Jane Austen: Oeuvres Majeures. Джейн ОÑтин
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— Faut-il aussi vous pardonner d’avoir coupé mon étui ? dit Emma en relevant les petites pièces de maroquin et en les lui montrant dans sa main.
— Allons, dit Maria en passant son bras sous le sien, allons trouver ma mère et ma sœur. Vous avez mon aveu ; mais tout dépend d’elles.
— Et j’ose compter sur leur bonté, dit l’heureux Edward.
Ils passèrent dans la salle à manger, où la mère et la fille pleuraient de joie dans les bras l’une de l’autre…
— Ô ma mère ! ô mon Elinor ! dit Edward à genoux devant elles.
— Mon fils ! mon cher Edward ! répondirent-elles toutes les deux en même temps… Ces mots lui suffirent. Il se releva pour embrasser Maria et Emma ; il revint auprès de son Elinor. Pendant long-temps il n’y eut entre eux que des acclamations de bonheur et de joie. À quatre heures le dîner fut servi, et l’heureuse famille réunie autour de la table, mangea peu, mais but de bon cœur à l’engagement d’Edward et d’Elinor ; l’on ne savait lesquels étaient les plus contens. Maria semblait avoir oublié toutes ses peines et ne plus exister que pour sa sœur. Cependant, sur la fin du dîner, quelques soupirs échappèrent de son cœur lorsqu’elle pensa que le bonheur dont jouissait Elinor était fini pour elle. Elinor s’en aperçut, et reprenant plus de calme, elle pria Edward de leur raconter les détails d’un événement qu’à peine elles pouvaient croire ; par quel miracle, Robert qui blâmait si fort son frère de son engagement avec Lucy, qui le voyait pour cela rejeté de la famille, avait pu se mettre à sa place ? Quelquefois Elinor craignait de faire un songe, et tremblait du moment du réveil. Edward, libre de son engagement, et sans avoir aucun reproche à se faire ! c’était un événement si inespéré, si inattendu, qu’elle ne pouvait le comprendre. Il ne peut s’expliquer, dit-il, que par le caractère de mon frère, celui de sa femme et le mien, et je demande la permission d’entrer là-dessus dans quelques détails. Chère Elinor, c’est le premier moment où j’ose vous offrir mon cœur ; il faut qu’il vous soit connu en entier jusque dans ses moindres replis, ainsi qu’à votre mère et à vos sœurs. Je dois expier un tort de jeunesse dont j’ai été bien puni par les tourmens qu’il m’a donnés. Une fois j’ai craint d’avoir à m’en repentir toute ma vie. Le ciel m’a pardonné sans doute ; et je suis bien plus heureux que je n’aurais osé l’espérer.
Il commença son récit, qui fut souvent interrompu.
CHAPITRE LI.
Mon frère n’a qu’une année de moins que moi. La nature en rapprochant ainsi nos âges nous avait destinés à cette liaison, la plus intime des amitiés, qui répand sa douce influence sur toute la vie, qui commence avec l’enfance et dure jusqu’à la mort. À peine puis-je me rappeler le temps où je l’ai éprouvée. J’aimais passionnément le petit compagnon des jeux de mon enfance. Mais bientôt notre mère sembla prendre à tâche d’altérer ce sentiment par la différence extrême qu’elle mit entre nous deux. Robert était un très-bel enfant ; et moi, tout le contraire. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il était plus gentil et moins pleureur, parce qu’on ne le contrariait jamais et qu’on faisait toutes ses fantaisies. Il était non seulement le favori de ma mère, mais de tous ceux qui avaient intérêt de lui plaire, et fut un enfant gâté dans toute l’étendue du terme ; tandis que le pauvre fils aîné, toujours grondé, toujours repoussé, devint de plus en plus triste et maussade, et finit par mériter peut-être, à l’extérieur du moins, l’indifférence qu’il inspirait. Mais si j’en suis devenu moins aimable, si j’ai été plus malheureux dans mon enfance, j’ose croire aussi que j’ai dû quelques vertus à cette éducation sévère. C’était surtout ce titre d’aîné que ma mère ne pouvait supporter. Mon père l’avait laissée maîtresse, il est vrai, de disposer de sa fortune ; mais l’usage, le respect de l’opinion l’empêchaient de substituer mon frère à mes droits, tant que je ne donnerais pas, par ma mauvaise conduite, l’occasion de me déshériter. Mais cent fois je l’ai entendue dire : Pourquoi n’est-ce pas Robert qui est venu le premier au monde ? celui-là aurait fait honneur à sa fortune. Elle pouvait du moins m’éloigner d’elle, et n’y manqua pas. Dès l’âge de quinze ans je fus remis aux soins de M. Pratt, dont on lui parlait comme d’un homme en état de diriger mon éducation, et qui consentit à me prendre en pension chez lui près de Plymouth, où il faisait valoir un petit domaine. C’était un homme simple et bon, assez savant en effet pour m’enseigner ce qu’un jeune homme bien né doit apprendre, mais sans le moindre usage du monde, où jamais il n’avait vécu, et tout-à-fait hors d’état de me former pour la société où je devais vivre, et de corriger l’excessive timidité que ma première éducation m’avait donnée. Sa femme était simple et commune. Ils n’avaient pas d’enfant. J’étais leur seul pensionnaire, et je me serais ennuyé à périr, dans leur maison, si ses deux nièces, les jeunes Stéeles, n’y avaient pas fait de fréquens séjours. Lucy, du même âge que moi, était-très-jolie, très-vive, très-agaçante, et du premier moment décida dans sa petite tête, que le pensionnaire de son oncle devait être son amoureux et son mari, et fit tout ce qu’il fallait pour y réussir. Cela n’était pas difficile ; et elle n’eut pas besoin, pour me captiver, de toute l’adresse qu’elle y mit, ni de tous les soins qu’elle se donna. J’étais dans l’âge où le cœur s’ouvre à toutes les impressions. Le mien, naturellement très-aimant, ne demandait qu’à se donner, et n’en avait point encore trouvé l’occasion. Toujours, repoussé, toujours humilié chez ma mère, la première personne qui me témoigna un intérêt vif, qui parut me compter pour quelque chose, et qui ne m’épargnait pas des flatteries de tout genre, dut me paraître un ange, du ciel ; et comme elle joignait à cela une figure très-jolie et très-animée, et la fraîcheur de 16 ans, il n’est pas étonnant qu’en très-peu de temps je crusse être, ou que je fusse réellement peut-être passionnément amoureux. C’était la première jeune personne que j’eusse vue familièrement ; et le bon M. Pratt, content de mes progrès dans mes études, et plus encore de la bonne pension ; ferma les yeux sur mon attachement pour sa nièce, car je le cachais si peu, qu’il était presque impossible qu’il ne s’en aperçut pas. Naturellement honnête et timide, mon seul projet était-de l’épouser dès que je serais en âge. Je lui en donnai mille fois l’assurance, et de bouche, et par écrit ; mais je n’allai pas plus loin, et j’aurais regardé comme un crime d’avoir une autre idée. Lucy m’aimait-elle alors comme je l’aimais, ou l’espoir de partager ma fortune et de briller à Londres, était il son seul mobile ? Ce n’est que depuis peu que je me suis permis ce doute. Elle jouait si naturellement l’amour passionné et désintéressé que, même depuis que j’ai été éclairé sur ses défauts, je n’eus jamais le moindre soupçon sur ses sentimens.
Je passai trois ans chez M. Pratt. J’en avais dix-huit quand mes tuteurs exigèrent de ma mère que je fusse rappelé chez elle. Je partis de Longstaple, formant le projet d’une constance éternelle, la jurant à Lucy, et pouvant à peine par mes sermens répétés apaiser un peu sa douleur que je partageais de toute mon ame. Mais je n’avais que dix-huit ans, et à cet âge les sermens d’un jeune homme ont peu de valeur. Je suis convaincu que si ma mère m’avait alors voué à quelque état qui demandât de l’activité ou de la réflexion, que si mon temps avait été employé de manière à me tenir au moins quelques mois éloigné de Lucy, j’aurais fini, comme tous les jeunes gens de mon âge, par oublier cette inclination d’enfance, qui n’était rien moins que fondée sur la sympathie, et qui existait bien plus dans l’imagination que dans le cœur. Mais au lieu de m’adonner à un état, ou de me permettre d’en choisir un, je