Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5 - (D - E- F). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc

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Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5 - (D - E- F) - Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc

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des pressions obliques de ces quatre arcs, s'ils sont égaux de diamètre, d'épaisseur et de charge, passe dans l'axe de ce cylindre ou de ce prisme sans dévier. Il pourrait se contenter d'un poinçon posé sur sa pointe pour porter ces arcs. Or, comme nous l'avons assez fait ressortir dans l'article CONSTRUCTION, le système des voûtes et d'arcs adopté par les architectes du moyen âge n'étant autre chose qu'un système d'équilibre des forces opposées les unes aux autres par des buttées ou des charges, tout dans cette architecture tend à se résoudre en des pressions verticales, et le système d'équilibre étant admis, comme il faut tout prévoir, même l'imperfection dans l'exécution, comme il faut compter sur des erreurs dans l'évaluation des pressions obliques opposées ou chargées, et par conséquent sur des déviations dans les résultantes verticales, mieux vaut dans ce cas une pile qui se prête à ces déviations qu'une pile inflexible sur sa base.

      En effet, soit (1), sur une pile A, une résultante de pressions qui, au lieu d'être parfaitement verticale, soit oblique suivant la ligne CD, cette résultante oblique tendra à faire faire à la pile le mouvement indiqué en B. Alors la pile sera broyée sur ses arêtes. Mais soit, au contraire, sur une pile E, une résultante de pressions obliques, la pile tendra à pivoter sur sa base de manière à ce que la résultante rentre dans la verticale, comme le démontre le tracé F. Alors, si la pile est chargée, ce mouvement ne peut avoir aucun inconvénient sérieux. Tout le monde peut faire cette expérience avec un cône sur le sommet ou la base duquel on appuierait le doigt. Dans le premier cas, on fera sortir la base du plan horizontal; dans le second, le cône obéira, et à moins de faire sortir le centre de gravité de la surface conique, on sentira sous la pression une résistance toujours aussi puissante.

      Ainsi laissons donc là les rapports de la colonne des ordres antiques, qui n'ont rien à faire avec le système de construction de l'architecture du moyen âge. Ne comparons pas des modes opposés par leurs principes mêmes. Les architectes gothiques et même romans du Nord n'ont pas, à proprement parler, connu la colonne; ils n'ont connu que la pile. Cette pile, quand l'architecture se perfectionne, ils la décomposent en autant de membres qu'ils ont d'arcs à porter; rien n'est plus logique assurément. Ces membres ont des pressions égales ou à peu près égales à recevoir; ils admettent donc qu'en raison de l'étendue des monuments ils donneront à chacun d'eux le diamètre convenable, 1 pied, 15 pouces, ou 18 pouces, comme nous l'avons démontré plus haut; cela est encore très-logique. Ils poseront ces membres réunis sur une base unique, non faite pour eux, mais faite pour l'homme, comme les portes, les balustrades, les marches, les appuis sont faits pour l'homme et non pour les monuments; cela n'est pas conforme à la donnée antique, mais c'est encore conforme à la logique, car ce ne sont pas les édifices qui entrent par leurs propres portes, qui montent leurs propres degrés ou s'appuient sur leurs propres balustrades, mais bien les hommes. Ces membres, ou fractions de piles, ces points d'appui ont, celui-ci un arc à soutenir à cinq mètres du sol: on l'arrête à cette hauteur, on pose son chapiteau (qui n'est qu'un encorbellement propre à recevoir le sommier de l'arc, voy. CHAPITEAU); cet autre doit porter son arc à huit mètres du sol: il s'arrête à son tour à ce niveau; le dernier recevra sa charge à quinze mètres, son chapiteau sera placé à quinze mètres de hauteur. Cela n'est ni grec, ni même romain, mais cela est toujours parfaitement logique. La colonne engagée gothique, qui s'allonge ainsi ou se raccourcit suivant le niveau de la charge qu'elle doit porter, n'a pas de module, mais elle a son échelle, qui est son diamètre; elle est cylindrique et non conique, parce qu'elle n'indique qu'un point d'appui recevant une charge passant par son axe, et qu'en supposant même une déviation dans la résultante des pressions, il est moins dangereux pour la stabilité de l'édifice qu'elle puisse s'incliner comme le ferait un poteau, que si elle avait une large assiette s'opposant à ce mouvement. Son diamètre est aussi peu variable que possible, quelle que soit la dimension de l'édifice, parce que ce diamètre uniforme, auquel l'oeil s'habitue, paraissant grêle dans un vaste monument, large dans un petit, indique ainsi la dimension réelle, sert d'échelle, en un mot, comme les bases, les arcatures, balustrades, etc.

      Mais comme les architectes du moyen âge ont le désir manifeste de faire paraître les intérieurs des monuments grands (ce qui n'est pas un mal), ils évitent avec soin tout ce qui pourrait nuire à cette grandeur. Ainsi ils évitent de placer des statues dans ces intérieurs, si ce n'est dans les parties inférieures, et, alors, ils ne leur donnent que la dimension humaine, tout au plus. L'idée de jeter des figures colossales sous une voûte ou un plafond ne leur est jamais venue à la pensée, parce qu'ils étaient architectes, qu'ils aimaient l'architecture et ne permettaient pas aux autres arts de détruire l'effet qu'elle doit produire. Les sculpteurs n'en étaient pas plus malheureux ou moins habiles pour faire de la statuaire à l'échelle; ils y trouvaient leur compte et l'architecture y trouvait le sien (voy. STATUAIRE).

      Que, d'un point de départ si vrai, si logique, si conforme aux principes invariables de tout art; que, de ce sentiment exquis de l'artiste se soumettant à une loi rigoureuse sans affaiblir l'expression de son génie personnel, on en soit venu à dresser dans une ville, centre de ces écoles délicates et sensées, un monument comme l'arc de triomphe de l'Étoile, c'est-à-dire hors d'échelle avec tout ce qui l'entoure, une porte sous laquelle passerait une frégate mâtée; un monument dont le mérite principal est de faire paraître la plus grande promenade de l'Europe un bosquet d'arbrisseaux; il faut que le sens de la vue ait été parmi nous singulièrement faussé et que, par une longue suite d'abus en matière d'art, nous ayons perdu tout sentiment du vrai. Il y a plus d'un siècle déjà, le président De Brosses 59, parlant de sa première visite à la basilique de Saint-Pierre de Rome, dit que, à l'intérieur, ce vaste édifice ne lui sembla «ni grand, ni petit, ni haut, ni bas, ni large, ni étroit.» Il ajoute: «On ne s'aperçoit de son énorme étendue que par relation, lorsqu'en considérant une chapelle, on la trouve grande comme une cathédrale; lorsqu'en mesurant un marmouset qui est là au pied d'une colonne, on lui trouve «un pouce gros comme le poignet. Tout cet édifice, par l'admirable justesse de ses proportions, a la propriété de réduire les choses démesurées à leur juste valeur.» Voilà une propriété bien heureuse! Faire un édifice colossal pour qu'il ne paraisse que de dimension ordinaire, faire des statues d'enfants de trois mètres de hauteur pour qu'elles paraissent être des marmots de grandeur naturelle! Le président De Brosses est cependant un homme d'esprit, très-éclairé, aimant les arts; ses lettres sont pleines d'appréciations très-justes. C'est à qui, depuis lui, a répété ce jugement d'amateur terrible, a fait à Saint-Pierre de Rome ce mauvais compliment. On pourrait en dire autant de notre arc de triomphe de l'Étoile et de quelques autres de nos monuments modernes: «L'arc de l'Étoile, par l'admirable justesse de ses proportions, ne paraît qu'une porte ordinaire; il a la propriété de réduire tout ce qui l'entoure à des dimensions tellement exiguës, que l'avenue des Champs-Élysées paraît un sentier bordé de haies et les voitures qui la parcourent des fourmis qui vont à leurs affaires sur une traînée de sable.» Si c'est là le but de l'art, le mont Blanc est fait pour désespérer tous les architectes, car jamais ils n'arriveront à faire un édifice qui ait à ce degré le mérite de réduire à néant tout ce qui l'entoure. Dans la ville où nous nous évertuons à élever des édifices publics qui ne rappellent en rien l'échelle humaine, percés de fenêtres tellement hors de proportion avec les services qu'elles sont destinées à éclairer, qu'il faut les couper en deux et en quatre par des planchers et des cloisons, si bien que des pièces prennent leurs jours ainsi que l'indique la figure ci-contre (2), ce qui n'est ni beau ni commode; que nous couronnons les corniches de ces édifices de lucarnes avec lesquelles on ferait une façade raisonnable pour une habitation; dans cette même ville, disons-nous, on nous impose (et l'édilité en soit louée!) des dimensions pour les hauteurs de nos maisons et de leurs étages. La raison publique veut qu'on se tienne, quand il s'agit d'édifices privés, dans les limites qu'imposent le bon sens et la salubrité.

      Voilà qui n'est plus du tout conforme à la logique, car les édifices publics (ou nous nous abusons étrangement)

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<p>59</p>

Lettres familières écrites d'Italie en 1740, par C. De Brosses. T. II. p. 3.