OEuvres complètes de Gustave Flaubert, tome 4. Gustave Flaubert
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Il se plaignit seulement d’avoir été refusé au Salon, puis reprocha à Frédéric de ne pas être venu voir le portrait de la Maréchale.
«Je me moque bien de la Maréchale!»
Une déclaration pareille l’enhardit.
«Croiriez-vous que cette bête-là n’en veut plus maintenant?»
Ce qu’il ne disait point, c’est qu’il avait réclamé d’elle mille écus. Or la Maréchale s’était peu souciée de savoir qui payerait, et, préférant tirer d’Arnoux des choses plus urgentes, ne lui en avait même pas parlé.
«Eh bien, et Arnoux? dit Frédéric.
Elle l’avait relancé vers lui. L’ancien marchand de tableaux n’avait que faire du portrait.
«Il soutient que ça appartient à Rosanette.
– En effet, c’est à elle.
– Comment! c’est elle qui m’envoie vers vous!» répliqua Pellerin.
S’il eût cru à l’excellence de son œuvre, il n’eût pas songé peut-être à l’exploiter. Mais une somme (et une somme considérable) serait un démenti à la critique, un raffermissement pour lui-même. Frédéric, afin de s’en délivrer, s’enquit de ses conditions courtoisement.
L’extravagance du chiffre le révolta, il répondit:
«Non! ah! non!
– Vous êtes pourtant son amant, c’est vous qui m’avez fait la commande!
– J’ai été l’intermédiaire, permettez!
– Mais je ne peux pas rester avec ça sur les bras!»
L’artiste s’emportait.
«Ah! je ne vous croyais pas si cupide.
– Ni vous si avare. Serviteur!»
Il venait de partir que Sénécal se présenta.
Frédéric, troublé, eut un mouvement d’inquiétude.
«Qu’y a-t-il?»
Sénécal conta son histoire.
«Samedi, vers neuf heures, Mme Arnoux a reçu une lettre qui l’appelait à Paris; comme personne, par hasard, ne se trouvait là pour aller à Creil chercher une voiture, elle avait envie de m’y faire aller moi-même. J’ai refusé, car ça ne rentre pas dans mes fonctions. Elle est partie, et revenue dimanche soir. Hier matin, Arnoux tombe à la fabrique. La Bordelaise s’est plainte. Je ne sais pas ce qui se passe entre eux, mais il a levé son amende devant tout le monde. Nous avons échangé des paroles vives. Bref, il m’a donné mon compte, et me voilà!»
Puis, détachant ses paroles:
«Au reste, je ne me repens pas, j’ai fait mon devoir. N’importe, c’est à cause de vous.
– Comment?» s’écria Frédéric, ayant peur que Sénécal ne l’eût deviné.
Sénécal n’avait rien deviné, car il reprit:
«C’est-à-dire que, sans vous, j’aurais peut-être trouvé mieux.»
Frédéric fut saisi d’une espèce de remords.
«En quoi puis-je vous servir maintenant?»
Sénécal demandait un emploi quelconque, une place.
«Cela vous est facile. Vous connaissez tant de monde, M. Dambreuse entre autres, à ce que m’a dit Deslauriers.»
Ce rappel de Deslauriers fut désagréable à son ami. Il ne se souciait guère de retourner chez les Dambreuse depuis la rencontre du Champ de Mars.
«Je ne suis pas suffisamment intime dans la maison pour recommander quelqu’un.»
Le démocrate essuya ce refus stoïquement, et, après une minute de silence:
«Tout cela, j’en suis sûr, vient de la Bordelaise et aussi de votre Mme Arnoux.»
Ce votre ôta du cœur de Frédéric le peu de bon vouloir qu’il gardait. Par délicatesse, cependant, il atteignit la clef de son secrétaire.
Sénécal le prévint.
«Merci!»
Puis, oubliant ses misères, il parla des choses de la patrie, les croix d’honneur prodiguées à la fête du Roi, un changement de cabinet, les affaires Drouillard et Bénier, scandales de l’époque, déclama contre les bourgeois et prédit une révolution.
Un crid japonais suspendu contre le mur arrêta ses yeux. Il le prit, en essaya le manche, puis le rejeta sur le canapé avec un air de dégoût.
«Allons, adieu! Il faut que j’aille à Notre-Dame de Lorette.
– Tiens! pourquoi?
– C’est aujourd’hui le service anniversaire de Godefroy Cavaignac. Il est mort à l’œuvre, celui-là! Mais tout n’est pas fini!.. Qui sait?»
Et Sénécal tendit sa main bravement.
«Nous ne nous reverrons peut-être jamais! adieu!»
Cet adieu, répété deux fois, son froncement de sourcils en contemplant le poignard, sa résignation et son air solennel surtout firent rêver Frédéric, qui bientôt n’y pensa plus.
Dans la même semaine, son notaire du Havre lui envoya le prix de sa ferme, cent soixante-quatorze mille francs. Il en fit deux parts, plaça la première sur l’État, et alla porter la seconde chez un agent de change pour la risquer à la Bourse.
Il mangeait dans les cabarets à la mode, fréquentait les théâtres et tâchait de se distraire, quand Hussonnet lui adressa une lettre, où il narrait gaiement que la Maréchale, dès le lendemain des courses, avait congédié Cisy. Frédéric en fut heureux, sans chercher pourquoi le bohème lui apprenait cette aventure.