton solennel, l'air magistral de cette assemblée ne rendaient pas mademoiselle Cormon moins fière que sa société de cette tenue aristocratique. Pour beaucoup de gens, on ne voyait pas mieux à Paris dans les meilleures compagnies. Dans ce moment, du Bousquier, qui jouait au whist avec monsieur de Valois et deux vieilles dames, madame du Couderai et madame du Ronceret, était l'objet d'une curiosité sourde. Il venait quelques jeunes femmes qui, sous prétexte de regarder jouer, le contemplaient si singulièrement, quoiqu'à la dérobée, que le vieux garçon finit par croire à quelque oubli dans sa toilette.

      — Mon faux toupet serait-il de travers? se dit-il en éprouvant une de ces inquiétudes capitales auxquelles sont soumis les vieux garçons.

      Il profita d'un mauvais coup qui terminait un septième rubber, pour quitter la table.

      — Je ne peux pas toucher une carte sans perdre,

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