OEuvres complètes de Gustave Flaubert, tome 4. Gustave Flaubert

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OEuvres complètes de Gustave Flaubert, tome 4 - Gustave Flaubert

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Hussonnet est là-bas! Écoutez donc!»

      Frédéric tâchait de se dégager pour rejoindre le milord. La Maréchale lui faisait signe de retourner près d’elle. Cisy l’aperçut et voulait obstinément lui dire bonjour.

      Depuis que le deuil de sa grand’mère était fini, il réalisait son idéal, parvenait à avoir du cachet. Gilet écossais, habit court, larges bouffettes sur l’escarpin et carte d’entrée dans la ganse du chapeau, rien ne manquait effectivement à ce qu’il appelait lui-même son «chic», un chic anglomane et mousquetaire. Il commença par se plaindre du Champ de Mars, turf exécrable, parla ensuite des courses de Chantilly et des farces qu’on y faisait, jura qu’il pouvait boire douze verres de vin de Champagne pendant les douze coups de minuit, proposa à la Maréchale de parier, caressait doucement ses deux bichons; et de l’autre coude s’appuyant sur la portière, il continuait à débiter des sottises, le pommeau de son stick dans la bouche, les jambes écartées, les reins tendus. Frédéric, à côté de lui, fumait, tout en cherchant à découvrir ce que le milord était devenu.

      La cloche ayant tinté, Cisy s’en alla, au grand plaisir de Rosanette, qu’il ennuyait beaucoup, disait-elle.

      La seconde épreuve n’eut rien de particulier, la troisième non plus, sauf un homme qu’on emporta sur un brancard. La quatrième, où huit chevaux disputèrent le prix de la ville, fut plus intéressante.

      Les spectateurs des tribunes avaient grimpé sur les bancs. Les autres, debout dans les voitures, suivaient avec des lorgnettes à la main l’évolution des jockeys; on les voyait filer comme des taches rouges, jaunes, blanches et bleues sur toute la longueur de la foule, qui bordait le tour de l’Hippodrome. De loin, leur vitesse n’avait pas l’air excessive; à l’autre bout du Champ de Mars, ils semblaient même se ralentir et ne plus avancer que par une sorte de glissement, où les ventres des chevaux touchaient la terre sans que leurs jambes étendues pliassent. Mais, revenant bien vite, ils grandissaient; leur passage coupait le vent, le sol tremblait, les cailloux volaient; l’air s’engouffrant dans les casaques des jockeys les faisait palpiter comme des voiles; à grands coups de cravache, ils fouaillaient leurs bêtes pour atteindre le poteau, c’était le but. On enlevait les chiffres, un autre était hissé; et, au milieu des applaudissements, le cheval victorieux se traînait jusqu’au pesage, tout couvert de sueur, les genoux raidis, l’encolure basse, tandis que son cavalier, comme agonisant sur sa selle, se tenait les côtes.

      Une contestation retarda le dernier départ. La foule qui s’ennuyait se répandit. Des groupes d’hommes causaient au bas des tribunes. Les propos étaient libres; des femmes du monde partirent scandalisées par le voisinage des lorettes.

      Il y avait aussi des illustrations de bals publics, des comédiennes du boulevard; – et ce n’était pas les plus belles qui recevaient le plus d’hommages. La vieille Georgine Aubert, celle qu’un vaudevilliste appelait le Louis XI de la prostitution, horriblement maquillée et poussant de temps à autre une espèce de rire pareil à un grognement, restait tout étendue dans sa longue calèche, sous une palatine de martre comme en plein hiver. Mme de Remoussot, mise à la mode par son procès, trônait sur le siège d’un break en compagnie d’Américains; et Thérèse Bachelu, avec son air de vierge gothique, emplissait de ses douze falbalas l’intérieur d’un escargot qui avait, à la place du tablier, une jardinière pleine de roses. La Maréchale fut jalouse de ces gloires; pour qu’on la remarquât, elle se mit à faire de grands gestes et à parler très haut.

      Des gentlemen la reconnurent, lui envoyèrent des saluts. Elle y répondait en disant leurs noms à Frédéric. C’étaient tous comtes, vicomtes, ducs et marquis, et il se rengorgeait, car tous les yeux exprimaient un certain respect pour sa bonne fortune.

      Cisy n’avait pas l’air moins heureux dans le cercle d’hommes mûrs qui l’entourait. Ils souriaient du haut de leurs cravates, comme se moquant de lui; enfin il tapa dans la main du plus vieux et s’avança vers la Maréchale.

      Elle mangeait avec une gloutonnerie affectée une tranche de foie gras; Frédéric, par obéissance, l’imitait, en tenant une bouteille de vin sur ses genoux.

      Le milord reparut, c’était Mme Arnoux. Elle pâlit extraordinairement.

      «Donne-moi du champagne!» dit Rosanette.

      Et levant le plus haut possible son verre rempli, elle s’écria:

      «Ohé là-bas! les femmes honnêtes, l’épouse de mon protecteur, ohé!»

      Des rires éclatèrent autour d’elle, le milord disparut. Frédéric la tirait par sa robe, il allait s’emporter. Mais Cisy était là dans la même attitude que tout à l’heure; et, avec un surcroît d’aplomb, il invita Rosanette à dîner pour le soir même.

      «Impossible! répondit-elle. Nous allons ensemble au café Anglais.»

      Frédéric, comme s’il n’eût rien entendu, demeura muet, et Cisy quitta la Maréchale d’un air désappointé.

      Tandis qu’il lui parlait, debout contre la portière de droite, Hussonnet était survenu du côté gauche, et, relevant ce mot de café Anglais:

      «C’est un joli établissement! si l’on y cassait une croûte, hein?

      – Comme vous voudrez, dit Frédéric, qui, affaissé dans le coin de la berline, regardait à l’horizon le milord disparaître, sentant qu’une chose irréparable venait de se faire et qu’il avait perdu son grand amour. Et l’autre était là, près de lui, l’amour joyeux et facile! Mais, lassé, plein de désirs contradictoires et ne sachant même plus ce qu’il voulait, il éprouvait une tristesse démesurée, une envie de mourir.

      Un grand bruit de pas et de voix lui fit relever la tête; les gamins, enjambant les cordes de la piste, venaient regarder les tribunes; on s’en allait. Quelques gouttes de pluie tombèrent. L’embarras des voitures augmenta. Hussonnet était perdu.

      «Eh bien, tant mieux! dit Frédéric.

      – On préfère être seul?» reprit la Maréchale, en posant la main sur la sienne.

      Alors passa devant eux, avec des miroitements de cuivre et d’acier, un splendide landau attelé de quatre chevaux, conduits à la Daumont par deux jockeys en veste de velours, à crépines d’or. Mme Dambreuse était près de son mari, Martinon sur l’autre banquette en face; tous les trois avaient des figures étonnées.

      «Ils m’ont reconnu!» se dit Frédéric.

      Rosanette voulut qu’on arrêtât, pour mieux voir le défilé. Mme Arnoux pouvait reparaître. Il cria au postillon:

      «Va donc! va donc! en avant!»

      Et la berline se lança vers les Champs-Élysées au milieu des autres voitures, calèches, briskas, wurts, tandems, tilburys, dog-carts, tapissières à rideaux de cuir où chantaient des ouvriers en goguette, demi-fortune que dirigeaient avec prudence des pères de famille eux-mêmes. Dans des victorias bourrées de monde, quelque garçon, assis sur les pieds des autres, laissait pendre en dehors ses deux jambes. De grands coupés à siège de drap promenaient des douairières qui sommeillaient; ou bien un stopper magnifique passait, emportant une chaise, simple et coquette comme l’habit noir d’un dandy. L’averse cependant redoublait. On tirait les parapluies, les parasols, les mackintosh; on se criait de loin: «Bonjour! – Ça va bien? – Oui! – Non! – A tantôt!» et les figures se succédaient avec une vitesse d’ombres chinoises. Frédéric et Rosanette ne se parlaient pas, éprouvant une sorte d’hébétude à voir auprès d’eux

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