OEuvres complètes de Gustave Flaubert, tome 4. Gustave Flaubert

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OEuvres complètes de Gustave Flaubert, tome 4 - Gustave Flaubert

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d’envie brillaient au fond des fiacres; des sourires de dénigrement répondaient aux ports de tête orgueilleux; des bouches grandes ouvertes exprimaient des admirations imbéciles; et, çà et là, quelque flâneur, au milieu de la voie, se rejetait en arrière d’un bond pour éviter un cavalier qui galopait entre les voitures et parvenait à en sortir. Puis tout se remettait en mouvement; les cochers lâchaient les rênes, abaissaient leurs longs fouets; les chevaux, animés, secouant leur gourmette, jetaient de l’écume autour d’eux; et les croupes et les harnais humides fumaient, dans la vapeur d’eau que le soleil couchant traversait. Passant sous l’Arc de triomphe, il allongeait à hauteur d’homme une lumière roussâtre, qui faisait étinceler les moyeux des roues, les poignées des portières, le bout des timons, les anneaux des sellettes; et sur les deux côtés de la grande avenue, – pareille à un fleuve où ondulaient des crinières, des vêtements, des têtes humaines, – les arbres tout reluisants de pluie se dressaient, comme deux murailles vertes. Le bleu du ciel, au-dessus, reparaissant à de certaines places, avait des douceurs de satin.

      Alors, Frédéric se rappela les jours déjà loin où il enviait l’inexprimable bonheur de se trouver dans une de ces voitures, à côté d’une de ces femmes. Il le possédait, ce bonheur-là, et n’en était pas plus joyeux.

      La pluie avait fini de tomber. Les passants, réfugiés entre les colonnes du Garde-Meuble, s’en allaient. Des promeneurs, dans la rue Royale, remontaient vers le boulevard. Devant l’hôtel des Affaires étrangères, une file de badauds stationnait sur les marches.

      A la hauteur des Bains Chinois, comme il y avait des trous dans le pavé, la berline se ralentit. Un homme en paletot noisette marchait au bord du trottoir. Une éclaboussure, jaillissant de dessous les ressorts, s’étala dans son dos. L’homme se retourna, furieux. Frédéric devint pâle; il avait reconnu Deslauriers.

      A la porte du café Anglais, il renvoya la voiture. Rosanette était montée devant lui, pendant qu’il payait le postillon.

      Il la retrouva dans l’escalier, causant avec un monsieur. Frédéric prit son bras. Mais au milieu du corridor, un deuxième seigneur l’arrêta.

      «Va toujours! dit-elle, je suis à toi!»

      Et il entra seul dans le cabinet. Par les deux fenêtres ouvertes on apercevait du monde aux croisées des autres maisons vis-à-vis. De larges moires frissonnaient sur l’asphalte qui séchait, et un magnolia posé au bord du balcon embaumait l’appartement. Ce parfum et cette fraîcheur détendirent ses nerfs; il s’affaissa sur le divan rouge, au-dessous de la glace.

      La Maréchale revint, et le baisant au front:

      «On a des chagrins, pauvre Mimi?

      – Peut-être! répliqua-t-il.

      – Tu n’es pas le seul, va! ce qui voulait dire: Oublions chacun les nôtres dans une félicité commune!»

      Puis elle posa un pétale de fleur entre ses lèvres et le lui tendit à becqueter. Ce mouvement, d’une grâce et presque d’une mansuétude lascive, attendrit Frédéric.

      «Pourquoi me fais-tu de la peine? dit-il en songeant à Mme Arnoux.

      – Moi, de la peine?»

      Et, debout devant lui, elle le regardait, les cils rapprochés et les deux mains sur les épaules.

      Toute sa vertu, toute sa rancune sombra dans une lâcheté sans fond.

      Il reprit:

      «Puisque tu ne veux pas m’aimer!» en l’attirant sur ses genoux.

      Elle se laissait faire; il lui entourait la taille à deux bras; le pétillement de sa robe de soie l’enflammait.

      «Où sont-ils?» dit la voix d’Hussonnet dans le corridor.

      La Maréchale se leva brusquement et alla se mettre à l’autre bout du cabinet, tournant le dos à la porte.

      Elle demanda des huîtres et ils s’attablèrent.

      Hussonnet ne fut pas drôle. A force d’écrire quotidiennement sur toute sorte de sujets, de lire beaucoup de journaux, d’entendre beaucoup de discussions et d’émettre des paradoxes pour éblouir, il avait fini par perdre la notion exacte des choses, s’aveuglant lui-même avec ses faibles pétards. Les embarras d’une vie légère autrefois, mais à présent difficile, l’entretenaient dans une agitation perpétuelle; et son impuissance, qu’il ne voulait pas s’avouer, le rendait hargneux, sarcastique. A propos d’Ozaï, un ballet nouveau, il fit une sortie à fond contre la danse, et, à propos de la danse, contre l’Opéra; puis, à propos de l’Opéra, contre les Italiens, remplacés maintenant par une troupe d’acteurs espagnols, «comme si l’on n’était pas rassasié des Castilles»! Frédéric fut choqué dans son amour romantique de l’Espagne; et, afin de rompre la conversation, il s’informa du Collège de France, d’où l’on venait d’exclure Edgar Quinet et Mickiewicz. Mais Hussonnet, admirateur de M. de Maistre, se déclara pour l’Autorité et le Spiritualisme. Il doutait cependant des faits les mieux prouvés, niait l’histoire et contestait les choses les plus positives, jusqu’à s’écrier au mot géométrie: «Quelle blague que la géométrie!» Le tout entremêlé d’imitations d’acteurs. Sainville était particulièrement son modèle.

      Ces calembredaines assommaient Frédéric. Dans un mouvement d’impatience, il attrapa, avec sa botte, un des bichons sous la table.

      Tous deux se mirent à aboyer d’une façon odieuse.

      «Vous devriez les faire reconduire!» dit-il brusquement.

      Rosanette n’avait confiance en personne.

      Alors, il se tourna vers le bohème.

      «Voyons, Hussonnet, dévouez-vous!

      – Oh! oui, mon petit! Ce serait bien aimable!»

      Hussonnet s’en alla sans se faire prier.

      De quelle manière payait-on sa complaisance? Frédéric n’y pensa pas. Il commençait même à se réjouir du tête-à-tête, lorsqu’un garçon entra.

      «Madame, quelqu’un vous demande!

      – Comment! encore?

      – Il faut pourtant que je voie!» dit Rosanette.

      Il en avait soif, besoin. Cette disparition lui semblait une forfaiture, presque une grossièreté. Que voulait-elle donc? n’était-ce pas assez d’avoir outragé Mme Arnoux? Tant pis pour celle-là, du reste! Maintenant il haïssait toutes les femmes; et des pleurs l’étouffaient, car son amour était méconnu et sa concupiscence trompée.

      La Maréchale rentra, et, lui présentant Cisy:

      «J’ai invité monsieur. J’ai bien fait, n’est-ce pas?

      – Comment donc! certainement!» Frédéric, avec un sourire de supplicié, fit signe au gentilhomme de s’asseoir.

      La Maréchale se mit à parcourir la carte en s’arrêtant aux noms bizarres.

      «Si nous mangions, je suppose, un turban de lapins à la Richelieu et un pudding à la d’Orléans?

      – Oh! pas d’Orléans! s’écria Cisy, lequel était légitimiste et crut faire

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