Jane Austen: Oeuvres Majeures. Джейн Остин

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Jane Austen: Oeuvres Majeures - Джейн Остин

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mais plus dans les romans que dans la réalité. Il est trop vrai qu’elle empoisonne tout, qu’elle flétrit tout, même le sentiment. Elle aigrit l’humeur ; elle détruit la gaieté et les agrémens de l’esprit. Êtes-vous sûre que l’amour de Willoughby, que le vôtre même auraient résisté à sa funeste influence, et que vous n’auriez pas fini par déplorer tous les deux une union si fatale, ou, sinon tous les deux, du moins lui seul qui est plus égoïste que sensible, et attache un grand prix aux jouissances de la vie ? Elinor s’arrêta. La vérité du tableau, qu’elle traçait l’avait entraînée. Elle avait voulu détourner l’attendrissement de sa sœur sur le sort de Willoughby, parce qu’il l’aurait conduite à regretter encore de n’avoir pas été chargée de son bonheur ; elle désirait lui démontrer que ce bonheur était impossible.

      Maria l’avait écoutée attentivement. Ses lèvres tremblaient ; son regard exprimait l’étonnement le plus profond ; jamais encore elle n’avait envisagé Willoughby sous ce point de vue. Sa conduite avec la fille adoptive du colonel lui prouvait son libertinage, son mariage, qu’il était inconstant ; mais l’entendre accuser d’égoïsme, ce Willoughby dont elle avait si souvent admiré la générosité, la grandeur d’ame, tout ce qui était en sympathie avec elle… Égoïste ! répéta-t-elle, lui égoïste ! Est-ce que vous le pensez réellement ?

      — Toute sa conduite, reprit Elinor, du commencement à la fin, a été basée sur le plus parfait égoïsme. C’est l’égoïsme qui lui fit différer l’aveu de son attachement pour vous, lorsque son cœur l’éprouva, non pas avec cet abandon, cette confiance qui caractérise le véritable amour, mais balancé par son propre intérêt. Ses propres jouissances, son bien-être personnel me paraissent toujours avoir été sa règle et son principe.

      — Oui, dit Maria, rien n’est plus vrai ; mon bonheur ne fut jamais son motif ; mais cependant vous me disiez…

      — À présent, continua Elinor, il regrette de ne s’être pas conduit autrement ; mais pourquoi le regrette-t-il ? parce qu’il trouve qu’il a manqué son but et qu’il n’a pas rendu sa vie heureuse comme il l’espérait. Sa situation, quant à la fortune, est meilleure. De ce côté il n’est point en souffrance ; il s’afflige seulement de ce que sa femme n’a pas un caractère aussi aimable que le vôtre. Mais suit-il de là que s’il vous avait épousée il aurait été plus heureux ? Il se serait plaint alors de n’être pas plus riche, et sans doute il aurait trouvé qu’un bon revenu, une bonne maison, de beaux chevaux, etc. etc., sont aussi nécessaires au bonheur domestique qu’une femme aimable.

      — Je n’en ai aucun doute, dit Marra, et je n’ai rien à regretter que ma propre folie.

      — Dites plutôt l’imprudence de votre mère, ma chère enfant, dit madame Dashwood ; c’était à moi de vous guider, et j’étais sous le charme au moins autant que vous-même.

      Maria voulait répondre ; mais Elinor, contente de ce que chacune sentait ses erreurs, voulut éviter des souvenirs du passé, qui pouvaient affaiblir les résolutions de sa sœur. Elle aima mieux continuer à parler des torts de Willoughby, que de son charme séduisant. Une observation, dit-elle, qu’on peut tirer de toute cette histoire, c’est que bien-rarement le crime, ou, si ce mot est trop dur, une faute grave contre la vertu reste impunie. Tout le malheur de Willoughby vient de son indigne conduite avec Caroline Williams ; c’est ce qui lui a fait perdre l’estime, l’amitié et la fortune de madame Smith. Sans cela il aurait pu vous épouser et être riche. Maria en convint ; et madame Dashwood leur raconta à cette occasion, que non seulement cette dame persistait dans son indignation contre Willoughby, mais que son mariage, tout brillant qu’il était, l’avait beaucoup augmentée, et qu’elle n’y voyait que de l’obstination dans le crime, un moyen de se soustraire entièrement à la réparation qu’elle en exigeait, et une profanation positive du saint sacrement du mariage en épousant, par un sordide intérêt, une femme mondaine et qu’il n’aimait pas. Madame Smith était d’une famille de méthodistes ou puritains ; elle avait été élevée dans l’idée que la séduction de l’innocence, et le mariage avec une autre que celle qu’on a séduite, étaient les plus grands de tous les péchés. Résolue donc à punir le coupable déjà dans ce monde, sans pardon et sans rémission ; elle avait fait venir chez elle une parente éloignée, nommée madame Summers, et son fils, et les avait déclarés ses héritiers. Son testament était déjà fait et déposé chez un homme de loi. Madame Dashwood savait ces détails du vicaire de la paroisse, digne et vieux ecclésiastique qui, à ce titre, était seul reçu à Altenham. Il avait ajouté de grands éloges de cette madame Summers, qui soignait sa bienfaitrice avec la plus active reconnaissance ; et madame Smith, disait-il, se trouvait bien heureuse, dans son état de maladie, d’avoir échangé les négligences d’un jeune homme frivole et libertin, contre les attentions d’une jeune femme reconnaissante et sensible.

      Je suis bien aise, dit Maria en souriant, que quelqu’un ait gagné quelque chose à mon malheur. M. Willoughhy n’a plus besoin de la fortune de sa cousine. Elle sera mieux placée ; et je ne suis pas fâchée qu’il n’ait plus l’occasion de revenir dans mon voisinage.

      En effet, depuis cet entretien elle reprit, non pas de la gaieté, mais plus de sérénité. Emma revint, et ce fut un grand plaisir. La famille de la chaumière fut encore une fois réunie ; et leur vie douce et paisible recommença tout comme avant que leurs cœurs eussent été si vivement agités. Mais leur paix était plus apparente que réelle. Mana était encore faible et mélancolique par momens lorsqu’elle se laissait aller à ses pensées. Pour s’en distraire elle exécuta avec courage le plan qu’elle s’était tracé d’études et de lectures suivies, où souvent elle associait sa jeune sœur ; elle fit aussi les longues promenades qu’elle avait méditées, mais avec une de ses sœurs, et ne cherchant plus la solitude. Elles rencontrèrent plusieurs fois, dans leurs excursions, la parente et future héritière de madame Smith, qui se promenait de son côté en cherchant des fleurs pour un herbier. La botanique était une des études que Maria avait commencées, et à laquelle elle se livrait avec la vivacité qu’elle mettait à tout. Ce même but dans leurs courses les rapprocha ; elles se parlèrent ; et mesdemoiselles Dashwood trouvèrent qu’elle méritait tous les éloges que le vicaire en avait faits à leur mère ; elle était jeune et jolie, ou plutôt très-agréable. Elle était simple, modeste, timide, mais lorsqu’elle fut familiarisée avec ses nouvelles connaissances, elle parla bien et avec un son de voix très-doux. Elles auraient voulu l’engager à venir à la chaumière ; mais elle ne quittait madame Smith que pour des quarts d’heures pendant son sommeil, et leurs rencontres même furent toujours assez courtes. Maria qui lui avait parlé avec un peu de peine la première fois, en était à présent enchantée. Je n’aurais jamais cru, disait-elle à Elinor, me plaire autant avec quelqu’un qui me parle d’Altenham, et qui demeure avec madame Smith. Mais du moins elle ne lui parlait pas de Willoughby, et c’était assez naturel.

      Elinor commençait à s’impatienter de ne rien savoir d’Edward. Elle n’en avait pas entendu parler depuis qu’elle avait quitté Londres ; elle ignorait s’il était consacré, s’il était marié. Ni madame Jennings, ni son frère à qui elle écrivait quelquefois, ne lui en parlaient. Seulement, dans la première lettre qu’elle avait reçue de madame Dashwood, il y avait celle phrase : « Nous ne savons rien de notre infortuné Edward, et nous ne pouvons faire aucune enquête sur un sujet prohibé dans notre famille ; mais de ce silence même nous concluons qu’il est encore à Oxford. » Voilà tout ce qu’elle en avait appris dans cette correspondance, rendue plus fréquente par la maladie de Maria. Dans les autres lettres, le nom même d’Edward ne se trouvait pas. Elle était donc à cet égard condamnée à une complète ignorance.

      Thomas, leur domestique, fut envoyé un matin à Exceter pour des commissions ; il revint au moment du dîner, et tout en le servant il rendait compte à ses maîtresses des affaires dont il avait été chargé. Quand il eut fini il dit encore : Je suppose que vous savez, mesdames,

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